mercredi 28 janvier 2015

Pascal - L’art de persuader



Pascal - L’art de persuader

Personne n’ignore qu’il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont ses deux principales puissances, l’entendement et la volonté. La plus naturelle est celle de l’entendement, car on ne devrait jamais consentir qu’aux vérités démontrées ; mais la plus ordinaire, quoique contre la nature, est celle de la volonté ; car tout ce qu’il y a d’hommes sont presque toujours emportés à croire non pas par la preuve, mais par l’agrément. Cette voie est basse, indigne et étrangère : aussi tout le monde la désavoue. Chacun fait profession de ne croire et même de n’aimer que s’il sait le mériter.

Je ne parle donc que des vérités de notre portée 

Ceux de l’esprit sont des vérités naturelles et connues à tout le monde, comme que le tout est plus grand que sa partie

Ceux de la volonté sont de certains désirs naturels et communs à tous les hommes

Mais pour les qualités des choses que nous devons persuader, elles sont bien diverses.

Les unes se tirent, par une conséquence nécessaire, des principes communs et des vérités avouées. Celles-là peuvent être infailliblement persuadées ; car, en montrant le rapport qu’elles ont avec les principes accordés, il y a une nécessité inévitable de convaincre, et il est impossible qu’elles ne soient pas reçues dans l’âme dès qu’on a pu les enrôler à ces vérités qu’elle a déjà admises.
Il y en a qui ont une union étroite avec les objets de notre satisfaction 

C’est alors qu’il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté, et que la connaissance de l’une et le sentiment de l’autre font un combat dont le succès est bien incertain, puisqu’il faudrait, pour en juger, connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l’homme, que l’homme même ne connaît presque jamais.

Il paraît de là que, quoi que ce soit qu’on veuille persuader, il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connaître l’esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime ; et ensuite remarquer, dans la chose dont il s’agit, quels rapports elle a avec les principes avoués, ou avec les objets délicieux par les charmes qu’on lui donne. De sorte que l’art de persuader consiste autant en celui d’agréer qu’en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison !

Or, de ces deux méthodes, l’une de convaincre, l’autre d’agréer

La raison de cette extrême difficulté vient de ce que les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables, je ne sais s’il y a moyen de donner des règles fermes pour accorder les discours à l’inconstance de nos caprices.

Cet art que j’appelle l’art de persuader, et qui n’est proprement que la conduite des preuves méthodiques parfaites consiste en trois parties essentielles : à définir les termes dont on doit se servir par des définitions claires ; à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la chose dont il s’agit ; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis.

car si l’on n’assure le fondement on ne peut assurer l’édifice 

Règles pour les définitions. ‹ I. N’entreprendre de définir aucune des choses tellement connues d’elles-mêmes, qu’on n’ait point de termes plus clairs pour les expliquer. 2. N’omettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques, sans définition. 3. N’employer dans la définition des termes que des mots parfaitement connus, ou déjà expliqués.
Règles pour les axiomes. ‹ I. N’omettre aucun des principes nécessaires sans avoir demandé si on l’accorde, quelque clair et évident qu’il puisse être. 2. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes d’elles-mêmes.
Règles pour les démonstrations. ‹ I. N’entreprendre de démontrer aucune des choses qui sont tellement évidentes d’elles mêmes qu’on n’ait rien de plus clair pour les prouver. 2. Prouver toutes les propositions un peu obscures, et n’employer à leur preuve que des axiomes très évidents, ou des propositions déjà accordées ou démontrées. 3. Substituer toujours mentalement les définitions à la place des définis, pour ne pas se tromper par l’équivoque des termes que les définitions ont restreints.

Voilà les huit règles qui contiennent les préceptes des preuves solides et immuables. Desquelles il y en a trois qui ne sont pas absolument nécessaires, et qu’on peut négliger sans erreur ; qu’il est même difficile et comme impossible d’observer toujours exactement, quoiqu’il soit plus parfait de le faire autant qu’on peut ; ce sont les trois premiers de chacune des parties :
Pour les définitions : Ne définir aucun des termes qui sont parfaitement connus.
Pour les axiomes : N’omettre à demander aucun des axiomes parfaitement évidents et simples.
Pour les démonstrations : Ne démontrer aucune des choses très connues d’elles-mêmes.
Car il est sans doute que ce n’est pas une grande faute de définir et d’expliquer bien clairement des choses, quoique très claires d’elles mêmes, ni d’omettre à demander par avance des axiomes qui ne peuvent être refusés au lieu où ils sont nécessaires, ni enfin de prou ver des propositions qu’on accorderait sans preuve.

Mais les cinq autres règles sont d’une nécessité absolue

Voilà en quoi consiste cet art de persuader, qui se renferme dans ces deux principes : Définir tous les noms qu’on impose ; prouver tout, en substituant mentalement les définitions à la place des définis.
Ceux qui ont l’esprit de discernement savent combien il y a de différence entre deux mots semblables, selon les lieux et les circonstances qui les accompagnent
qu’il ne faut pas juger de la capacité d’un homme par l’excellence d’un bon mot qu’on lui entend dire 

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