mercredi 28 janvier 2015

Karl Marx - Manifeste du parti communiste



Karl Marx - Manifeste du parti communiste

Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme.

I
bourgeois et prolétaires

L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.
Hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, barons et serfs, maîtres de jurandes et compagnons, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée ; une guerre qui finissait toujours, ou par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, ou par la destruction des deux classes en lutte.

La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes ennemies : la Bourgeoisie et le Prolétariat.

L’ancien mode de production ne pouvait plus satisfaire aux besoins qui croissaient avec l’ouverture de nouveaux marchés. Le métier, entouré de privilèges féodaux, fut remplacé par la manufacture. La petite bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande ; la division du travail entre les différentes corporations disparut devant la division du travail dans l’atelier même.



La grande industrie moderne supplanta la manufacture.
La grande industrie a créé le marché mondial.

Chaque étape de l’évolution parcourue par la Bourgeoisie était accompagnée d’un progrès correspondant.

État opprimé par le despotisme féodal, association se gouvernent elle-même dans la commune ; ici république municipale, là tiers-état taxable de la monarchie ; puis, durant la période manufacturière, contrepoids de la noblesse dans la monarchie limitées ou absolues ; pierre angulaire des grande industrie et du marché mondial, s’est enfin emparée du pouvoir politique — à l’exclusion des autres classes, — dans l’État représentatif moderne. Le gouvernement moderne n’est qu’un comité administratif des affaires de la classe bourgeoise tout entière.

La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle essentiellement révolutionnaire.

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens multicolores qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié, pour ne laisser subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, que le dur argent comptant. Elle a noyé l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité petit bourgeois, dans les eaux glacées du calcul égoïste.

La Bourgeoisie n’existe qu’à la condition de révolutionner sans cesse les instruments de travail, ce qui veut dire le mode de production, ce qui veut dire tous les rapports sociaux.

Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production de tous les pays.

Les vieilles industries nationales sont détruites, ou sur le point de l’être. Elles sont supplantées par de nouvelles industries dont l’introduction devient une question vitale pour toutes les nations civilisées, industries qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus éloignées, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans tous les coins du globe.

À la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des nouveaux besoins, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées les plus lointaines et des climats les plus divers. À la place de l’ancien isolement des nations se suffisant à elles-mêmes, se développe un trafic universel, une interdépendance des nations. Et ce qui est vrai pour la production matérielle s’applique à la production intellectuelle.

Sous peine de mort elle force toutes les nations à adopter le mode de production bourgeois. En un mot, elle modèle le monde à son image.

La Bourgeoisie a soumis la campagne à la ville.

De même qu’elle a subordonné la campagne à la ville, les nations barbares ou demi-civilisées aux nations civilisées, elle a subordonné les pays agricoles aux pays industriels, l’Orient à l’Occident.

La Bourgeoisie supprime de plus en plus l’éparpillement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré les populations, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans les mains de quelques individus. La conséquence fatale de ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes, reliées entre elles par des liens fédéraux, mais ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, sous un seul gouvernement, une seule loi, un seul tarif douanier, et un seul intérêt national de classe.

La Bourgeoisie, depuis son avènement, à peine séculaire, a créé des forces productives plus variées et plus colossales que toutes les générations passés prises ensemble. La subjugation des forces de la nature

À la place s’éleva la libre concurrence, avec une constitution sociale et politique correspondante, avec la domination économique et politique de la classe bourgeoise.

Depuis trente ans au moins, l’histoire de l’industrie et du commerce n’est que l’histoire de la révolte des forces productives contre les rapports de propriété qui sont les conditions d’existence de la Bourgeoisie et de son règne. Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l’existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives elles-mêmes. Une épidémie, qui, à toute autre époque, eût semblé un paradoxe, s’abat sur la société, — l’épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement rejetée dans un état de barbarie momentanée ; on dirait qu’une famine, une guerre d’extermination lui coupent tous les moyens de subsistance ; l’industrie et le commerce semblent annihilés. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le développement des conditions de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces conditions qui se tournent en entraves ; et toutes les fois que les forces productives sociales s’affranchissent de ces entraves, elles précipitent dans le désordre la société tout entière et menacent l’existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses dans son sein.

Comment la Bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’une part, par la destruction forcée d’une masse de forces productives ; d’autre part, par la conquête de nouveaux marchés, et l’exploitation plus parfaite des anciens. C’est-à-dire qu’elle prépare des crises plus générales et plus formidables et diminue les moyens de les prévenir.

Mais la Bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui doivent lui donner la mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, — les ouvriers modernes, les Prolétaires.

L’introduction des machines et la division du travail, dépouillant le travail de l’ouvrier de son caractère individuel, lui ont enlevé tout attrait. Le travailleur devient un simple appendice de la machine ; on n’exige de lui que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus vite apprise. Par conséquent, le coût de production de l’ouvrier se réduit à peu près aux moyens d’entretien dont il a besoin pour vivre et pour propager sa race. Or, le prix du travail, comme celui de toute marchandise, est égal à son coût de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus les salaires baissent.

Plus ce despotisme proclame hautement le profit comme son but unique, plus il devient mesquin, odieux, exaspérant.

La petite Bourgeoisie, les petits industriels, les marchands, les petits rentiers, les artisans et les paysans propriétaires, tombent dans le Prolétariat ; d’une part, parce que leurs petits capitaux ne leur permettant pas d’employer les procédés de la grande industrie, d’autre part, parce que leur habileté spéciale est dépréciée par les nouveaux modes de production. De sorte que le Prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population.

Or l’industrie, en se développant, non seulement grossit le nombre des prolétaires mais les concentre en masses plus considérables ; les prolétaires augmentent en force et prennent conscience de leur force

La croissante concurrence des bourgeois entre eux et des crises commerciales qui en résultent, rendent les salaires de plus en plus incertains ; le constant perfectionnement de la machine rend la position de l’ouvrier de plus en plus précaire 

La Bourgeoisie vit dans un état de guerre perpétuel ; d’abord contre l’aristocratie, puis contre cette catégorie de la Bourgeoisie dont les intérêts viennent en conflit avec les progrès de l’industrie, toujours, enfin, contre la Bourgeoisie des pays étrangers. Dans toutes ces luttes, elle se voit forcée de faire appel au Prolétariat, d’user de son concours et de l’entraîner dans le mouvement politique, en sorte que la Bourgeoisie fournit aux Prolétaires les éléments de sa propre éducation politique et sociale, c’est-à-dire des armes contre elle-même.

Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. Mais pour opprimer une classe, il faut au moins pouvoir lui garantir des conditions d’existence qui lui permettent de vivre en servitude.

La condition existentielle d’existence et de suprématie pour la classe bourgeoise est l’accumulation de la richesse dans les mains privées, la formation et l’accroissement du capital ; la condition du capital est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie, dont la Bourgeoisie est l’agent passif et inconscient, remplace l’isolement des ouvriers par leur union révolutionnaire au moyen de l’association. Le développement de la grande industrie sape sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d’appropriation.

La Bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du Prolétariat sont également inévitables.

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