mercredi 28 janvier 2015

Pascal – Pensées



Pascal – Pensées

SECTION I. PAPIERS CLASSÉS

I. ORDRE

2-227 Ordre par dialogues.

Que dois-je faire. Je ne vois partout qu'obscurités. Croirai-je que je ne suis rien? Croirai-je que je suis dieu ?

7-248 Lettre qui marque l'utilité des preuves. Par la Machine.

La foi est différente de la preuve. L'une est humaine et l'autre est un don de Dieu.

10-167 Les misères de la vie humaine ont fondé tout cela. Comme ils ont vu cela ils ont pris le divertissement.

II VANITÉ

13-133 Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier font rire ensemble par leur ressemblance.

24-127 Condition de l'homme. Inconstance, ennui, inquiétude.

28-436 Faiblesse.

Nous sommes incapables et de vrai et de bien.

33-374 Ce qui m'étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonné de sa faiblesse.

On agit sérieusement et chacun suit sa condition, non pas parce qu'il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure et par une plaisante humilité on croit que c'est sa faute et non pas celle de l'art qu'on se vante toujours d'avoir.

39-141 Les hommes s'occupent à suivre une balle et un lièvre : c'est le plaisir même des rois.

44-82 Imagination

C'est cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours, car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge. Encore Mais, étant le plus souvent fausse elle ne donne aucune marque de sa qualité marquant du même caractère le vrai et le faux. Je ne parle pas des fous, je parle des plus sages, et c'est parmi eux que l'imagination a le grand droit de persuader les hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses.

Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer

combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. Elle fait croire, douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait sentir. Elle a ses fous et ses sages.

S'ils avaient la véritable justice, et si les médecins avaient le vrai art de guérir ils n'auraient que faire de bonnets carrés

L'imagination dispose de tout; elle fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le. tout du monde.


S'ils y arrivent ils en écachent la pointe et appuient tout autour plus sur le faux que sur le vrai.


45-83 Les sens abusent la raison par de fausses apparences.

47-172 Nous ne nous tenons jamais au temps présent.
Nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige, et s'il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à l'avenir.
Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

48-366 L'esprit de ce souverain juge du monde n'est pas si indépendant qu'il ne soit sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui.

III. MISÈRE

60-

De cette confusion arrive que l'un dit que l'essence de la justice est l'autorité du législateur, l'autre la commodité du souverain, l'autre la coutume présente, et c'est le plus sûr.

66-326 Injustice.

Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n'y obéit qu'à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il faut lui dire en même temps qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs non pas parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs.

70-165bis Si notre condition était véritablement heureuse il ne faudrait pas nous divertir d'y penser.

72-66 Il faut se connaître soi-même. Quand cela ne servirait pas à trouver le vrai cela au moins sert à régler sa vie, et il n'y a rien de plus juste.

73-110 Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents et l'ignorance de la vanité des plaisirs absents cause l'inconstance.

75-389 L'Ecclésiaste montre que l'homme sans Dieu est dans l'ignorance de tout et dans un malheur inévitable, car c'est être malheureux que de vouloir et ne pouvoir. Or il veut être heureux et assuré de quelque vérité. Et cependant il ne peut ni savoir ni ne désirer point de savoir. Il ne peut même douter.

IV. ENNUI

77-152 Orgueil.

Curiosité n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler, autrement on ne voyagerait pas sur la mer pour ne jamais en rien dire et pour le seul plaisir de voir, sans espérance d'en jamais communiquer.

78-126 Description de l'homme. Dépendance, désir d'indépendance, besoins.

79-128 L'ennui qu'on a de quitter les occupations où l'on s'est attaché. Un homme vit avec plaisir en son ménage; qu'il voie une femme qui lui plaise, qu'il joue 5 ou 6 jours avec plaisir, le voilà misérable s'il retourne à sa première occupation. Rien n'est plus ordinaire que cela.

V. RAISONS DES EFFETS

83-327 Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle qui est le vrai siège de l'homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent, la première est la pure ignorance naturelle Où se trouvent tous les hommes en naissant, l'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir trouvent qu'ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis, mais c'est une ignorance savante qui se connaît

92-335 Raison des effets.
Il est donc vrai de dire que tout le monde est dans l'illusion, car encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n'est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Il est vrai qu'il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

103-298 + Justice, force.

La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique.


VI. GRANDEUR

113-348 Roseau pensant.

Ce n'est point de l'espace que je dois chercher ma dignité, mais c'est du règlement de ma pensée. Je n'aurai point d'avantage en possédant des terres. Par l'espace l'univers me comprend et m'engloutit comme un point : par la pensée je le comprends.

118-402 Grandeur de l'homme dans sa concupiscence même, d'en avoir su tirer un règlement admirable et en avoir fait un tableau de charité.

VII. CONTRARIÉTÉS

119-423 Contrariétés. Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l'homme. Que l'homme maintenant s'estime son prix. Qu'il s'aime, car il y a en lui une nature capable de bien; mais qu'il n'aime pas pour cela les bassesses qui y sont. Qu'il se méprise, parce que cette capacité est vide; mais qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haïsse, qu'il s'aime : il a en lui la capacité de connaître la vérité et d'être heureux; mais il n'a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante.


122-416 APR. Grandeur et Misère.

En un mot l'homme connaît qu'il est misérable. Il est donc misérable puisqu'il l'est, mais il est bien grand puisqu'il le connaît.

124-125 Contrariétés.

L'homme est naturellement crédule, incrédule, timide, téméraire.

127-415 La nature de l'homme se considère en deux manières, l'une selon la fin, et alors il est grand et incomparable; l'autre selon la multitude, comme on juge de la nature du cheval et du chien par la multitude, d'y voir la course et animum arcendi, et alors l'homme est abject et vil.

131-

Quelle chimère est-ce donc que l'homme? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradictions, quel prodige? Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers.


VIII. DIVERTISSEMENT

132-170 Divertissement - Si l'homme était heureux il le serait d'autant plus qu'il serait moins diverti, comme les saints et Dieu. Oui; mais n'est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement?

133-168 Divertissement.

Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser.

136-139 Divertissement.

j'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.
s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit.

(L'unique bien des hommes consiste donc à être divertis de penser à leur condition ou par une occupation qui les en détourne, ou par quelque passion agréable et nouvelle qui les occupe, ou par le jeu, la chasse, quelque spectacle attachant, et enfin par ce qu'on appelle divertissement.)

De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu'on court; on n'en voudrait pas s'il était offert.
Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.

Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs.

Ainsi s'écoule toute la vie; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l'ennui qu'il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte.


B.   Ainsi l'homme est si malheureux qu'il s'ennuierait même sans aucune cause d'ennui par l'état propre de sa complexion. Et il est si vain, qu'étant plein de mille causes essentielles d'ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu'il pousse, suffisent pour le divertir.

Un amusement languissant et sans passion l'ennuiera. Il faut qu'il s'y échauffe, et qu'il se pipe lui-même en s'imaginant qu'il serait heureux de gagner ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui donnât à condition de ne point jouer, afin qu'il se forme un sujet de passion et qu'il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte pour cet objet qu'il s'est formé comme les enfants qui s'effraient du visage qu'ils ont barbouillé.

L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement le voilà heureux pendant ce temps-là, et l'homme quelqu'heureux qu'il soit s'il n'est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement, qui empêche l'ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n'y a point de joie; avec le divertissement il n'y a point de tristesse.

139-143 Divertissement.


Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure.

XI. A. P. R.

149-430 A. P. R.

Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être. Le nombre infini, un espace infini égal au fini.

XII. COMMENCEMENT

152-213 Entre nous et l'enfer ou le ciel il n'y a que la vie entre deux qui est la chose du monde la plus fragile.

XIV. EXCELLENCE

189-547 Dieu par J.-C.

Nous ne connaissons Dieu que par J.-C. Sans ce médiateur est ôtée toute communication avec Dieu. Par J.-C. nous connaissons Dieu.

197-163 bis (Rien ne montre mieux la vanité des hommes que de considérer quelle cause et quels effets de l'amour, car tout l'univers en est changé. Le nez de Cléopâtre.)

198-693 H. 5. En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet et l'homme sans lumière abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l'univers sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s'éveillerait sans connaître et sans moyen d'en sortir.


Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de comprendre les extrêmes; la fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable.

Également - incapable de voir le néant d'où il est tiré et l'infini où il est englouti.



Connaissons donc notre portée. Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous avons d'être nous dérobe la connaissance des premiers principes qui naissent du néant, et le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini.



















Si l'homme s'étudiait il verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu'une partie connût le tout?

200-347 H. 3. - L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. I l ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser; une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt et l'avantage que l'univers a sur lui. L'univers n'en sait rien.


XVI. FAUSSETÉ DES AUTRES RELIGIONS

210-451 Tous les hommes se haïssent naturellement l'un l'autre. On s'est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public. Mais ce n'est que feindre et une fausse image de la charité, car au fond ce n'est que haine.

XXIV. PROPHÉTIES

343-695 Prophéties. Le grand Pan est mort.

XXVI. MORALE CHRÉTIENNE

351-537 Le christianisme est étrange; il ordonne à l'homme de reconnaître qu'il est vil et même abominable, et lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel contrepoids cette élévation le rendrait horriblement vain, ou cet abaissement le rendrait horriblement abject.

352-526 La misère persuade le désespoir. L'orgueil persuade la présomption.

L'incarnation montre à l'homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu'il a fallu

373-476 Il faut n'aimer que Dieu et ne haïr que soi.

SECTION II. PAPIERS NON CLASSÉS

SÉRIE III Qu’ils apprennent...

427-194 ...

Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir; mais ce que j'ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter.

«   Comme je ne sais d'où je viens, aussi je ne sais où je vais; et je sais seulement qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois être éternellement en partage. Voilà mon état. plein de faiblesse et d'incertitude. Et, de tout cela, je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m'arriver. Peut-être que je pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes; mais je n'en veux pas prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher; et après, en traitant avec mépris ceux qui se travailleront de ce soin - (quelque certitude qu'ils en eussent, c'est un sujet de désespoir, plutôt que de vanité) --je veux aller, sans prévoyance et sans crainte, tenter un si grand événement, et me laisser mollement conduire à la mort, dans l'incertitude de l'éternité de ma condition future. »

Qui souhaiterait d'avoir pour ami un homme qui discourt de cette manière? qui le choisirait entre les autres pour lui communiquer ses affaires? qui aurait recours à lui dans ses afflictions? et enfin à quel usage de la vie on le pourrait destiner?



Mais pour ceux qui vivent sans le connaître et sans le chercher, ils se jugent eux-mêmes si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont pas dignes du soin des autres et qu'il faut avoir toute la charité de la religion qu'ils méprisent pour ne les pas mépriser jusqu'à les abandonner dans leur folie.

428-195 Avant que d'entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve nécessaire de représenter l'injustice des hommes qui vivent dans l'indifférence de chercher la vérité d'une chose qui leur est si importante, et qui les touche de si près.

Car il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant, que l'état de la mort est éternel, de quelque nature qu'il puisse être, et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon l'état de cette éternité, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier objet.




Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité

à   ceux qui y passent leur vie, en la leur représentant à eux-mêmes, pour les confondre par la vue de leur folie. Car voici comme raisonnent les hommes quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont et sans rechercher d'éclaircissement. « Je ne sais », disent-ils.
429-229 Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu'obscurité.

434-199 Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns et les autres avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour. C'est l'image de la condition des hommes.

SÉRIE V

443-863 Tous errent d'autant plus dangereusement qu'ils suivent chacun une vérité; leur faute n'est pas de suivre une fausseté, mais de ne pas suivre une autre vérité.

446-586 S'il n'y avait point d'obscurité, l'homme ne sentirait point sa corruption; s'il n'y avait point de lumière, l'homme n'espérerait point de remède. Ainsi, il est non seulement juste, mais utile pour nous que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu'il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu.

449-556 ...

Ceux qui s'égarent ne s'égarent que manque de voir une de ces deux choses. On peut donc bien connaître Dieu sans sa misère, et sa misère sans Dieu; mais on ne peut connaître Jésus-Christ sans connaître tout ensemble et Dieu et sa misère.


SÉRIE XIX

502-571 Raisons pourquoi figures.


Car il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes : la cupidité et la charité.

SÉRIE XXI

511-2

Il y a donc deux sortes d'esprit, l'une de pénétrer vivement et profondément les conséquences des principes, et c'est là l'esprit de justesse. L'autre de comprendre un grand, nombre de principes sans les confondre et c'est là l'esprit de géométrie. L'un est force et droiture d'esprit. L'autre est amplitude d'esprit. Or l'un peut bien être sans l'autre, l'esprit pouvant être fort et étroit, et pouvant être aussi ample et faible.

SÉRIE XXIII

529-105 Qu'il est difficile de proposer une chose au jugement d'un autre sans corrompre son jugement par la manière de la lui proposer. Si on dit : je le trouve beau, je le trouve obscur ou autre chose semblable, on entraîne l'imagination à ce jugement ou on l'irrite au contraire. Il vaut mieux ne rien dire et alors il juge selon ce qu'il est, c'est-à-dire selon ce qu'il est alors, et selon que les autres circonstances dont on n'est pas auteur y auront mis. Mais au moins on n'y aura rien mis, si ce n'est que ce silence n'y fasse aussi son effet, selon le tour et l'interprétation qu'il sera en humeur de lui donner, ou selon qu'il le conjecturera des mouvements et air du visage, ou du ton de voix selon qu'il sera physionomiste, tant il est difficile de ne point démonter un jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il en a peu de ferme et stable.

551-84 L'imagination grossit les petits objets jusqu'à en remplir notre âme par une estimation fantasque,, et par une insolence téméraire elle amoindrit grandes jusqu'à sa mesure, comme en parlant Dieu.

552-107 Lustravit lampade terras. Le temps et humeur ont peu de liaison. J'ai mes brouillards on beau temps au-dedans de moi; le bien et le de mes affaires même y fait peu. Je m'efforce quelquefois de moi-même contre la fortune. La gloire la dompter me la fait dompter gaiement, au lieu je fais quelquefois le dégoûté dans la bonne une.


SÉRIE XXIV

597-455 Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l'ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable.

606-155 Un vrai ami est une chose si avantageuse même pour les plus grands seigneurs, afin qu'il dise du bien d'eux et qu'il les soutienne en leur absence. Même qu'ils doivent tout faire pour en avoir, mais qu'ils choisissent bien, car s'ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile quelque bien qu'ils disent d'eux. Et même ils n'en diront pas de bien s'il se trouvent les plus faibles, car ils n'ont pas d'autorité et ainsi ils en médiront par compagnie.

620-146 L'homme est visiblement fait pour penser. C'est toute sa dignité et tout son mérite; et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l'ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin.
Or à quoi pense le monde? jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague etc. et à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c'est qu'être roi et qu'être homme.

622-131 Ennui.

Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement, sans application.

Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme, l'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.

634-97 La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier, le hasard en dispose.

La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs. C'est un excellent couvreur, dit-on, et en parlant des soldats : ils sont bien fous, dit-on, et les autres au contraire : il n'y a rien de grand que la guerre, le reste des hommes sont des coquins. A force d'ouïr louer en l'enfance ces métiers et mépriser tous les autres on choisit. Car naturellement on aime la vertu et on hait la folie; ces mots mêmes décideront; on ne pèche qu'en l'application.

Tant est grande la force de la coutume que de ceux que la nature n'a fait qu'hommes on fait toutes les conditions des hommes.

Car des pays sont tout de maçons, d'autres tout de soldats, etc. Sans doute que la nature n'est pas si uniforme; c'est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature, et quelquefois la nature la surmonte et retient l'homme dans son instinct malgré toute coutume bonne ou mauvaise.

SÉRIE XXV

656-372 En écrivant ma pensée elle m'échappe quelquefois-, mais cela me fait souvenir tir ma faiblesse que j'oublie à toute heure, ce qui m'instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tiens qu'à connaître mon néant.

685-401 Gloire.
Les bêtes ne s'admirent point. Un cheval n'admire point son compagnon.

688-323 Qu'est-ce- que le moi?

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants; si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir? Non; car il ne pense pas à moi en particulier; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus.

Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on? moi? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables? car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.

Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées.


SÉRIE XXVI

731-196 Ces gens manquent de cœur.
On n'en ferait pas son ami.

734-817 Titre.

D'où vient qu'on croit tant de menteurs qui disent qu'ils ont vu des miracles et qu'on ne croit aucun de ceux qui disent qu'ils ont des secrets pour rendre l'homme immortel ou pour rajeunir.

748-239 Obj. Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contrepoids la crainte de l'enfer. Resp. Qui a plus sujet de craindre l'enfer, ou celui qui est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de la damnation s'il y en a; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu'il y a un enfer, et dans l'espérance d'être sauvé s'il est.

756-365 Pensée.

Toute la dignité de l'homme est en la pensée, mais qu'est-ce que cette pensée? qu'elle est sotte?

La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu'elle eût d'étranges défauts pour être méprisable, mais elle en a de tels que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature, qu'elle est basse par ses défauts.

764-11 Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne; mais entre tous ceux que le monde a inventés, il n'y en a point qui soit plus à craindre que la comédie. C'est une représentation si naturelle et si délicate des passions, qu'elle les émeut et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l'amour; principalement lorsqu'on (le) représente fort chaste et fort honnête. Car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont capables d'en être touchées; sa violence plait à notre amour-propre, qui forme aussitôt un désir de causer les mêmes effets, que l'on voit si bien représentés; et l'on se fait en même temps une conscience fondée sur l'honnêteté des sentiments qu'on y voit, qui ôtent la crainte des âmes pures, qui s'imaginent que ce n'est pas blesser la pureté, d'aimer d'un amour qui leur semble si sage.

Ainsi l'on s'en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes les douceurs de l'amour et l'âme et l'esprit si persuadés de son innocence, qu'on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à chercher l'occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu'un, pour recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l'on a vus si bien dépeints dans la comédie.


PAPIERS NON CLASSÉS

Vient d'ailleurs, et que nous recherchons le plaisir. Car on peut rechercher la douleur et y succomber à dessein sans ce genre de bassesse. D'où vient donc qu'il est glorieux à la raison de succomber sous l'effort de la douleur, et qu'il lui est honteux de succomber sous l'effort du plaisir? c'est que ce n'est pas la douleur qui nous tente et nous attire; c'est nous-mêmes qui volontairement la choisissons et voulons la faire dominer sur nous, de sorte que nous sommes maîtres de la chose, et en cela c'est l'homme qui succombe à soi-même. Mais dans le plaisir c'est l'homme qui succombe au plaisir. Or il n'y a que la maîtrise et l'empire qui fasse la gloire, et que la servitude qui fasse honte.

806-147 Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être. Nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons forçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité ou la générosité, ou la fidélité nous nous empressons de le faire savoir afin d'attacher ces vertus-là à notre autre être et les détacherions plutôt de nous pour les joindre à l'autre. Nous serions de bon coeur poltrons pour en acquérir la réputation d'être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre et d'échanger souvent l'un pour l'autre. Car qui ne mourrait pour conserver son honneur celui-là serait infâme.

815-259 Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu'il ne veut pas songer.

SÉRIE XXX

821-252 Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu'esprit. Et de là vient que l'instrument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration. Combien y a(-t-)il peu de choses démontrées? Les preuves ne convainquent que l'esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l'automate qui entraîne l'esprit sans qu'il y pense.

848-806 Les miracles et la vérité sont nécessaires à cause qu'il faut convaincre l'homme entier en corps et en âme.

858-840 L'Église a trois sortes d'ennemis : les Juifs qui n'ont jamais été de son corps, les hérétiques qui s'en sont retirés, et les mauvais chrétiens qui la déchirent au-dedans. Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d'ordinaire diversement, mais ici ils la combattent d'une même sorte.

906-916 Probabilité.

Ils ont quelques principes vrais, mais ils en abusent, or l'abus des vérités doit être autant puni que I'introduction du mensonge.

SECTION IV. FRAGMENTS NON ENREGISTRÉS PAR LA COPIE

I. LE RECUEIL ORIGINAL

937-104 Quand notre passion nous porte à faire quelque chose nous oublions notre devoir; comme on aime un livre on le lit lorsqu'on devrait faire autre chose. Mais pour s'en souvenir il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire et on se souvient de son devoir par ce moyen.

941-264 On ne s'ennuie point de manger, et dormir, tous les jours, car la faim renaît et le sommeil, sans cela on s'en ennuierait.
Ainsi sans la faim des choses spirituelles on s'en ennuie; faim de la justice, béatitude 8e.

958-75 Part 1. 1. 2. C. I. S.
(Conjecture, il ne sera pas difficile de faire descendre encore d'un degré et de la faire paraître ridicule.)

Qu'y a(-t-) 1 de plus absurde que de dire que des corps inanimés ont des passions, des craintes, des horreurs, que des corps insensibles sans vie, et même incapables de vie, aient des passions qui présupposent une âme au moins sensitive pour les recevoir. De plus que l'objet de cette horreur, fût le vide? Qu'y a(-t-)il dans le vide qui leur puisse faire peur? Qu'y a t'il de plus bas et de plus ridicule?