dimanche 1 mai 2016

Bardo-Thödol - Présentation par Lama Anagarika Govinda



 Bardo-Thödol - Présentation par Lama Anagarika Govinda

Dans le titre du Bardo-Thödol, le mot de mort n’apparaît nullement. Ce mot dévie totalement le sens de l’œuvre qui réside dans Vidée de libération, c’est-à-dire libération des illusions de notre conscience égocentrique qui oscille perpétuellement entre naissance et mort, être et ne pas être, espoir et doute, sans parvenir à l’éveil, à la paix du nirvana, cet état stable, loin des illusions du samsara et des états intermédiaires.


Je voudrais citer le livre du médecin américain Moody, concernant certains témoignages au sujet de la mort. Raymond A. Moody, dans Life after Life (New York 1975), interroge différents patients, considérés comme cliniquement morts, le cœur étant arrêté depuis plusieurs minutes et les courants cérébraux n'étant plus mesurables.



Dans le « Livre tibétain des Morts », le Bardo- Thödol, la mort intervient tout d’abord en raison des actes dont le mourant s’est rendu responsable. On appelle Karma la somme de tous ces actes. Nous reparlerons plus loin de ces concepts. Pour l’instant, retenons que dans le Bardo-Thödol, la mort apparaît en fonction de nos propres actions. La mort ne survient donc pas par suite de la perversion et du désordre des dieux, mais procède de l’erreur de l’individu.


Le Paradis, que les mythes situent au commencement de l’histoire de l’humanité, est considéré dans le Bardo Thödol comme la qualité première de l’être de l’homme, comme son fondement ontologique. Dans les mythes, l’homme perd le Paradis à cause de sa désobéis­sance et de sa bêtise. Dans notre texte, la nature spirituelle de lumière s’assombrit et chute lorsque l’homme, à cause de son insatiable besoin de rencontre, se met à errer dans le monde des objets et à déchirer l’être indivisible entre le moi et le toi. De sorte que ces objets n’existent que dans la fausse représentation de l'homme qui, finalement, est déçu dans son attente puisque ces objets ne sont ni éternels, ni même dura­bles. Voilà la source de toute souffrance, correspondant à l'expulsion du Paradis dans les mythes. La souffrance n'est pas quelque chose qui vient de l’extérieur et s’empare de l’homme. Elle consiste dans cette insatiabi­lité de l’homme qui l’attache au monde des objets, dans cette attente qui ne pourra jamais être satisfaite. Dans le Bardo-Thödol, l’esprit de l’homme est le pivot de la reconquête du Paradis.

Thomas Munzer, théologien de la révolution - Ernst Bloch

Thomas Munzer, théologien de la révolution - Ernst Bloch




Aussi bien le problème est tout autre selon que l’on combat pour sa propre cause ou que l’on est acculé à la révolte pour défendre la cause des autres. Car ce qui juge l’homme, ce qui peut-être fait justement la faiblesse du Chrétien, c’est non seulement l’acte qu’il accomplit, mais ce qu’il accepte que souffrent les autres. La non-résistance au mal interdit qu’on augmente la quantité du mal, qu’en résistant on commette soi-même une faute. Mais à certaines époques le mal prend de telles proportions qu’en le tolérant, précisément parce qu’on le tolère et qu’on invite autrui à le tolérer, on l’accroît, on le renforce, on le confirme, disons plus : on le provoque. Par la non-résistance, on rend les autres coupables ou, tout au moins, on les induit en tentation ; il ne s’est jamais trouvé jusqu’ici qu’en « résistant » par les voies de l’amour, au lieu de résister par les voies de la violence, on ait réussi à briser la violence des méchants, ni même à éveiller dans leur cœur une honte capable de les désarmer. De même, en tolérant le règne du mal sur un plan purement personnel, et non point de façon universelle, par référence à la solidarité naturelle des hommes, on se fait le complice de ce règne, - complice non seulement de la violence qui asservit l’âme des méchants, mais de celle aussi qui asservit l’âme de leurs victimes. Dans des conflits de cette sorte, celui qui tolère le mal est à tout le moins aussi coupable que celui qui réagit effectivement contre lui ; si ce dernier court lui-même le danger de perdre son âme en mettant la violence au service de la pitié, au service de l’amour, il peut encore se demander, de façon authentiquement chrétienne : « Qu’importe le salut de mon âme ? » C'est au tat twarn asi* des autres âmes, du royaume des âmes, qu'il a pu sacrifier la sienne. L’opposition, par conséquent, n'est pas absolue entre l’amour et le désir de prendre sur soi douleur et même faute, de renoncer soi-même à sa propre délivrance pour que la lumière au moins puisse transpercer aussi la croûte la plus dure.


Les lois fondamentales de la stupidité humaine - Cipolla



Les lois fondamentales de la stupidité humaine - Cipolla

La Première Loi fondamentale de la Stupidité humaine affirme sans ambiguïté que
« Chacun sous-estime toujours inévitablement le nombre d’individus stupides existant dans le monde».

S’appuyant sur une quantité impressionnante de formules et de données scientifiques, généticiens et sociologues se donnent beaucoup de mal pour prouver que tous les hommes sont naturellement égaux et que si certains sont plus égaux que d’autres, c’est le fait de la culture et non de la nature.
Je m’oppose à cette idée reçue. Après des années d’observation et d’expérimentation, j’ai la ferme conviction que les hommes ne sont pas égaux, que les uns sont stupides et les autres non, et que la différence dépend de la nature et non de facteurs culturels.


Ce fait est scientifiquement exprimé par la Deuxième Loi fondamentale, qui dit que
«La probabilité que tel individu soit stupide est indépendante de toutes les autres caractéristiques de cet individu».

Sans le formuler de manière explicite, la Troisième Loi fondamentale part du principe que l’humanité se divise en quatre grandes catégories : les crétins, les gens intelligents, les bandits et les êtres stupides. Le lecteur perspicace aura compris que ces quatre catégories correspondent aux quatre zones C, I, B et S du schéma de base (voir figure 1).

La Troisième Loi fondamentale l’explique parfaitement :
« Est stupide celui qui entraîne une perte pour un autre individu ou pour un groupe d’autres individus, tout en n’en tirant lui-même aucun bénéfice et en s’infligeant éventuellement des pertes ».

En d’autres termes, ils font preuve d’une grande persévérance dans leur volonté d’infliger des maux et des pertes à autrui sans en tirer aucun gain, positif ou négatif. Il existe pourtant des gens qui, par leurs actions improbables, nuisent non seulement à autrui mais aussi à eux-mêmes. Dans notre système, ces êtres atteints de «sur-stupidité» figurent quelque part dans la zone S à gauche de axe Y.

Les créatures essentiellement stupides sont dangereuses et redoutables parce que les individus raisonnables ont du mal à imaginer et à comprendre les comportements déraisonnables. Un être intelligent peut comprendre la logique d’un bandit. Les actions du bandit obéissent à un modèle rationnel; d’une rationalité déplaisante, peut-être, mais rationnel tout de même. Le bandit veut avoir plus sur son compte. Puisqu’il n’est pas assez intelligent pour concevoir le moyen d’obtenir ce plus tout en vous offrant un plus à vous aussi, il créera ce plus en provoquant un moins sur votre compte. C’est une mauvaise action, mais elle est rationnelle, et si on est rationnel, on peut s’y attendre. On peut prévoir les actions d’un bandit, ses manœuvres malfaisantes et ses aspirations détestables; on peut donc souvent s’en défendre.
Face à un individu stupide, tout cela est absolument impossible, comme l’explique la Troisième Loi fondamentale. L’être stupide vous harcèle sans raisons, sans aucun avantage pour lui, sans aucun programme ni projet, dans les moments et dans les lieux les plus improbables. Il n’existe aucun moyen rationnel de déterminer quand, comment ou pourquoi la créature stupide attaquera. Quand il se présente à vous, vous êtes entièrement à la merci de l’individu stupide.
Parce que les actions des gens stupides ne sont pas conformes aux règles de la rationalité, il s’ensuit que:
a)   Leur attaque nous prend en général au dépourvu ;
b) Même lorsqu’on prend conscience de l’attaque, nous ne pouvons organiser aucune défense rationnelle, parce que l’attaque est elle-même dépourvue de toute structure rationnelle.
L’activité et les mouvements d’un être stupide étant par nature erratiques et irrationnels, toute défense s’avère problématique, et contre-attaquer est extrêmement difficile, comme si l’on essayait de tirer sur une cible capable des mouvements les plus improbables et les plus incongrus.


C’est ce que résume clairement la Quatrième Loi fondamentale, stipulant que
«Les non-stupides sous-estiment toujours la puissance destructrice des stupides. En particulier, les non-stupides oublient sans cesse qu’en tous temps, en tous lieux et dans toutes les circonstances, traiter et/ou s’associer avec des gens stupides se révèle immanquablement être une erreur coûteuse».

La Cinquième Loi fondamentale énonce que
« L’individu stupide est le type d’individu le plus dangereux». Le corollaire de cette Loi est que « L’individu stupide est plus dangereux que le bandit».

Première jeunesse – Neal Cassady



Première jeunesse – Neal Cassady

C’est en revanche par une belle journée de mai que j’eus ma troisième révélation, de loin la plus importante. Comme je débouchais du terrain de base-ball et que je m’apprêtais à traverser la pelouse, derrière laquelle se profilait le réservoir de gaz, je fus interpellé par un maniaque sexuel assis sur le rebord du trottoir. La quarantaine longiligne, il me posa d’emblée la question suivante : « Ça te dirait que je te donne quelque chose à sucer ? » « Quelle chose ?» lui demandai-je. « Une chose qui te restera longtemps dans la bouche », dit-il. « D’accord. » « Mais d’abord, enchaîna-t-il, laissons passer tes copains d’école, inutile de faire des jaloux. » Ça me parut logique, aussi m’assis-je à côté de lui et, pendant une demi-heure, l’écoutai-je me vanter les qualités de cette chose merveilleuse que tous les enfants aimaient sucer, en particulier les gosses de Curtis Street. À l’en croire elle avait le goût de la fraise quoique sa grosseur la rendît difficile à lécher ; à ces mots, je l’interrompis, voulant savoir si elle coûtait plus cher qu’un penny, et aussi, me semble-t-il, comment il pouvait m’offrir une chose qu’on ne trouvait pas à la confiserie de Welton ; à quoi il rétorqua que la sucette extra-large dont il allait me régaler ne se comparait à rien de ce qui se vendait dans le commerce. 

 -------------------------------------------------------------------------------------

Il arrivait aussi que, dans ma claustrophobie, intervienne un facteur si original que je ne sais comment le définir sinon par un chambardement de mon horloge intérieure, comme si un rouage, hors de son pivot, tournait à contresens dans un recoin de mon crâne, et dont la vitesse montait progressivement jusqu’à évoquer la vibration d’un ventilateur lui-même tourbillonnant en sens contraire, et de plus en plus difficile à supporter. Au vrai, c’était tout bonnement la conscience que mon temps intérieur avait, par degrés successifs, vu son rythme multiplié par trois, et tandis que s’opérait cette transformation, je ne pouvais, n’étant pas en mesure de la comprendre, que me la figurer sous l’apparence d’un objet virevoltant à l’intérieur de ma tête, ce qui n’était cependant pas le plus mauvais moyen de visualiser cette vertigineuse sensation. Mais, à bien y réfléchir, je vivais ce moment exactement comme il fallait le vivre - une étrange, et agréable, accélération de ma sensibilité, quoique assez dérangeante et illogique, en particulier lorsque je m’efforçais de la nier et de renouer avec la réalité. Tout au long de ma première année dans la Maison de l’Entôleur, cette intempestive modification de la marche du temps se joua de moi sans que je puisse échapper à son étourdissante spirale (toutefois, je n’en ressentais les effets qu’à l’intérieur de ma prison matelassée, et pas toujours qui plus est). Ce n’est qu’une bonne vingtaine d’années plus tard que j’ai retrouvé de telles vibrations (mais déclenchées par d’autres stimuli, telle la marijuana), sauf que j’ai pu alors les supporter, les cerner, et que j’ai découvert, en me concentrant au maximum, de quelle façon interrompre, voire circonscrire, mais hélas ! que quelques instants, cet emballement du temps. Et voici comment : il me fallait faire le mort afin de ne rien perdre du bourdonnement grandissant de mon oreille interne, à croire qu’on manœuvrait un levier de vitesses et que s’engrenaient, par quelque mystérieux mécanisme, les pignons de mon cerveau, et ce jusqu’à ce que le flux torrentiel du temps, maintenant déchaîné, fît surgir de fulgurantes images kaléidoscopiques, aussi nettes que le permettait leur rapide succession, et d’ailleurs tout allait si vite qu’au mieux je parvenais à en identifier une seule avant que la suivante ne la chasse - raison pour laquelle il m’était si difficile de prolonger de telles séances, car n’importe quelle agression extérieure, fût-ce un bruit, remettait en cause mon inertie musculaire, et m’empêchait de rationaliser ces bouffées délirantes, de sorte que j’ai dû me satisfaire d’avoir pu conserver dans ma mémoire la trace évanescente de ces visions pénétrantes et singulièrement lapidaires, à défaut d’en avoir diagnostiqué la cause, saisi le processus et imaginé le remède.
Je signale que, sur ce sujet, de nombreux écrivains, parmi lesquels Céline et William Burroughs, ont rapporté avoir été, dans leur petite enfance, la proie de fièvres (?) aussi inexplicables qui exacerbèrent pareillement leurs sens. Peut-on envisager que des médecins se penchent un jour sur ces visions foudroyantes, à jamais inoubliables et qui tiennent de l’hallucination ? Peut-être qu’il s’agit, en concluraient-ils, d’une banale fièvre infantile comme il existe la colique des trois mois ? Peut-être, mais si on passait à autre chose ?