jeudi 20 novembre 2025

Pensées - Jean Paul

Pensées - Jean Paul

Sans bibliothèques la vie serait trop fade et trop insipide. La société la plus spirituelle n’est pas celle que les tailleurs, mais celle que les relieurs habillent. 

--- 

Beaucoup de gens se laissent étouffer par l’érudition comme par un lierre desséchant.

---

 

La laideur est une douleur qu’une femme conserve toute sa vie.

---

 

L’amour n’est pas seulement passager, la haine l’est encore ; ces deux sentiments meurent lorsqu’ils ne croissent plus.

 ---

 

L’homme préfère son plaisir à son bonheur, celui dont la société lui est agréable à son bienfaiteur, des perroquets, des chiens et des singes à d’utiles bêtes de somme.

 ---

 

L’homme vide de pensées qui n’a jamais sacrifié son estomac à son cerveau, qui n’a jamais employé l’intensité de ses facultés au développement d’une idée profonde, est le portrait vivant de la santé ; ne cherchez pas sur son visage l’empreinte du génie, vous n’y trouverez point ses ravages. Son cerveau n’est point un atelier de pensées, mais il n’enfante point de peines ; aucune inquiétude n’épaissit son sang et ne rend sa tête semblable à une ville capitale, qui attire à elle toutes les forces du corps politique. Son embonpoint ne nous offre pas un aspect mélancolique, mais respire un air de bien-être et de prospérité. Quel contraste si vous vous représentez à sa place un penseur dont l’âme se montre partout, et auquel on désirerait un corps ou du moins un meilleur que celui qui obéit à l’impulsion de son génie, et qui par son apparence immatérielle semble approcher de sa dissolution !

 ---

 

Si la connaissance de soi-même est le chemin qui conduit à la vertu, la vertu est bien plus véritablement le chemin qui conduit à la connaissance de soi-même.

--- 

 

Ce n’est point la raison (c’est-à-dire la conscience) qui nous rend bons. Elle n’est que ce bras indicateur qui nous montre le chemin de la vertu, mais elle ne peut nous y porter et encore moins nous y contraindre. La raison a une puissance législative, mais non exécutive. La force d’exécuter ses ordres et la force plus grande nécessaire pour s’y soumettre est une seconde conscience. De même que Kant ne peut exprimer avec sa plume ce qui rend l’homme mauvais, on ne peut également dire ce qui soutient son cœur au milieu de la fange morale et l’élève au-dessus.

---

 

La vie de l’homme est-elle donc si longue, qu’il puisse se livrer à ses ressentiments ? Le nombre des bons est-il donc si grand qu’ils puissent se fuir les uns les autres ?

 ---

 

Les hommes et les livres ont besoin d’être corrigés plus d’une fois pour pouvoir se passer d’errata.

 ---

 

Peu d’hommes savent comprendre jusqu’à quel point la nature harmonise avec notre âme. Ils paraissent ignorer que l’univers, immobile et semblable à une harpe éolienne, dont les vibrations sont plus ou moins rapides, reçoit l’impulsion du souffle de la Divinité.

 ----

 

Le reflet de notre monde intérieur repose sur le monde extérieur, de même que le reflet du ciel sur la mer, tantôt d’un gris funèbre et tantôt d’un éclat azuré.

 

 ---

La beauté n’existe dans aucun objet extérieur, mais dans le sentiment que nous en avons.

 

 ---

Dans les romans comme dans le monde nous n’aimons pas les caractères tout à fait parfaits. Les hommes complètement pervers déplaisent également aux lecteurs et à ceux qui leur ressemblent : il nous faut seulement des hommes à moitié ou aux trois quarts corrompus, tels enfin qu’on les rencontre dans la haute société. 

--- 

D’où vient donc que dans les ouvrages des grands écrivains un esprit invisible nous captive, sans que nous puissions indiquer les mots et les passages qui produisent sur nous cet effet ? Ainsi murmure une antique forêt, sans qu’on voie une seule branche agitée.

 

 ---

 

Un homme ne découvre jamais mieux son caractère qu’en traçant celui d’autrui.

 ---

 

Qu’il est touchant de voir deux amis vieillir ensemble ! la jeunesse semble se prolonger tant que le compagnon de notre jeune âge n’est point perdu.

 ---

L’homme ne s’aperçoit souvent que trop tard combien il a été aimé, combien il a montré d’oubli et d’ingratitude ; il ne comprend que trop tard la grandeur du cœur qu’il a méconnu.

 

 ---

 

Pourquoi vouloir faire partager tous les sentiments de notre cœur à des cœurs étrangers ? – Pourquoi le dictionnaire de la douleur a-t-il tant de mots, et celui de l’ivresse et de l’amour si peu de pages ? – Le génie de l’ivresse et de l’amour ne nous a donné qu’une seule larme, un serrement de main, un accent harmonieux, et nous a dit : « Voilà votre éloquence ! »

 

 ----

L’homme intellectuel est doublement créateur, il crée ses pensées, il crée ses résolutions. Il peut seul se choisir une direction, tandis que tous les corps ne font qu’en recevoir une ; il peut dire : « Je réfléchirai sur un sujet » : et il le fait réellement. Mais n’est-ce pas là vouloir créer des pensées que l’on prévoit ; parce que autrement, on ne pourrait ni les vouloir ni les régler, et que l’on n’a pas cependant, parce que alors, on n’aurait pas besoin de les créer ? Aucune autre puissance que celle de l’intelligence ne peut donc aller ainsi au-devant de l’avenir, et en faire un tableau harmonieux. L’instinct même, quoique tenu en bride et aiguillonné par les organes corporels, lorsqu’il anticipe sur des besoins qui n’agissent pas encore immédiatement, tels que les soins des animaux pour des petits qui ne sont point encore nés, l’instinct, dis-je, suppose déjà l’existence d’une âme. C’est dans l’intelligence seule que règne la faculté de classer et la tendance vers un but, c’est-à-dire l’unité dans la diversité. Les corps ne nous présentent extérieurement que des unités isolées, une intelligence seule en les coordonnant d’avance, ou en les observant ensuite, peut les forcer à une réunion collective qui en fait toute la beauté.

La seconde puissance de l’intelligence, celle des résolutions, est la liberté. Toute la nature est soumise aux lois de la nécessité, mais il faut qu’une force étrangère nous contraigne à obéir à chacune de ces lois. La liberté, au contraire, ne présuppose aucune coercition étrangère, aucune liberté étrangère ; elle n’a besoin que d’elle-même. Celui qui nie la liberté, voulant toujours remonter aux causes, admet à son insu, dans le destin, ou dans une nécessité première et indispensable, un principe indépendant de toute causalité qui n’est autre chose que la liberté.

 

 

 

 

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire