lundi 3 novembre 2025

Oeuvres I - Walter Benjamin

Oeuvres I - Walter Benjamin

 

Présentation

 Adorno, Brecht et Scholem seront les trois auteurs — et à ses yeux les «autorités» intellectuelles — qui ne cesseront de poser des problèmes difficiles à Benjamin, quoique chaque fois de manière différente : problèmes de théorie philosophique, de politique littéraire, de fidélité religieuse et identitaire.

Ce triple «surmoi» de ses amis les plus proches soumet Benjamin à des exigences contradictoires: celle de Scholem, qui défendra toujours les intuitions « théologiques » du premier Benjamin, celles de sa première philosophie du langage, et lui demandera de ne pas se renier au nom de son adhésion au matérialisme ; celle de Brecht, qui, au nom d'un matérialisme radical, suspectera toujours Benjamin de ne pas se défaire de son passé métaphysique et mystique, et donc de ne pas se «renier» suffisamment; celles d'Adorno, enfin, dictées par l’idéal qu'il s'est forgé de la philosophie de Benjamin et qu'il s'efforce par ailleurs de réaliser lui-même, ce qui l'amène à considérer que les travaux de Benjamin restent en deçà de ses attentes légitimes1. C'est néanmoins avec Adomo que, dans les années trente, les convergences sont les plus fortes et les plus nombreuses. Entre ces trois exigences incompatibles, Benjamin cherchera à définir sa position. Lui qui, des années durant, avait philosophé en quelque sorte à son propre compte, finira ainsi par se voir soumis à des exigences particulièrement contraignantes que, de son vivant, il ne parviendra guère à satisfaire. C'est après sa mort seulement qu'il gagnera l’estime des trois parties, notamment à travers ses Thèses sur l’histoire, et qu'il exercera même une influence décisive sur les auteurs de la Dialectique de la Raison.

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Deux poèmes de Friedrich Hôlderlin «Courage de poète» et «Timidité» 

Avant de porter un jugement sur le poème, il faut établir quelle est la tâche du poète. Le jugement ne dépend point de la manière dont le poète s'est acquitté de sa tâche ; c'est au contraire le sérieux et la grandeur de la tâche elle-même qui déterminent le jugement. Car c’est du poème lui-même que s'infère cette tâche. Elle doit être comprise comme le présupposé de la poésie, | comme la structure, à la fois spirituelle et sensible, du monde dont le poème est le témoin. Cette tâche, ce présupposé seront envisagés ici comme l’ultime fondement auquel puisse accéder l'analyse.

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«Toute œuvre d'art possède  en elle un idéal a priori, une nécessité d’exister» (Novalis).
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parente de l'élément mythique : au noyau poétique. La vie, pourrait-on dire, est globalement le noyau poétique des poèmes ; pourtant, plus le poète s’efforce de transposer telle quelle l’unité de vie en unité artistique, plus il se révèle un bousilleur.

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L’objet de Hôlderlin, dans la première version de son poème, est un destin : la mort du poète. 

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Une beauté dont nous ne connaissons pas la source interne désagrège la figure du poète — et, à un degré à peine moindre, celle du dieu — au lieu de lui donner forme. Étrangement, le courage du poète se fonde encore sur un autre ordre, sur un ordre étranger.

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Sur le langage en général et sur le langage humain

Dans ce contexte, le  langage est le principe qui sert à communiquer des contenus spirituels dans les domaines envisagés, technique, art, justice ou religion. En un mot, toute communication de contenus spirituels est un langage, la communication verbale n’étant qu’un cas particulier, celui du langage humain et de ce qui le fonde ou se fonde sur lui (justice, poésie).

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Que communique le langage ? Il communique l'essence spirituelle qui lui correspond. Il est fondamental de savoir que cette essence spirituelle se communique dans le langage et non    lui. Il n'existe donc aucun locuteur de langages si l’on désigne ainsi celui qui se communiqué par ces langages. Dire que l’essence spirituelle se communique dans un langage, et non par lui, signifie que, du dehors, elle n’est pas identique à l'essence linguistique.  

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Croire que l'homme  communique son essence spirituelle par les noms, c’est s'interdire de supposer que l'homme communique réellement son essence spirituelle, — car cela  ne se fait point par des noms de choses, autrement  dit cela ne se fait pas par des mots qui lui serviraient  à désigner une chose. 

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Le nom résume en lui cette totalité intensive du langage comme essence spirituelle de l'homme. L'homme est celui qui nomme, à cela nous reconnaissons que par sa bouche parle le pur langage.

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Dans les choses mêmes, le langage même n'est pas  exprimé de façon parfaite. Cette proposition a un double sens selon qu'on la prend au figuré ou au propre : les langages des choses sont imparfaits, et ils sont muets. Aux choses est refusé le pur principe formel du langage, c'est-à-dire le son. Elles ne peuvent se communiquer les unes aux autres que par une communauté plus ou moins matérielle. Cette communauté est immédiate et infinie, comme celle de toute communication linguistique ; elle est magique (car la matière aussi a sa magie). Ce qui est incomparable dans le langage humain, c'est que sa communauté magique avec lès choses est immatérielle et purement spirituelle, et de ces caractères le son est le symbole. La Bible exprime ce fait symbolique  lorsqu'elle déclare que Dieu insuffla à l'homme le  souffle, c'est-à-dire en même temps vie, esprit et langage.

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L'idiot de Dostoïevski

 Car ce roman, comme toute œuvre d’art, repose sur une idée : selon le mot de Novalis, il contient « un idéal a priori, une nécessité d’exister». Mettre en lumière cette nécessité, voilà l’unique tâche de la critique. Ce qui confère à toute l'intrigue du roman son caractère fondamental, c'est d’être un épisode.

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Sur le programme de la philosophie qui vient

 D'avoir pris conscience que la connaissance philosophique est absolument certaine et apriorique, que la philosophie est par ce côté l’égale de la mathématique, Kant a entièrement perdu de vue que toute connaissance philosophique trouve son unique moyen d’expression dans le langage, et non dans des formules et des nombres. Or c'est ce trait qui devrait finalement se révéler décisif, et c’est à cause de lui qu'il convient finalement d'affirmer la suprématie systématique de la philosophie sur toutes les sciences, y compris la mathématique. 

Destin et caractère

 Destin et caractère sont considérés communément comme unis par un lien causal, le caractère étant défini comme une cause du destin. Cette conception repose sur l’idée suivante : connaîtrait-on, d’une part, le caractère d’un homme dans tous ses détails, c'est-à-dire aussi sa manière de réagir, et connaîtrait-on, d’autre part, les événements du monde dans les domaines où ils affectent ce caractère, on pourrait dire exactement aussi bien ce qui arriverait à celui-ci que ce qu'il effectuerait lui-même. On connaîtrait donc son destin.

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Comme le caractère, le destin ne se laisse entièrement saisir qu’à travers des signes, non en lui-même, car, s'il se peut que tel trait du caractère, tel enchaînement du destin s'offrent immédiatement au regard, l'ensemble cohérent que visent ces concepts n'est jamais disponible autrement que dans des signes, parce qu’il se situe au-delà de ce qui se peut voir immédiatement. Le système des signes caractérologiques est généralement limité au corps, si l'on fait abstraction du sens caractérologique des signes qu'étudie l'horoscope, tandis que, dans la conception traditionnelle, ce ne sont pas seulement les phénomènes corporels, mais aussi tous les événements de la vie extérieure qui peuvent devenir des signes du destin. 

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 Critique de la violence

La tâche d'une critique de la violence peut se définir en disant qu'elle doit décrire la relation de la violence au droit et à la justice- En effet, de quelque manière qu'une cause agisse, elle ne devient violence au sens prégnant du terme, qu'à partir du moment où elle touche à des rapports moraux. 

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Le sens de la distinction entre une violence légitime et une violence illégitime n’est nullement évident. Il faut résolument rejeter l'erreur d’interprétation que commettent les théoriciens du droit naturel lorsqu'ils croient qu'il s'agirait de distinguer la violence  selon quelle s'exerce en faveur de fins justes ou injustes. Bien plutôt, comme on l’a déjà indiqué, le droit positif exige que toute violence lui présente,

 quant à son origine historique, un document justificatif capable, sous certaines conditions, de la légitimer, de la sanctionner. Etant donné que la reconnaissance des forces du droit se manifeste le plus évidemment par la soumission, en principe sans résistance, à leurs fins, le principe de distinction des violences doit se fonder sur la présence ou sur l’absence d'une reconnaissance historique universelle de leurs fins. On peut appeler fins naturelles celles à qui manque cette reconnaissance, et les autres, fins légales. Plus précisément, la fonction diversifiée de la violence, selon qu elle est au service de fins naturelles ou de fins légales, peut être démontrée de la manière la plus évidente en partant de situations juridiques déterminées, quelles qu'elles soient. Pour simplifier, dans les développements qui suivent, on se référera à la situation qui prévaut actuellement en Europe.
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Que la violence, lorsqu’elle ne se trouve pas entre les mains du droit chaque fois établi, ne constitue pas une menace pour lui par les fins auxquelles elle peut viser, mais bien par sa simple existence hors du droit. On trouve de cette hypothèse une confirmation plus éclatante si l'on songe que très souvent déjà la figure du « grand » criminel, si répugnantes qu'aient pu être ses fins, a provoqué la secrète admiration du peuple.

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Toute violence est, en tant que moyen, soit fondatrice, soit conservatrice de droit. Lorsqu’elle ne prétend à aucun de ces deux attributs, elle renonce d’elle-même à toute validité. Mais il s'ensuit que, même dans le meilleur des cas, toute violence, en tant que moyen, a part à la problématique du droit en général. 

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La tâche du traducteur


 Une traduction est-elle faite pour les lecteurs qui ne comprennent pas l'original ? Cela suffit, semble-t-il, pour expliquer la différence de niveau artistique entre une traduction et l'original. C’est en outre, semble-t-il, la seule raison qu'on puisse avoir de redire «la même chose». 

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Pour ce que le traducteur ne peut rendre qu’en faisant lui-même œuvre de poète? D'où, en effet, un second signe caractéristique de la mauvaise traduction, qu'il est par conséquent permis de définir comme une transmission inexacte d'un contenu inessentiel.

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La traduction est une forme. Pour la saisir comme telle, il faut revenir à l'original. Car c'est lui, par sa traductibilité, qui contient la loi de cette forme. La question de la traductibilité d'une œuvre est ambiguë.

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En disant que certaines œuvres sont par essence traduisibles, on n’affirme pas que la traduction est essentielle pour elles, mais que leur traductibilité exprime une certaine signification, immanente aux originaux. Qu’une traduction, si bonne soit-elle, ne puisse jamais rien signifier pour l'original, c'est évident. Néanmoins, grâce à la traductibilité de l'original, la traduction est avec lui en très étroite corrélation. 

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Car la traduction vient après l'original et, pour les œuvres importantes, qui ne trouvent jamais leur traducteur prédestiné au temps de leur naissance, elle caractérise le stade de leur survie

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Fragment théologico-politique

Seul le messie lui-même achève tout devenir historique, en ce sens que seul il rachète, achève, crée la relation de ce devenir avec l'élément messianique lui-même. C'est pourquoi aucune réalité historique ne peut d'elle-même vouloir se rapporter au plan messianique. C'est pourquoi Je royaume de Dieu n'est pas le telos de la dunamis historique ; il ne peut être posé comme but. Historiquement, il n’est pas un but, il est un terme. C'est pourquoi l'ordre du profane ne peut être bâti sur l'idée du royaume de Dieu, c’est pourquoi la théocratie n'a pas un sens politique, mais seulement un sens religieux. Le plus grand mérite de L'Esprit de l'utopie de Bloch est d'avoir vigoureusement refusé toute signification politique à la théocratie.
 

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