dimanche 24 mars 2024

Mémoires - Saint-Simon

Mémoires - Saint-Simon


Écrire l’histoire de son pays et de son temps, c’est repasser dans son esprit avec beaucoup de réflexion tout ce qu’on a vu, manié, ou su d’original, sans reproche, qui s’est passé sur le théâtre du monde, et les diverses machines, souvent les riens apparents, qui ont mû les ressorts des événements qui ont eu le plus de suite et qui en ont enfanté d’autres ; c’est se montrer à soi-même pied à pied le néant du monde, de ses craintes, de ses désirs, de ses espérances, de ses disgrâces, de ses fortunes, de ses travaux ; c’est se convaincre du rien de tout par la courte et rapide durée de toutes ces choses et de la vie des hommes ; c’est se rappeler un vif souvenir que nul des heureux du monde ne l’a été, et que la félicité, ni même la tranquillité, ne peut se trouver ici-bas ; c’est mettre en évidence que, s’il étoit possible que cette multitude de gens de qui on fait une nécessaire mention avoit pu lire dans l’avenir le succès de leurs peines, de leurs sueurs, de leurs soins, de leurs intrigues, tous, à une douzaine près tout au plus, se seroient arrêtés tout court dès l’entrée de leur vie, et auroient abandonné leurs vues et leurs plus chères prétentions ; et que de cette douzaine encore, leur mort, qui termine le bonheur qu’ils s’étoient proposé, n’a fait qu’augmenter leurs regrets par le redoublement de leurs attaches, et rend pour eux comme non avenu tout ce à quoi ils étoient parvenus.

jeudi 14 mars 2024

Mémoires – Cardinal de Retz

Mémoires – Cardinal de Retz

La seconde observation que nous fîmes fut que tout ce que nous lisons dans la vie de la plupart des hommes est faux.

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Comme j’étais obligé de prendre les ordres, je fis une retraite dans Saint-Lazarre, où je donnai à l’extérieur toutes les apparences ordinaires. L’occupation de mon intérieur fut une grande et profonde réflexion sur la manière que je devais prendre pour ma conduite.

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Le cardinal Mazarin était d’un caractère tout contraire : sa naissance était basse, son enfance honteuse.

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Je trouvai dans ce moment que le dégoût que j’avais déjà remarqué dans son esprit était changé en colère et même en indignation. Il me dit, en jurant, qu’il n’y avait plus moyen de souffrir l’insolence et l’impertinence de ces bourgeois, qui en voulaient à l’autorité royale ; que tant qu’il avait cru qu’ils n’avoient eu pour but que le Mazarin, il avait été pour eux ; que je lui avais moi-même confessé plus de trente fois qu’il n’y avait aucunes mesures bien sûres à prendre avec des gens qui ne peuvent jamais se répondre d’eux-mêmes d’un quart-d’heure à l’autre, parce qu’ils ne peuvent jamais se répondre un instant de leurs compagnies  ; qu’il ne se pouvait résoudre à devenir le général d’une armée de fous, n’y ayant pas un homme sage qui pût s’engager dans une cohue de cette nature ; qu’il était prince du sang ; qu’il ne voulait pas ébranler l’État, que si le parlement eût pris la conduite dont on était demeuré d’accord, on l’eût redressé ; mais qu’agissant comme il faisait, il prenait le chemin de le renverser. M. le prince ajouta à cela tout ce que vous pouvez vous figurer de réflexions publiques et particulières. Voici en propres paroles ce que je lui répondis :

« Je conviens, monsieur, de toutes les maximes générales ; permettez-moi, s’il vous plaît, de les appliquer au fait particulier. Si le parlement travaille à la ruine de l’État, ce n’est pas qu’il ait intention de le ruiner. Nul n’a plus d’intérêt au maintien de l’autorité royale que les officiers : tout le monde en convient. Il faut donc reconnaître de bonne foi que lorsque les compagnies souveraines font du mal, ce n’est que parce qu’elles ne savent pas bien faire le bien même qu’elles veulent. La capacité d’un ministre qui sait ménager les particuliers et les corps les tient dans l’équilibre où elles doivent être naturellement, et dans lequel elles réussissent, par un mouvement qui balance ce qui est de l’autorité des princes et de l’obéissance des peuples. L’ignorance de celui qui gouverne aujourd’hui ne lui laisse ni assez de vue ni assez de force pour régler les poids de cette horloge. Les ressorts en sont mêlés : ce qui n’était que pour modérer le mouvement veut le faire, et je conviens qu’il le fait mal, parce qu’il n’est pas lui-même fait pour cela : voilà où gît le défaut de notre machine.

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L'un des plus grands défauts des hommes est qu'ils cherchent presque toujours, dans les malheurs qui leur arrivent par leurs fautes, des excuses devant que d'y chercher des remèdes ; ce qui fait qu’ils y trouvent très souvent trop tard les remèdes, qu’ils n’y cherchent pas d’assez bonne heure.

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Je revins à Paris, ayant fait tout ce que j’avais souhaité. J’avais effacé le soupçon que les frondeurs fussent contraires au retour du Roi ; j’avais jeté sur le cardinal toute la haine du délai ; je l’avais bravé dans son trône ; je m’étais assuré l’honneur principal du retour. Il y eut le lendemain un libelle qui mit tous ces avantages dans leur jour.

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Vous comprenez aisément l’émotion de Paris dans le cours de la matinée que je viens de vous décrire. La plupart des artisans avoient leurs mousquets auprès d’eux, en travaillant dans leurs boutiques. Les femmes étaient en prières dans les églises ; mais ce qui est encore vrai, c’est que Paris fut plus touché l’après-dînée de la crainte de retomber dans le péril, qu’il ne l’avait été le matin de s’y voir. La tristesse parut universelle sur les visages de tous ceux qui n’étaient pas tout-à-fait engagés à l’un ou à l’autre des partis. La réflexion, qui n’était plus divertie par le mouvement, trouva sa place dans les esprits de ceux même qui y avoient le plus de part. M. le prince dit au comte de Fiesque, au moins à ce que celui-ci raconta le soir publiquement « Paris a failli aujourd’hui à être brûlé ; quel feu de joie pour le Mazarin ! Et ce sont ses deux plus capitaux ennemis qui ont été sur le point de l’allumer. » Je concevais de mon côté que j’étais sur la pente du plus fâcheux et du plus dangereux précipice où un particulier se fût peut-être jamais trouvé.

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La première réflexion que je fis sur ces paroles fut que la plus grande imperfection des hommes est la complaisance qu’ils trouvent à se persuader que les autres ne sont pas exempts des défauts qu’ils se reconnaissent à eux-mêmes.

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M. le duc d’Orléans prit la parole ensuite. Il dit que le cardinal Mazarin était arrivé le 25 à Sedan ; que les maréchaux d’Hocquincourt et de La Ferté l’allaient joindre avec une armée pour le conduire à la cour ; et qu’il était temps de s’opposer à ses desseins, desquels on ne pouvait plus douter. Je ne puis vous exprimer à quel point alla le soulèvement des esprits : l’on eut peine à attendre que les gens du Roi eussent pris leurs conclusions, qui furent à faire partir incessamment les députés pour aller trouver le Roi, et déclarer dès à présent le cardinal Mazarin et ses adhérents criminels de lèse-majesté ; à enjoindre aux communes de leur courir sus à défendre aux maires et échevins des villes de leur donner passage ; à vendre sa bibliothèque et tous ses meubles. L’arrêt ajouta que l’on prendrait préférablement sur le prix la somme de cent cinquante mille livres pour être donnée à celui qui représenterait le cardinal vif ou mort. À cette parole, tous les ecclésiastiques se levèrent, pour la raison que j’ai marquée dans une pareille occasion.

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Si la révolution vient par la lassitude des peuples, en êtes-vous mieux ? Et cette lassitude, de laquelle l’on se prend toujours à ceux qui ont le plus brillé dans le mouvement, ne peut-elle pas corrompre et tourner contre vous-même la sage inaction dans laquelle vous êtes demeuré depuis quelque temps ? Voilà, ce me semble, ce que vous pouvez prévoir ; mais voilà aussi ce que vous ne pouvez éviter, qu’en en trouvant l’issue avant que la guerre civile se termine par l’un ou l’autre de ces moyens que je viens de vous expliquer.

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jeudi 7 mars 2024

Malina - Ingeborg Bachmann

Malina - Ingeborg Bachmann

Seule la désignation du temps a été laborieuse : dire « aujourd’hui », comme on le dit chaque jour, m’est presque impossible ; moi, quand des gens me font part de leurs projets pour aujourd’hui, ce n’est pas, comme on le croit volontiers, un regard absent, c’est un regard très attentif au contraire, que je prends, perplexe, tant mes rapports sont difficiles avec cet « aujourd’hui » que je peux seulement franchir en toute hâte, dans la plus grande angoisse, dont je peux écrire, ou dire seulement, dans la plus grande angoisse, ce qui s’y passe ; car ce qu’on écrit sur aujourd’hui, on devrait aussitôt le détruire, comme on déchire, froisse, laisse inachevées, inexpédiées, les lettres réelles, parce qu’étant d’aujourd’hui, il n’est pas d’aujourd’hui où elles puissent être reçues.

Nul n’est mieux fait pour comprendre le mot « aujourd’hui » que celui qui a écrit un jour, pour la déchirer ensuite, quelque lettre affreusement suppliante. Et qui ne connaît ces billets presque illisibles : « Venez, pour peu que vous le puissiez, le vouliez, de grâce ! A cinq heures au café Landtmann ! » Ou ces télégrammes : « Prière appeler immédiatement  stop aujourd’hui encore », ou « Impossible aujourd hui » ?

Aujourd'hui est un mot auquel les suicidés seuls devraient avoir droit, pour tous les autres il n’a aucun sens, il désigne un jour quelconque, « aujourd’hui » justement, ils savent ce qui les y attend : leurs huit heures de travail ou un jour de congé, tel ou tel trajet, quelques courses, la lecture du journal du soir ou du matin, le thé, un oubli, un rendez-vous, un coup de téléphone ; une journée bien remplie, pas trop remplie si possible.

Moi en revanche, quand je dis « aujourd’hui », ma respiration se précipite, l’arythmie dès maintenant constatée à l’électro-cardiogramme s’installe, et si le tracé ne montre pas que la cause en est mon « aujourd’hui » — toujours nouveau, lui, oppressant — je peux produire la preuve saccadée de ce trouble, de quelque chose qui précède la crise d’angoisse, qui m’y prédispose, qui me met en condition : trouble encore purement fonctionnel pour le moment, à ce que disent, à ce que pensent les spécialistes. Mais moi, j’ai peur que ce qui est trop démesuré, trop bouleversant pour moi, et le restera, pathologiquement, jusqu’à la fin, pour mon cœur, ne soit rien d’autre que cet « aujourd’hui ».

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4e question : ...? (reprise)

Réponse : Les livres? Oui, je lis beaucoup, j’ai toujours beaucoup lu. Non, je ne suis pas sûre que nous nous comprenions. Je lis de préférence par terre, ou sur mon lit, presque toujours couchée, ce qui compte, c’est moins les livres que la lecture, le noir et blanc, les lettres, les syllabes, les lignes, ces signes indélébiles, fixation de notre délire. Croyez-moi, l’expression est délire, elle naît de notre délire. Ce qui compte aussi, c’est le fait de feuilleter, de courir, de fuir d’une page à l’autre, complice de cet épanchement coagulé ; ce qui joue c’est la bassesse d’un enjambement, l’unique phrase qui assure votre vie, et la vie qui réassure vos phrases. Lire est un vice qui peut tenir lieu de tous les autres, ou quelquefois nous aider, plus efficacement qu’eux, à vivre, c’est une débauche, une intoxication. Non, je ne prends pas de drogue, seulement des livres, j’ai mes préférences naturellement, beaucoup de livres ne me réussissent pas, il y en a que je ne prends que le matin, d’autres que la nuit, il y en a que je ne lâche pas, je les traîne du salon à la cuisine, je les lis debout au corridor, je n'emploie pas de signets, je ne remue pas les lèvres en usant, j’ai appris à lire très tôt et très bien, je ne me rappelle pas la méthode, elle devait être excellente dans nos écoles primaires de province, du moins de mon temps.



Toute personne qui tombe a des ailes - Ingeborg Bachmann

Toute personne qui tombe a des ailes - Ingeborg Bachmann

"Je."

 [...]

C’est pourquoi je ne suis toujours qu’un
Je suis toujours je
Si je m’élève, je m’élève très haut
Si je tombe, je tombe entièrement. 

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Profession de foi


Je ne peux vivre sans ressentir la présence toujours
D’une étincelle de feu clair.
Mon cœur préfère errer éternellement
Que se rafraîchir dans le courant du jour.

Je cherche l’amour aux ultimes confins
Et brûle de me dissoudre enfin,
Quand bien même tous les appuis me lâchent,
Me jouant aux mains du Malin.

Je me tiens rayonnante devant les plus profonds abîmes,
afin de connaître3 leur sens ultime
Et il m’est permis aux heures magiques
D’aller à l’origine, au fond des énigmes.

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Angoisses


Que restera-t-il donc ?
Je soupire, souffre, cherche,
et mes pérégrinations n’en finiront jamais.
L’ombre obscure
que je suis depuis le début
me mène dans de profondes solitudes hivernales.
Là, je reste sans bouger.
L’air gelé caresse mes cheveux
et le froid s’enflamme au contact de mes membres.
Un silence de mort joue des mélodies à danser
qui n’en finissent pas sur elles-mêmes de tourner.
Des fantômes bleus surgissent dans l’espace. —
Les défunts, qui s’égarèrent avant moi,
exigent en seigneurs un ancien droit.
Les voilà payés avec des fleurs
qui ont vu bien des étés
et cet hiver se cassent et choient.
Les arbres couvait le froid en silence
et les larmes qu’éclat de lune m’arracha,
pommes de pin décharnées, se pendent dans la glace.
Comme là-bas, de l’autre côté, sur la pente du glacier,
les hommes depuis longtemps disparus répandirent
        leur sang,
ainsi je marche sur leurs pas pour les imiter.
Je tends l’oreille au-devant des siècles
et ne veux y être tout à fait éteinte.
A l'ombre qui veut aller si loin
j'essaie d'imposer mes traces,
craignant seulement de me prodiguer en vain.

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Ton ombre est également une lumière
qui s’étend infiniment
Un son venu des profondeurs de la mer
Sur la corde de silence un chant.

Elle est la douleur à vif, étrangère
Et angoisse dans les rêves
Elle pousse un cri en se déchaînant
Dans un lâcher d’écume bouillonnant.

Dans la plus belle des nuits étoilées
La fraîcheur tout autour s’épanouit
Et sur le monde transfiguré
Une incandescence élevée jaillit.

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Le monde est vaste et nombreux sont les chemins de
    pays en pays,
je les ai tous connus, ainsi que les lieux-dits,
de toutes les tours j’ai vu des villes,
les êtres qui viendront et qui déjà s’en vont.
Vastes étaient les champs de soleil et de neige,
entre rails et rues, entre montagne et mer.
Et la bouche du monde était vaste et pleine de voix à
    mon oreille
elle prescrivait, de nuit encore, les chants de la diversité.
D’un trait je bus le vin de cinq gobelets,
quatre vents dans leur maison changeante sèchent mes
    cheveux mouillés.

Le voyage est fini,
pourtant je n’en ai fini de rien,
chaque lieu m’a pris un fragment de mon amour,
chaque lumière m’a consumé un œil,
à chaque ombre se sont déchirés mes atours.

Le voyage est fini.
À chaque lointain je suis encore enchaînée,
pourtant aucun oiseau ne m’a fait franchir les frontières
pour me sauver, aucune eau, coulant vers l’estuaire,
n’entraîne mon visage, qui regarde vers le bas,
n’entraîne mon sommeil, qui ne veut pas voyager...
Je sais le monde plus proche et silencieux.

Derrière le monde il y aura un arbre
aux feuilles de nuages
et à la cime d’azur.
Dans son écorce en ruban rouge de soleil
le vent taille notre cœur
et le rafraîchit de rosée.

Derrière le monde il y aura un arbre,
à sa cime un fruit
dans une peau en or.
Regardons de l’autre côté
quand à l’automne du temps,
dans les mains de Dieu il roulera !

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Un monologue du Prince Myschkin pour L'Idiot, pantomine-ballet

 

C’est cela aussi le monde :
une étoile du matin que nous habitons
dans l’enfance ; répartie aux fontaines
comme contenu et pluie des heures,
comme provision de temps serein.
Cela aussi est déjà l’esprit, la monotonie
d’un jeu misérable et joyeux, l’escarpolette
dans le vent et un rire en haut et en bas ;
c’est cela le but, ne pas être
obsédé par nous-même
et manquer chaque but ;
et c’est cela aussi la musique,
avec une note insensée,
toujours la même,
poursuivre un air
qui nous en promet un autre plus tard.

Ne tombe pas dans le tumulte de l’orchestre
dans lequel le monde joue faux.
C’est ta chute si tu décoches maintenant
ton arc en pure perte et parles avec ta chair
une langue éphémère.

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Va, pensée


Va, pensée, tant qu’un mot clair prêt au vol
est ton aile, te soulève et va là
où les métaux légers se bercent,
où l’air est tranchant
dans un nouvel entendement,
où les armes parlent
de façon univoque.
Là combats pour nous !

La vague souleva un bois flotté et sombre.
La fièvre t’attira à elle, te laisse tomber.
La foi n’a déplacé qu’une montagne.

Laisse en place ce qui est en place, va, pensée

pénétrée de rien d’autre que de notre douleur.
Corresponds-nous entièrement !

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En vérité
 

                                Pour Anna Akhmatova

Celui à qui un mot n’a jamais fait perdre sa langue,
et je vous le dis,
celui qui ne sait que s’aider soi-même
et avec les mots —

il n’y a rien à faire pour l’aider.
Par aucun chemin,
qu’il soit court ou long.

Faire qu’une seule phrase soit tenable,
la maintenir dans le tintamarre des mots.

Nul n’écrit cette phrase
qui n’y souscrit.

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Une sorte de perte


Utilisés en commun : des saisons, des livres et une
    musique.
Les plats, les tasses à thé, la corbeille à pain, des draps
    et un lit.
Un trousseau de mots, de gestes, apportés, employés,
    usés.
Respecté un règlement domestique. Aussitôt dit,
    Aussitôt fait. Et toujours tendu la main.


De l'hiver, d'un septuor viennois et de l'été je me suis
    éprise.
De cartes, d'un nid de montagne, d'une plage et d'un
    lit.
Voué un culte aux dates, déclaré les promesses
    irrévocables,
porté aux nues un Quelque chose et pieusement vénéré
    un Rien,


(- le journal plié, la cendre froide, un message sur un
    bout de papier)
intrépide en religion, car ce lit était l'église.


La vue sur la mer produisait ma peinture inépuisable.
Du haut du balcon il fallait saluer les peuples, mes
    voisins.

Près du feu de cheminée, en sécurité, mes cheveux
    avaient leur couleur extrême.
Un coup de sonnet à la porte était l'alarme pour ma
    joie.

Ce n'est pas toi que j'ai perdu,
c'est le monde.

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Être toujours dans les mots, qu’on le veuille ou non,
Être toujours en vie, pleine de mots pour la vie,
comme si les mots étaient en vie, comme si la vie était
    en mots.

Il en est tout autrement, croyez-moi.
Entre un mot et une chose
il n’y a que toi pour t’infiltrer,
comme auprès d’un malade tu es auprès des deux
puisque aucun ne se presse jamais auprès de l’autre
tu goûtes un son et un corps
tu goûtes les deux jusqu’à la lie.

Cela a goût de mort.

Cependant mort et vie, les deux cela existe-t-il,
qui sait,
puisqu’il y a tant de mort de lointain en moi
tant de mort m’a
moi qui suis morte aussi
déjà emportée.

une amie, qui autrefois me connaissait,
un vase, dans lequel je bus à ta santé

Erewhon - Samuel Butler

Erewhon - Samuel Butler

Mais avec le perfectionnement graduel de la civilisation et l’augmentation de la prospérité matérielle, les gens commencèrent à mettre en question des choses qu’ils avaient jusqu’alors acceptées sans discussion ; et un certain vieux monsieur qui avait beaucoup d’influence sur eux à cause de la pureté de sa vie et parce qu’on le croyait inspiré par une puissance invisible (dont on commençait à sentir l’existence), s’avisa de se mettre en peine au sujet des droits des animaux, dont jusqu’alors personne ne s’était préoccupé. ,

Tous les prophètes sont plus ou moins enclins à faire beaucoup de bruit pour rien, et ce vieux monsieur semble y avoir été des plus enclins.

Entretenu aux frais de la nation, il avait de grands loisirs, et, non content de s'occuper des droits des animaux, il voulut aussi fixer les règles du juste et de l’injuste, considérer quels sont les fondements du devoir, du bien et du mal, et en somme établir sur une base logique toutes sortes de choses que les gens pour qui le temps est de l’argent acceptent telles quelles.

Naturellement la base sur laquelle il décida que le devoir devait uniquement reposer, se trouva trop étroite pour que beaucoup des vieilles habitudes du peuple pussent s’y loger. Il leur affirma donc que ces vieilles habitudes étaient toutes mauvaises, et chaque fois que quelqu'un osait être d’une opinion contraire à la sienne, il en appelait à la puissance invisible avec laquelle il était seul en communication directe, et la puissance invisible lui donnait invariablement raison