mercredi 28 janvier 2015

Arno Schmitd - Blacks mirrors

Arno Schmitd - Blacks mirrors

« C’est que les hommes pérorent d’ordinaire sans tenir compte des lois de la raison. Au contraire : communément et congénitalement ils raisonnent de la façon suivante : conclure du particulier au général, déduire de faits perçus de façon fugace ou partielle des conclusions erronées, et confondre à tout instant les mots avec les concepts et les concepts avec les choses. Dans les occurrences les plus importantes de la vie, la plupart d’entre eux – 999 sur 1000, selon l’estimation la plus équitable – font reposer leurs jugements sur les premières impressions de leurs sens, leurs préjugés, passions, lubies, caprices, humeurs, combinaison fortuites de mots et de représentations dans leurs cerveau, apparentes ressemblances et suggestions secrètes de l’amour-propre, qui font qu’ils prennent à chaque instant  leur bidet pour un cheval, et le cheval d’autrui pour un bidet. Parmi lesdits 999, il y en a au moins 900 qui pour ce faire n’utilisent même pas leurs propre organe, préférant au contraire, par une fainéantise incompréhensible, voir faussement avec les yeux d’autrui, se laisser tourner en ridicule par la dérision d’autrui, au lieu d’accomplir cela au moins de leur propre chef. Sans même parler de la part considérable de ces 900 qui a pris l’habitude de discourir de mille choses importantes en se donnant de grands airs, sans savoir le moins du monde ce qu’ils disent ni se préoccuper un seul instant si ce qu’ils disent tient debout ou non » (p.89-90) 
«  une machine, un simple outil, qui est forcé de se laisser utiliser ou maltraiter par des mains étrangères ; un botte de paille qui a la moindre étincelle est exposée à tout moment à prendre feu ; une plume qui se trouve ballotée dans les airs par le moindre souffle – n’ont jamais passé depuis que le monde existe pour des images symbolisant l’activité d’un être raisonnable : en revanche on s’en est servi depuis toujours pour exprimer la façon dont les hommes, particulièrement lorsqu’ils sont agglutinés en grande masses, ont coutume de se déplacer et d’agir. On sait déjà que l’envie et le dégout, la crainte et l’espérance – mus par la sensualité et la présomption – sont les roues motrices de tout acte quotidien qui ne relève pas de la seule routine des instincts ; mais il y a pire : dans les cas les plus sensibles – précisément quand il y va du bonheur ou du malheur de la vie entière, du bien-être ou de la misère de peuples entiers : et le plus souvent de l’intérêt supérieur de l’ensemble du genre humain – ce sont des passions ou préjugés étrangers, c’est la pression ou la poussée d’un petit nombre de mains, la langue bien affilée d’un seul bavard, l’ardeur féroce d’un seul exalté, le zèle simulé d’un seul faux prophète, l’appel d’un seul téméraire ayant pris les devants – qui met en branle des milliers et centaines de millier, un mouvement dont ils ne voient ni s’il est justifié ni quelles en seront les conséquences : de quel droit un espèce composée de créatures aussi déraisonnables peut-elle… » (d’abord reprendre haleine).(p.90-91) 
Donc : « Les faiseurs de grimace, les charlatans, les saltimbanques, les joueurs de passe-passe, les entremetteurs, les écorcheurs et les spadassins se disséminèrent de par le monde ; - les moutons tendirent leurs sottes têtes et se laissèrent tondre ; - alors les sots dansèrent des cabrioles et firent des culbutes. Et les sages, lorsqu’ils le pouvaient, s’en allèrent et se firent ermites : l’histoire de monde on nuce, ad usum Delphini. » (p.91) 
« A qui la faute ? » - « Certes le Primo Motore de tout cela est le Créateur, celui que j’ai nommé le Léviathan et dont j’ai prouvé l’existence dans une ennuyeuse démonstration. » Pendant mon beau discours elle avait fermé les yeux – probablement par excès de concentration ; maintenant que le claquet s’était arrêté, elle les rouvrait. « Enfin », dit-elle lentement : « j’ai aussi un peu mal aux dents. » « Alors il faut invoquer immédiatement sainte Appolonia », suggérai-je, mais je n’obtiens qu’un méchant regard : « J’en suis redevable à votre coup de crosse ! » marmonna-t-elle (en une volte-face élégamment elliptique). (p91-92)

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