lundi 24 octobre 2016

Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction - Jean-Marie Guyau



Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction - Jean-Marie Guyau





INTRODUCTION
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CRITIQUE DES DIVERS ESSAIS
POUR JUSTIFIER MÉTAPHYSIQUEMENT L’OBLIGATION
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CHAPITRE PREMIER

Morale du dogmatisme métaphysique. — I. L’hypothèse optimiste. — II. L’hypothèse pessimiste. — III. L’hypothèse de l’indifférence de la nature.

I
L’HYPOTHÈSE OPTIMISTE. — PROVIDENCE ET IMMORTALITÉ
On sait toutes les objections auxquelles ce système a déjà donné lieu. En réalité, l’optimisme absolu est plutôt immoral que moral, car il enveloppe la négation du progrès. Une fois qu’il a pénétré dans l’esprit, il produit comme sentiment correspondant la satisfaction de toute réalité : au point de vue moral, justification de toute chose ; au point de vue politique, respect de toute puissance, résignation passive, étouffement volontaire de tout sentiment du droit et en conséquence du devoir. Si tout ce qui existe est bien, il n’y faut rien changer, il ne faut pas vouloir retoucher l’œuvre de Dieu, ce grand artiste. De même, tout ce qui arrive est également bien ; tout événement se justifie, puisqu’il fait partie d’une œuvre divine achevée en ses détails. On aboutit ainsi non seulement à l’excuse, mais à la divinisation de toute injustice. Nous nous étonnons aujourd’hui des temples que les anciens élevaient aux Néron et aux Domitien ; non seulement ils refusaient de comprendre le crime, mais ils l’adoraient : faisons-nous autre chose quand nous fermons les yeux sur la réalité du mal ici-bas, pour pouvoir ensuite déclarer ce monde divin et bénir son auteur ? Le culte des Césars était chez les Romains le signe d’un état moral inférieur ; réagissant sur cet état même, il les avilit encore, les dégrada davantage. On en peut dire autant du culte d’un dieu créateur qui devrait répondre de tout, et qui, en réalité, est l’irresponsabilité suprême. L’optimisme béat est un état analogue à celui de l’esclave qui se trouve heureux, du malade qui ne sent pas son mal : au moins ce dernier n’attribue-t-il pas un caractère divin à sa maladie. La charité même, pour subsister, a besoin de croire à la réalité et à l’indignité des misères qu’elle soulage ; si la pauvreté, si la douleur, si l’ignorance (bienheureux les humbles d’esprit !), si tous les maux de ce monde ne sont pas de vrais maux, et, au fond, des injustices, des absurdités de la nature, comment la charité pourra-t-elle garder le caractère rationnel qui est la condition d’existence de toute vertu ? Et quand la charité, comme une flamme sans aliment, s’éteindra, qui fera la valeur de votre monde, que vous imaginez comme une œuvre de charité absolue, de bonté absolue et toute puissante ?
Malgré toutes les objections des philosophes, l’homme aspirera toujours, sinon à l’éternité intemporelle, du moins à une durée indéfinie. La tristesse qu’apporte avec elle l’idée de temps subsistera toujours : — se perdre soi-même, s’échapper à soi-même, laisser quelque chose de soi tout le long de la route, comme le troupeau laisse des flocons de laine aux buissons. « Désespoir de sentir s’écouler tout ce qu’on possède, » disait Pascal. Quand on se retourne en arrière, on se sent le cœur fondre, comme le navigateur emporté dans un voyage sans fin et qui apercevrait en passant les côtes de sa patrie. Les poètes ont senti cela cent fois. Mais ce n’est pas un désespoir personnel : toute l’humanité en est là. Le désir de l’immortalité n’est que la conséquence du souvenir : la vie, en se saisissant elle-même par la mémoire, se projette instinctivement dans l’avenir. Nous avons besoin de nous retrouver et de retrouver ceux que nous avons perdus, de réparer le temps. Dans les tombes des anciens peuples, on accumulait tout ce qui était cher au mort : ses armes, ses chiens, ses femmes ; ses amis mêmes se tuaient parfois sur la tombe, ils ne pouvaient admettre que l’affection pût être brisée comme un lien. L’homme s’attache à tout ce qu’il touche, à sa maison, à un morceau de terre ; il s’attache à des êtres vivants, il aime : le temps lui arrache tout cela, taille au vif en lui. Et tandis que la vie reprend son cours, répare ses blessures, comme la sève de l’arbre recouvre les marques de la cognée, le souvenir, agissant en sens inverse, le souvenir — cette chose inconnue dans la nature entière — garde les blessures saignantes et de temps en temps les ravive.
On comprend que les excès de l'optimisme aient produit la réaction pessimiste. Le germe du pessimisme est chez tout homme : pour connaître et juger la vie, ils n'est même pas besoin d'avoir beaucoup vécu, il suffit d'avoir beaucoup souffert.

II
HYPOTHÈSE PESSIMISTE
Mais la morale pessimiste ne tient pas compte du plaisir permanent et spontané de vivre : c’est que ce plaisir, étant continu, se raccourcit, s’amoindrit, dans le souvenir.
La morale pessimiste repose donc, non sur un raisonnement scientifique, mais sur une pure appréciation individuelle où peuvent entrer comme éléments bien des erreurs. Perpétuellement nous échangeons des peines contre des plaisirs, des plaisirs contre des peines ; mais, dans cet échange, la seule règle de la valeur est l’offre et la demande, et on peut rarement dire a priori que telles douleurs l’emportent sur tels plaisirs. Il n’y a pas de douleurs que l’homme ne s’expose à supporter pour courir la chance de certains plaisirs, ceux de l’amour, de la richesse, de la gloire, etc.
Une des thèses du pessimisme, c’est que, le plaisir supposant le désir, et le désir se ramenant le plus souvent au besoin, conséquemment à la souffrance, le plaisir suppose ainsi la souffrance et n’est qu’un instant fugitif entre deux états pénibles. De là cette condamnation du plaisir qu’on retrouve, depuis Bouddha, dans la morale pessimiste. Mais il est très inexact de représenter ainsi le plaisir comme lié à une douleur parce qu’il est lié à un désir ou même à un besoin. Ce n’est qu’à partir d’un certain degré que le besoin devient souffrance ; la faim, par exemple, est douloureuse, mais l’appétit peut être fort plaisant à ressentir. L’aiguillon du besoin n’est plus alors qu’une sorte de chatouillement agréable. Loi générale : un besoin devient agréable chez tout être intelligent toutes les fois qu’il n’est pas trop violent et qu’il a la certitude ou l’espoir de sa satisfaction prochaine. Il s’accompagne alors d’une anticipation de jouissance. Certaines souffrances prétendues qui précèdent le plaisir, comme la faim, la soif, le frisson amoureux, entrent comme éléments dans l’idée que nous nous faisons du plaisir ; sans elles la jouissance est incomplète. Bien plus, prises en elles-mêmes, elles sont accompagnées d’une certaine jouissance, à condition de ne pas se prolonger trop ; quand l’amant rappelle ses souvenirs, les moments de désir lui apparaissent comme agréables au plus haut point ; ils encadrent l’instant du plaisir aigu, qui sans eux serait beaucoup trop court et trop fugitif.
Platon a dit avec raison que les douleurs peuvent entrer dans la composition des plaisirs ; mais les plaisirs en revanche n’entrent point dans la composition des douleurs. Le dégoût qui suit l’abus de certains plaisirs n’est pas du tout inséparable de leur usage ; il ne s’introduit pas comme élément dans la conception qu’on s’en fait. Le plaisir a donc cette supériorité sur la douleur qu’il peut ne pas la produire ; tandis que la douleur, au moins la douleur physique, ne peut pas ne pas produire le plaisir par sa simple disparition, et quelquefois s’associe tellement au plaisir qu’elle représente elle-même un moment agréable.
Les peines d’origine intellectuelle ne sont pas elles-mêmes absolument incompatibles avec les plaisirs : quand elles ne sont pas très vives, elles se fondent avec eux ; elles leur donnent seulement une couleur moins voyante, elles les pâlissent pour ainsi dire, ce qui ne leur messied pas. La mélancolie peut aiguiser certaines jouissances. De toutes parts donc, malgré les moralistes chagrins, le plaisir enveloppe la peine et vient même s’y mêler.
En outre, plus nous allons, plus se développent et prennent une part considérable dans notre vie des plaisirs qui correspondent rarement à un besoin douloureux, à savoir les plaisirs esthétiques et intellectuels. L’art est dans l’existence moderne une source considérable de jouissances, qui n’ont pour ainsi dire pas la peine pour contre-poids. Son but est d’arriver à remplir presque de plaisir les instants les plus ternes de la vie, c’est-à-dire ceux où nous nous reposons de l’action : il est la grande consolation de l’oisif. Entre deux dépenses de force physique, l’homme civilisé, au lieu de dormir comme fait le sauvage, peut encore jouir d’une manière intellectuelle ou esthétique. Et cette jouissance peut se prolonger plus qu’aucune autre : on entend intérieurement certaines symphonies de Beethoven longtemps après les avoir entendues par les oreilles ; on en jouit avant, par anticipation, on en jouit pendant et après.
Ce que nous disons ici de la vie physique, telle que nous la révèle le sens interne, est vrai aussi de la vie morale. Au moral comme au physique, la souffrance marque toujours une tendance à la dissolution, une mort partielle. Perdre quelqu’un d’aimé, par exemple, c’est perdre quelque chose de soi et commencer soi-même à mourir. La souffrance morale vraiment triomphante tue moralement, anéantit l’intelligence et la volonté. Aussi celui qui, après quelque violente crise morale, continue de penser, de vouloir et d’agir dans tous les sens, celui-là pourra souffrir, mais sa souffrance ne tardera pas à être contre-balancée, par degrés étouffée. La vie l’emportera sur les tendances dissolvantes.

CHAPITRE II
Morale de la certitude pratique. — Morale de la foi.
Morale du doute.
I
MORALE DE LA CERTITUDE PRATIQUE

La morale de la certitude pratique est celle qui admet que nous sommes en possession d’une loi morale certaine, absolue, apodictique et impérative.
selon les kantiens, au contraire, le caractère moral d’une action n’est prouvé que quand on peut généraliser la maxime de cette action et montrer ainsi sa nature désintéressée.
Le sentiment d’obligation n’est donc pas proprement moral, il est sensible. Kant lui-même est bien obligé de convenir que le sentiment moral est, comme tout autre, pathologique ; seulement il croit que ce sentiment est excité par la seule forme de la loi morale, abstraction faite de sa matière ; de là résulte à ses yeux ce mystère qu’il avoue : une loi intelligible et supra-naturelle, qui produit cependant un sentiment pathologique et naturel, le respect.
Le devoir n’est donc jamais saisi dans la conscience que comme s’appliquant à un contenu, dont on ne peut le détacher ; il n’y a pas de devoir indépendamment de la chose due, de la représentation de l’action.
La loi comme loi n’a de saisissable à la pensée que son universalité ; mais à ce précepte « agis de telle sorte que ta maxime puisse devenir une loi universelle, » ne s’attachera aucun sentiment d’obligation tant qu’il ne sera pas question de la vie sociale et des penchants profonds qu’elle réveille en nous, tant que nous ne concevrons pas l’universalité de quelque chose, de quelque fin, de quelque bien qui soit l’objet d’un sentiment. L’universel pour l’universel ne peut produire qu’une satisfaction logique, qui elle-même est encore une satisfaction de l’instinct logique chez l’homme, et cet instinct logique est une tendance naturelle, une expression de la vie sous son mode supérieur, qui est l’intelligence, amie de l’ordre, de la symétrie, de la similitude, de l’unité dans la variété, de la loi, conséquemment de l’universalité.
L’homme a toujours besoin de croire qu’il y a quelque chose de bon non pas seulement dans l’intention, mais aussi dans l’action.
Malgré Zénon et Kant, nous n’aurions plus alors le courage de vouloir et de mériter : on ne veut pas pour vouloir et avide.
Tous ces éléments, l’agréable, l’utile, le beau, se retrouvent dans l’impression produite par la « raison pure » ou la « volonté pure. » Si la pureté était poussée jusqu’au vide, il en résulterait l’indifférence sensible et intellectuelle, nullement cet état déterminé de l’intelligence et de la sensibilité qu’on appelle l’affirmation d’une loi et le respect d’une loi : il n’y aurait plus rien à quoi pût se prendre notre jugement et notre sentiment.
II
MORALE DE LA FOI
Pour justifier ce postulat, on fait remarquer que le propre du bien est d’apparaître comme inviolable, non seulement à l’action, mais à la pensée même ; n’est-ce pas une injustice non seulement d’exécuter le mal, mais même de le penser ? Or on pense le mal du moment où on doute du bien. Il faut donc croire au bien plus qu’à tout le reste, non parce qu’il est plus évident que tout le reste, mais parce que ne pas y croire serait commettre une mauvaise action.
L’humanité a besoin d’adorer quelque chose, puis de brûler ce qu’elle a adoré.
Croire, c’est affirmer comme réel pour moi ce que je conçois simplement comme possible en soi, parfois même comme impossible ; c’est donc vouloir fonder une vérité artificielle, une vérité d’apparence, c’est en même temps se fermer à la vérité objective qu’on repousse d’avance sans la connaître. La plus grande ennemie du progrès humain, c’est la question préalable.

LIVRE PREMIER
DU MOBILE MORAL AU POINT DE VUE SCIENTIFIQUE
PREMIERS ÉQUIVALENTS DU DEVOIR.
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CHAPITRE PREMIER
L’intensité de la vie est le mobile de l’action.
Aussi la morale positive, pour ne pas renfermer dès son principe un postulat invérifiable, doit être d’abord individualiste ; elle ne doit se préoccuper des destinées de la société qu’en tant qu’elles enveloppent plus ou moins celles de l’individu. Le premier tort des utilitaires, comme Stuart Mill, et même des évolutionnistes, a été de confondre la face sociale et la face individualiste du problème moral.
Suivant les « hédonistes », la direction naturelle de tout acte serait le minimum de peine et le maximum de plaisir : dans son évolution, la vie consciente suit la ligne de la moindre souffrance.
Le plaisir est un état de la conscience qui, selon, les psychologues et les physiologistes, est lié à un accroissement de la vie (physique ou intellectuelle) il s’ensuit que ce précepte : « accrois d’une manière constante l’intensité de ta vie » se confondra finalement avec celui-ci : « accrois d’une manière constante l’intensité de ton plaisir. » L’hédonisme peut donc subsister, mais au second rang et plutôt comme conséquence que comme principe. Tous les moralistes anglais disent : « le plaisir est le seul levier avec lequel on puisse mouvoir l’être. » Entendons-nous. Il y a deux sortes de plaisir. Tantôt le plaisir correspond à une forme particulière et superficielle de l’activité (plaisir de manger, de boire, etc.), tantôt il est lié au fond même de cette activité (plaisir de vivre, de vouloir, de penser, etc.) ; dans le premier cas, il est purement sensitif ; dans l’autre, il est plus profondément vital, plus indépendant des objets extérieurs : il ne fait qu’un avec la conscience même de la vie. Les utilitaires ou les hédonistes se sont trop plu à considérer la première espèce de plaisir ; l’autre a une importance supérieure. On n’agit pas toujours en vue de poursuivre un plaisir particulier, déterminé et extérieur à l’action même ; parfois on agit pour le plaisir d’agir, on vit pour vivre, on pense pour penser. Il y a en nous de la force accumulée qui demande à se dépenser ; quand la dépense en est entravée par quelque obstacle, cette force devient désir ou aversion quand le désir est satisfait, il y a plaisir quand il est contrarié, il y a peine mais il n’en résulte pas que l’activité emmagasinée se déploie uniquement en vue d’un plaisir, avec un plaisir pour motif ; la vie se déploie et s’exerce parce qu’elle est la vie. Le plaisir accompagne chez tous les êtres la recherche de la vie, beaucoup plus qu’il ne la provoque ; il faut vivre avant tout, jouir ensuite.
Mais ce caractère agréable ou désagréable de l’action ne suflit pas pour l’expliquer tout entière. La jouissance, au lieu d’être une fin réfléchie de l’action, n’en est souvent, comme la conscience même, qu’un attribut.
CHAPITRE II
La plus haute intensité de la vie a pour corrélatif nécessaire
sa plus large expansion.
La génération a pour premier effet de produire un groupement des organismes, de créer la famille et par là la société ; mais ce n’est qu’un de ses effets les plus visibles et les plus grossiers. L’instinct sexuel, nous venons de le voir, est une forme supérieure, mais particulière, du besoin général de fécondité : or, ce besoin, symptôme d’un surplus de force, n’agit pas seulement sur les organes spéciaux de la génération, il agit sur l’organisme tout entier ; il exerce du haut en bas de l’être une sorte de pression dont nous allons énumérer les diverses formes.
De là une sorte d’inquiétude chez l’être trop solitaire, un désir non rassasié. Quand on ressent, par exemple, un plaisir artistique, on voudrait ne pas être seul à en jouir. On voudrait faire savoir à autrui qu’on existe, qu’on sent, qu’on souffre, qu’on aime. On voudrait déchirer le voile de l’individualité. — Vanité ? — Non, la vanité est bien loin de notre pensée. C’est plutôt le contraire de l’égoïsme. Les plaisirs très inférieurs, eux, sont parfois égoïstes. Quand il n’y a qu’un gâteau, l’enfant veut être seul à le manger. Mais le véritable artiste ne voudrait pas être seul à voir quelque chose de beau, à découvrir quelque chose de vrai, à éprouver un sentiment généreux. Il y a, dans ces hauts plaisirs, une force d’expansion toujours prête à briser l’enveloppe étroite du moi. En face d’eux on se sent insuffisant soi-même, fait seulement pour les transmettre, comme L’atome vibrant de l’éther transmet de proche en proche le rayon de lumière sidérale qui le traverse, et dont il ne retient rien qu’un frisson d’un instant.
Avec le temps le travail deviendra de plus en plus nécessaire pour l’homme. Or, le travail est le phénomène à la fois économique et moral où se concilient le mieux l’égoïsme et l’altruisme. Travailler, c’est produire, et produire, c’est être à la fois utile à soi et aux autres. Le travail ne peut devenir dangereux que par son accumulation sous la forme de capital ; alors il peut prendre un caractère franchement égoïste et, en vertu d’une contradiction intime, aboutir à sa propre suppression par l’oisiveté même qu’il permet. Mais, sous sa forme vive, le travail est toujours bon. C’est aux lois sociales d’empêcher les résultats mauvais de l’accumulation du travail, — excès d’oisiveté pour soi et excès de pouvoir sur autrui, — comme on veille à isoler les piles trop puissantes.
CHAPITRE III
Dans quelle mesure le mobile de l’activité peut créer
une sorte d’obligation. — Pouvoir et devoir.
Comprendre, c’est déjà commencer en soi-même la réalisation de ce qu’on comprend ; concevoir quelque chose de mieux que ce qui est, c’est un premier travail pour réaliser cette chose. L’action n’est que le prolongement de l’idée. La pensée est presque une parole ; nous sommes portés avec tant de force à exprimer ce que nous pensons que l’enfant et le vieillard, moins capables de résister à cette contrainte, pensent tout haut : le cerveau fait naturellement mouvoir les lèvres.
Ce qu’on appelle obligation ou contrainte morale est, dans la sphère de l’intelligence, le sentiment de cette radicale identité : l’obligation est une expansion intérieure, un besoin de parfaire nos idées en les faisant passer dans l’action. Celui qui n’agit pas comme il pense, pense incomplètement. Aussi sent-il qu’il lui manque quelque chose : il n’est pas entier, il n’est pas lui-même. L’immoralité est une mutilation intérieure. Chacun des mouvements de notre esprit soulève le corps. Ne pas agir selon ce qu’on croit le meilleur, c’est ressembler à quelqu’un qui ne pourrait rire quand il est joyeux, ni pleurer quand il est triste, qui ne pourrait enfin rien exprimer au dehors, rien traduire de ce qu’il éprouve. Ce serait le suprême supplice.
Dès lors, la moralité n’est autre chose que l’unité de l’être. L’immoralité, au contraire, est un dédoublement, une opposition des diverses facultés qui se limitent l’une l’autre. L’hypocrisie consiste à arrêter l’expression naturelle de sa pensée et à y substituer une expression contraire ; en ce sens, on pourrait dire que l’immoralité est essentiellement hypocrisie, et conséquemment arrêt dans le développement de l’être.
Aussi l’égoïsme pur ne serait-il pas seulement, comme nous l’avons montré, une sorte de mutilation de soi ; il serait une impossibilité. Ni mes douleurs, ni mon plaisir ne sont absolument miens.
De même que le moi, en somme, est pour la psychologie contemporaine une illusion, qu’il n’y a pas de personnalité séparée, que nous sommes composés d’une infinité d’êtres et de petites consciences ou états de conscience, ainsi le plaisir égoïste, pourrait-on dire, est une illusion : mon plaisir à moi n’existe pas sans le plaisir des autres, je sens que toute la société doit y collaborer plus ou moins, depuis la petite société qui m’entoure, ma famille, jusqu’à la grande société où je vis.
L’obligation morale, qui a son principe dans le fonctionnement même de la vie, se trouve par là avoir son principe plus avant que la conscience réfléchie, dans les profondeurs obscures et inconscientes de l’être, ou, si l’on préfère, dans la sphère de la conscience spontanée et synthétique.
CHAPITRE IV
Le sentiment d’obligation au point de vue de la
dynamique mentale,
comme force impulsive ou répressive.
mais l’instinct esthétique n’était lié qu’indirectement à la propagation de l’espèce : pour cette raison il ne s’est pas généralisé assez et n’a pas acquis une intensité suffisante. Il n’a pris de réelle importance que là où il touchait à la sélection sexuelle : dans les rapports des sexes, le goût esthétique a quelque chose d’un lien moral; le dégoût, si on veut lui faire violence, s’achève en une sorte de remords. Le dégoût esthétique qu’éprouve un individu pour certains individus de l’autre sexe s’observe jusque chez les animaux : on sait qu’un étalon dédaignera les juments trop grossières auxquelles on veut l’accoupler.
En tous ces exemples le sentiment esthétique produit les mêmes effets que le sentiment moral : génie et beauté obligent ; comme toute puissance que nous découvrons en nous, ils nous confèrent à nos propres yeux une dignité et nous imposent un devoir. Si le génie avait été absolument nécessaire à chaque individu pour vaincre dans la lutte de la vie, il se serait sans doute généralisé : l’art serait aujourd’hui un fonds commun aux hommes, comme la vertu.
De ce qui précède on peut déjà conclure, indépendamment de beaucoup d’autres considérations, que les différents devoirs moraux, formes diverses de l’instinct social ou altruiste, ne pouvaient pas ne pas naître, et qu’il n’en pouvait guère naître d’autres. Une nouvelle raison qui devait assurer le triomphe de l'instinct moral, c’est l’impossibilité d’assouvir le remords, de le faire cesser par une bonne action, comme on fait cesser la faim. La faim apaisée, la peine qu’on a éprouvée n’est plus qu’un souvenir vague, qui s’efface ; il n’en est pas de même du remords ; le passé apparaît comme ineffaçable et à jamais cuisant. Au reste, tous les besoins qui ne sont pas trop purement animaux n’admettent pas non plus ces sortes de compensations que permet la faim ou la soif. Tel est l’amour. On peut regretter indéfiniment l’heure d’amour que vous offrait la femme aimée et que vous avez laissé échapper sans avoir pu la retrouver jamais : l’amant ne peut pas, comme dans une comédie de Shakespeare, remplacer une femme par une autre.
LIVRE DEUXIÈME
DERNIERS ÉQUIVALENTS POSSIBLES DU DEVOIR
POUR LE MAINTIEN DE LA MORALITÉ.
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CHAPITRE PREMIER
Quatrième équivalent du devoir tiré des plaisirs du risque
et de la lutte.
I
LE PROBLÈME
Une morale positive et scientifique, avons-nous dit, ne peut faire à l’individu que ce commandement : Développe ta vie dans toutes les directions, sois un individu aussi riche que possible en énergie intensive et extensive ; pour cela, sois l’être le plus social et le plus sociable.
II
QUATRIÈME ÉQUIVALENT DU DEVOIR, TIRÉ DU PLAISIR
DU RISQUE ET DE LA LUTTE.
En somme, l’homme a besoin de se sentir grand, d’avoir par instants conscience de la sublimité de sa volonté. Cette conscience, il l’acquiert dans la lutte : lutte contre soi et contre ses passions, ou contre des obstacles matériels et intellectuels. Or, cette lutte, pour satisfaire la raison, doit avoir un but.
Il y avait donc dans le pari de Pascal un élément qu’il n’a pas mis en lumière. Il n’a guère vu que la crainte du risque, il n’a pas vu le plaisir du risque.
Pour bien comprendre l’attrait du risque, même lorsque les chances de malheur sont très nombreuses, on peut invoquer plusieurs considérations psychologiques :
1° Il ne faut pas, dans le calcul, faire entrer en ligne de compte seulement les chances bonnes et les chances mauvaises, mais encore le plaisir de courir ces chances, de s’aventurer ;
3° Autre fait psychologique : celui qui a échappé vingt fois à un danger, par exemple à une balle de fusil, en conclut qu’il continuera d’y échapper. Il se produit ainsi une accoutumance au danger que le calcul des probabilités ne saurait justifier, et qui entre pourtant comme élément dans la bravoure des vétérans.
Commençons par reconnaître que, dans certains cas extrêmes — très rares d’ailleurs — le problème n’a pas de solution rationnelle et scientifique. Dans ces cas où la morale est impuissante, la morale doit laisser toute spontanéité à l’individu. Le tort des jésuites est beaucoup moins d’avoir voulu élargir la morale, que d’y avoir introduit ce détestable élément, l’hypocrisie. Avant tout, il faut être franc avec soi-même et avec les autres ; le paradoxe n’a rien de dangereux quand il se présente hardiment à tous les regards.
Il existe des milliers de personnes pour lesquelles la vie a perdu la plus grande partie de sa valeur ; ces personnes peuvent trouver une véritable consolation dans le dévouement : il faudrait les employer. Il faudrait, de même employer toutes les capacités 
En résumé, la valeur de la vie est une chose tout à fait variable et qui parfois peut se réduire à zéro, à moins de zéro. L’action morale, au contraire, a toujours un certain prix ; il est rare qu’un être soit descendu assez bas pour accomplir, par exemple, un acte de lâcheté avec la plus parfaite indifférence, ou même avec plaisir.
Maintenant, pour se faire une idée du prix que l’action morale peut acquérir dans certains cas, il faut songer que l’homme est un animal pensant, ou, comme nous l’avons dit ailleurs, un animal philosophique.
CHAPITRE II
Cinquième équivalent du devoir tiré du risque métaphysique :
l’hypothèse.
I
LE RISQUE MÉTAPHYSIQUE DANS LA SPÉCULATION
II
LE RISQUE MÉTAPHYSIQUE DANS L’ACTION

« Au commencement était l’action, » dit Faust. Nous la retrouvons aussi à la fin. Si nos actions sont conformes à nos pensées, on peut dire aussi que nos censées correspondent exactement à l’expansion de notre activité.
L’action est le vrai remède du pessimisme, qui d’ailleurs peut avoir sa part de vérité et d’utilité quand il est pris dans son sens le plus haut.
LIVRE TROISIÈME
L’IDÉE DE SANCTION
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CHAPITRE PREMIER
Critique de la sanction naturelle et de la sanction morale.
I
LE PROBLÈME

I
SANCTION NATURELLE
II
SANCTION MORALE ET JUSTICE DISTRIBUTIVE
CHAPITRE II
Principe de la justice pénale ou défensive dans la société.
Pourquoi ce sentiment tenace, ce besoin persistant d’une sanction chez l’être sociable, cette impossibilité psychologique de rester sur l’idée du mal impuni ?
C’est, en premier lieu, que l’homme est un être essentiellement pratique et actif, qui tend à tirer de tout ce qu’il voit une règle d’action, et pour qui la vie d’autrui est une perpétuelle morale en exemples ; avec le merveilleux instinct social que possède l’homme, il seul aussitôt qu’un crime impuni est un élément de destruction sociale, il a le pressentiment d’un danger pour lui-même et pour tous les autres ensemble : tel un citadin enfermé dans une ville assiégée et qui découvre une brèche ouverte.
En second lieu, ce mauvais exemple est comme une sorte d’exhortation personnelle au mal, murmurée à son oreille et contre laquelle ses plus hauts instincts se révoltent. Cela tient à ce que le bon sens populaire fait toujours entrer la sanction dans la formule même de la loi et regarde la récompense ou le châtiment comme des mobiles. La loi humaine a le double caractère d’être utilitaire et nécessitaire : ce qui est exactement l’opposé d’une loi morale commandant sans mobile à une volonté libre.
Il existe une troisième raison plus profonde encore de l’indignation contre l’impunité : l’intelligence humaine a peine à rester sur l’idée de mal moral ; elle en est révoltée à un bien plus haut degré qu’elle ne peut l’être par un manque de symétrie matérielle ou d’exactitude mathématique. L’homme, étant essentiellement un animal sociable, ζὼον πολιϰτιὸν, ne peut pas se résigner au succès définitif d’actes antisociaux ; là où il semble que de tels actes ont humainement réussi, la nature même de son esprit le porte à se tourner vers le surhumain pour demander réparation et compensation. Si les abeilles, enchaînées tout à coup, voyaient l’ordre de leurs cellules détruit sous leurs yeux, sans avoir l’espérance d’y porter jamais remède, leur être tout entier serait bouleversé, et elles s’attendraient instinctivement à une intervention quelconque, rétablissant un ordre aussi immuable et sacré pour elles que peut l’être celui des astres pour une intelligence plus large. L’esprit même de l’homme se trouve pénétré par l’idée de sociabilité ; nous pensons pour ainsi dire sous la catégorie de la société comme sous celle du temps et de l’espace.
L’homme, par sa nature morale (telle que la lui a fournie l’hérédité), est ainsi porté à croire que le dernier mot ne doit pas rester au méchant dans l’univers ; il s’indigne toujours contre le triomphe du mal et de l’injustice. Cette indignation se constate chez les enfants avant même qu’ils sachent bien parler, et on en retrouverait des traces nombreuses chez les animaux mêmes. Le résultat logique de cette protestation contre le mal c’est le refus de croire au caractère définitif de son triomphe. Dominée tout entière par l’idée de progrès, elle ne peut supporter qu’un être reste pour longtemps arrêté dans sa marche en avant.
Enfin, il y a aussi à faire valoir des considérations esthétiques inséparables des raisons sociales et morales. Un être immoral renferme une laideur bien plus repoussante que la laideur physique, et sur laquelle la vue n’aime pas à se reposer. On voudrait donc le corriger ou l’écarter, l’améliorer ou le supprimer. Rappelons-nous la position précaire des lépreux et des impurs dans la société antique : ils étaient traités comme nous traitons aujourd’hui les coupables. Si les romanciers ou les auteurs dramatiques ne laissent pas en général le crime trop ouvertement impuni, remarquons aussi qu’ils n’ont pas coutume de représenter leurs principaux personnages, leurs héroïnes surtout, comme franchement laids (goitreux, bossus, borgnes, etc.) ; s’ils le font parfois, comme Yictor Hugo pour son Quasimodo, leur but est alors de nous faire oublier cette difformité pendant tout le reste de l’ouvrage ou de s’en servir comme antithèse ; le plus souvent, le roman se termine par une transformation du héros ou de l’héroïne (comme dans la Petite Fadette ou Jane Eyre). La laideur produit donc bien, à un moindre degré, le même effet que l’immoralité, et nous éprouvons le besoin de corriger l’une comme l’autre ; mais comment corriger du dehors l’immoralité ? L’idée de la peine infligée comme réactif se présente aussitôt à l’esprit ; le châtiment est un de ces vieux remèdes populaires comme l’huile bouillante dans laquelle on plongeait avant Ambroise Paré les membres des blessés. Au fond le désir de voir le coupable châtié « part d’un bon naturel. » Il s’explique surtout par l’impossibilité où est l’homme de rester inactif, indifférent devant un mal quelconque ; il veut tenter quelque chose, toucher à la plaie, soit pour la fermer, soit pour appliquer un révulsif, et son intelligence est séduite par cette symétrie apparente que nous offre la proportionnalité du mal moral et du mal physique. Il ne sait pas qu’il est des choses auxquelles il vaut mieux ne pas toucher. Les premiers qui firent des fouilles en Italie, et qui trouvèrent des Vénus avec un bras ou une jambe de moins, éprouvèrent cette indignation que nous ressentons encore aujourd’hui devant une volonté mal équilibrée : ils voulurent réparer le mal, remettre un bras emprunté ailleurs, rajuster une jambe ; aujourd’hui, plus résignés et plus timides, nous laissons les chefs-d’œuvre tels quels, superbement mutilés ; aussi notre admiration même des plus belles œuvres ne va-t-elle pas alors sans quelque souffrance : mais nous aimons mieux souffrir que profaner. Cette souffrance en face d’un mal, ce sentiment de l’irréparable, c’est plutôt encore devant le mal moral que nous devons l’éprouver. Seule la volonté intérieure peut efficacement se corriger elle-même, comme les lointains créateurs des Vénus de marbre pourraient seuls leur redonner ces membres polis et blancs qui ont été brisés ; nous, nous sommes réduits à la chose la plus dure pour l’homme, à l’attente de l’avenir. Le progrès définitif ne peut guère venir que du dedans des êtres. Les seuls moyens que nous puissions employer sont tout indirects (l’éducation par exemple). Quant à la volonté même, elle devrait précisément être sacrée pour ceux qui la regardent comme libre, tout au moins comme spontanée : ils ne peuvent sans contradiction et sans injustice essayer de porter la main sur elle.
Ainsi le sentiment qui nous pousse à désirer une sanction est en partie immoral. Comme beaucoup d’autres sentiments, il a un principe très légitime et des applications mauvaises. Entre l’instinct humain et la théorie scientifique de la morale existe donc une certaine opposition. Nous allons montrer que cette opposition est provisoire et que l’instinct finira par être conforme à la vérité scientifique. Pour cela nous essayerons d’analyser plus à fond que nous ne l’avons fait encore le besoin psychologique d’une sanction chez l’être en société, nous en esquisserons la genèse, et nous verrons comment, produit d’abord par un instinct naturel et légitime, il tend à se restreindre, à se limiter de plus en plus avec la marche de l’évolution humaine.
S’il est une loi générale de la vie, c’est la suivante : Tout animal (nous pourrions étendre la loi même aux végétaux), répond à une attaque par une défense qui est elle-même le plus souvent une attaque en réponse, une sorte de choc en retour : c’est là un instinct primitif, qui a sa source dans le mouvement réflexe, dans l’irritabilité des tissus vivants, et sans lequel la vie serait impossible : les animaux privés de leur cerveau ne cherchent-ils pas encore à mordre qui les pince ? Les êtres chez lesquels cet instinct était plus développé et plus sûr ont survécu plus aisément, comme les rosiers munis d’épines. Chez les animaux supérieurs tels que l’homme, cet instinct se diversifie, mais il existe toujours ; en nous se trouve un ressort prêt à se détendre contre qui le touche, semblable à ces plantes qui lancent des traits. C’est à l’origine un phénomène mécanique inconscient ; mais cet instinct, en devenant conscient, ne s’affaiblit pas, comme tant d’autres [35] ; il est en effet nécessaire à la vie de l’individu. Il faut, pour vivre, dans toute société primitive, pouvoir mordre qui vous a mordu, frapper qui vous a frappé. De nos jours encore, quand un enfant même en jouant, a reçu un coup qu’il n’a pu rendre, il est mécontent ; il aie sentiment d’une infériorité : au contraire, lorsqu’il a rendu le coup, en l’accentuant même avec plus d’énergie, il est satisfait, il ne se sent plus inférieur, inégal dans la lutte pour la vie.
Même sentiment chez les animaux : quand on joue avec un chien, il faut se laisser prendre la main de temps en temps par lui si on ne veut pas le mettre en colère. Dans les jeux de l’homme adulte, on retrouve le même besoin d’un certain équilibre entre les chances : les joueurs désirent toujours, suivant l’expression populaire, se trouver au moins « manche à manche. » Sans doute, avec l’homme, de nouveaux sentiments interviennent et s’ajoutent à l’instinct primitif : c’est l’amour-propre, la vanité, le souci de l’opinion d’autrui ; n’importe, on peut distinguer par dessous tout cela quelque chose de plus profond : le sentiment des nécessités de la vie.
Dans les sociétés sauvages un être qui n’est pas capable de rendre, et même au delà, le mal qu’on lui a fait, est un être mal doué pour l’existence, destiné à disparaître tôt ou tard. La vie même, en son essence, est une revanche, une revanche permanente contre les obstacles qui l’entravent. Aussi la revanche est-elle physiologiquement nécessaire pour tous les êtres vivants, tellement enracinée chez eux que l’instinct brutal en subsiste jusqu’au moment de la mort.
Le besoin physique et social de sanction a un double aspect, puisque la sanction est tantôt châtiment, tantôt récompense. Si la récompense nous paraît aussi naturelle que la peine, c’est qu’elle a, elle aussi, son origine dans une action réflexe, dans un primitif instinct de la vie. Toute caresse appelle et attend une autre caresse en réponse ; tout témoignage de bienveillance provuque chez autrui un témoignage semblable : cela est vrai du haut en bas de l’échelle animale ; un chien qui s’avance doucement en remuant la queue pour lécher un sien camarade, est indigné s’il se voit accueilli à coups de crocs, comme peut s’indigner un homme de bien recevant le mal en échange de ses bienfaits. Étendez par la sympathie et généralisez cette impression d’abord toute personnelle, vous en viendrez à formuler ce jugement : il est naturel que tout être qui travaille au bonheur de ses semblables reçoive lui-même, en échange, les moyens d’être heureux. Nous considérant comme solidaires les uns des autres, nous nous sentons engagés par une sorte de dette à l’égard de tout bienfaiteur de la société. Au déterminisme naturel qui lie le bienfait au bienfait s’ajoute ainsi un sentiment de sympathie et même de reconnaissance à l’égard du bienfaiteur : or, en vertu d’une illusion inévitable, le bonheur nous paraît toujours plus mérité par ceux envers qui nous éprouvons de la sympathie.
Plus tard, on s’aperçoit qu’il n’y a pas besoin d’avoir la main si lourde : on tâche de proportionner exactement la réaction réflexe à l’attaque ; c’est la période résumée dans le précepte : œil pour œil, dent pour dent, — précepte qui exprime un idéal encore infiniment trop élevé pour les premiers hommes, un idéal auquel nous-mêmes, de nos jours, nous sommes loin d’être arrivés complètement, quoique nous le dépassions à d’autres points de vue. Œil pour œil, c’est la loi physique de l’égalité entre l’action et la réaction qui doit régir un organisme parfaitement équilibré et fonctionnant d’une façon très régulière. Avec le temps seul l’homme s’aperçoit qu’il n’est même pas utile, pour sa conservation personnelle, de proportionner absolument la peine infligée à la souffrance reçue. Il tend donc et tendra de plus en plus dans l’avenir à diminuer ia peine ; il économisera les châtiments, les prisons, les sanctions de toute sorte ; ce sont là des dépenses de force sociale parfaitement inutiles, dès qu’elles dépassent le seul but qui les justifie scientifiquement : défense de l’individu et du corps social attaqué.
Ainsi, plus nous allons, plus la vérité théorique s’impose même aux masses et modifie le besoin populaire de châtiment. Lorsque aujourd’hui la société châtie, ce n’est jamais pour l’acte qui a été commis dans le passé, c’est pour ceux que Je coupable ou d’autres à son exemple pourraient commettre dans l’avenir. La sanction ne vaut que comme promesse ou menace précédant l’acte et tendant mécaniquement à le produire ; celui-ci accompli, elle perd toute sa valeur : elle est un simple bouclier ou un simple ressort déterministe, et rien de plus. C’est bien pour cela qu’on ne punit plus les fous par exemple : on y a renoncé, après avoir reconnu que la crainte du châtiment n’avait pas d’action efficace sur eux.
CHAPITRE III
Critique de la sanction intérieure et du remords.
En d’autres termes, la satisfaction morale ou le remords ne proviennent pas de notre rapport à une loi morale tout a priori, mais de notre rapport aux lois naturelles et empiriques.


Nous avons montré qu’on peut considérer le remords sous un double aspect, tantôt comme la constatation douloureuse et relativement passive d’un fait (désobéissance à un penchant plus ou moins profond de l’être, déchéance de l’individu par rapport à l’espèce ou â son propre idéal), tantôt comme un effort plus ou moins pénible encore, mais actif et énergique, pour sortir de cet état de déchéance. Sous son premier aspect, le remords peut-être logiquement et physiquement nécessaire ; mais il ne devient moralement bon que lorsqu’il revêt son second caractère. Le remords est donc d’autant plus moral qu’il ressemble moins à une sanction véritable. Il est des tempéraments chez lesquels ces deux caractères du remords sont assez nettement scindés ; il en est qui peuvent éprouver une souffrance très cuisante et parfaitement vaine ; il en est d’autres qui (la raison et la volonté étant chez eux prédominantes) n’ont pas besoin de beaucoup souffrir pour reconnaître qu’ils ont mal fait, et s’imposer une réparation ; ces derniers sont supérieurs au point de vue moral, ce qui prouve que la prétendue sanction intérieure, ainsi que toutes les autres, ne se justifie que comme un moyen d’action.
CONCLUSION


Il ne sera pas inutile, en concluant, de résumer les principales idées que nous avons développées dans ce travail.
Notre but était de chercher ce que serait une morale sans aucune obligation absolue et sans aucune sanction absolue ; jusqu’où, dans cette voie, la science positive peut-être aller, et où commence le domaine des spéculations métaphysiques ?
Écartant par méthode toute loi antérieure et supérieure aux faits, conséquemment a priori’ et catégorique, nous avons dû partir des faits mêmes pour en tirer une loi, de la réalité pour en tirer un idéal, de la nature pour en tirer une moralité. Or, le fait essentiel et constitutif de notre nature, c’est que nous sommes des êtres vivants, sentants et pensants ; c’est à la vie, sous sa forme à la fois physique et morale, que nous avons dû demander le principe de la conduite.
Il est indispensable que ce principe offre un double caractère, car la vie elle-même se dédouble pour ainsi dire chez l’homme en vie inconsciente et vie consciente. La plupart des moralistes ne voient guère que le domaine de la conscience ; c’est cependant l’inconscient ou le subconscient qui est le vrai fond de l’activité. La conscience, il est vrai, peut réagir à la longue et détruire graduellement, par la clarté de l’analyse, ce que la synthèse obscure de l’hérédité avait accumulé chez les individus ou les peuples. La conscience a une force dissolvante avec laquelle l’école utilitaire et même l’école évolutionniste n’ont pas assez compté. De là la nécessité de rétablir l’harmonie entre la réflexion de la conscience et la spontanéité de l’instinct inconscient : il faut trouver un principe d’action qui soit commun aux deux sphères et qui, conséquemment, en prenant conscience de soi, arrive plutôt à se fortifier qu’à se détruire.
Ce principe, nous croyons l’avoir trouvé dans la vie la plus intensive et la plus extensive possible, sous le rapport physique et mental. La vie, en prenant conscience de soi, de son intensité et de son extension, ne tend pas à se détruire : elle ne fait qu’accroître sa force propre.
Pourtant, il y a aussi, dans le domaine de la vie, des antinomies qui se produisent par la mise en lutte des individualités, par la compétition de tous les êtres pour le bonheur et, parfois, pour l’existence. Dans la nature l’antinomie du struggle for life n’est nulle part résolue : le rêve du moraliste est de la résoudre ou, tout au moins, de la réduire le plus possible. Pour cela, le moraliste est tenté d’invoquer une loi supérieure à la vie même, une loi intelligible, éternelle, supra-naturelle. Cette loi, nous avons renoncé à l’invoquer, au moins comme loi : nous avons replacé le monde intelligible dans le monde des hypothèses, et ce n’est pas d’une hypothèse que peut descendre une loi. De nouveau nous sommes donc obligés d’en appeler à la vie pour régler la vie. Mais alors, c’est une vie plus complète et plus large qui peut régler une vie moins complète et moins large. Telle est en effet la seule règle possible pour une morale exclusivement scientifique.
Le caractère de la vie qui nous a permis d’unir en une certaine mesure, l’égoïsme et l’altruisme, — union qui est la pierre philosophale des moralistes, — c’est ce que nous avons appelé la fécondité morale. Il faut que la vie individuelle se répande pour autrui, en autrui, et, au besoin, se donne ; eh bien, cette expansion n’est pas contre sa nature : elle est au contraire selon sa nature ; bien plus, elle est la condition même de la vraie vie. L’école utilitaire a été forcée de s’arrêter, plus ou moins hésitante, devant cette antithèse perpétuelle du moi et du toi, du mien et du tien, de l’intérêtpersonnel et de notre intérêt général ; mais la nature vivaute ne s’arrête pas à cette division tranchée et logiquement inflexible : la vie individuelle est expansive pour autrui parce qu’elle est féconde, et elle est féconde par cela même qu’elle est la vie. Aupointde vue physique, nous l’avons vu, c’est un besoin individuel que d’engendrer un autre individu, si bien que cet autre devient comme une condition de nous-même. La vie, comme le feu, ne se conserve qu’en se communiquant. Et cela est vrai de l’intelligence non moins que du corps ; il est aussi impossible de renfermer l’intelligence en soi que la flamme : elle est faite pour rayonner. Même force d’expansion dans la sensibilité : il faut que nous partagions notre joie, il faut que nous partagions notre douleur. C’est tout notre être qui est sociable : la vie ne connaît pas les classifications et les divisions absolues des logiciens et des métaphysiciens : elle ne peut pas être complètement égoïste, quand même elle le voudrait. Nous sommes ouverts de toutes parts, de toutes parts envahissants et envahis. Cela tient à la loi fondamentale que la biologie nous a fournie : La vie n’est pas seulement nutrition, elle est production et fécondité. Vivre, c’est dépenser aussi bien qu’acquérir.
Après avoir posé cette loi générale de la vie physique et psychique, nous avons recherché comment on peut en faire sortir une sorte d’équivalent de l’obligation. Qu’est-ce, en somme, que l’obligation, pour qui n’admet pas d’impératif absolu ni de loi transcendante ? — Une certaine forme d’impulsion. En fait, analysez « l’obligation morale, » le « devoir, » la « loi morale » : ce qui leur donne le caractère actif, c’est l’impulsion qui en est inséparable, c’est la force demandant à s’exercer. Eh bien, c’est cette force impulsive qui nous a paru le premier équivalent naturel du devoir supra-naturel. Les utilitaires sont trop absorbés encore par des considération ? de finalité : ils sont tout entiers au but, qui est pour eux l’utilité, réductible elle-même au plaisir. Ils sont hédonistes, c’est-à-dire qu’ils font des plaisirs, sous une forme égoïste ou sympathique, le grand ressort de la vie mentale. Nous, au contraire, nous nous plaçons au point de vue de la causalité efficiente et non de la finalité ; nous constatons en nous une cause qui agit même avant l’attrait du plaisir comme but : cette cause, c’est la vie tendant par sa nature même à s’accroître et à se répandre, trouvant ainsi le plaisir comme conséquence, mais ne le prenant pas nécessairement pour fin. L’être vivant n’est pas purement et simplement un calculateur à la Bentham, un financier faisant sur son grand livre la balance des profits et des pertes : vivre, ce n’est pas calculer, c’est agir. Il y a dans l’être vivant une accumulation de force, une réserve d’activité qui se dépense non pour le plaisir de se dépenser, mais parce qu’il faut qu’elle se dépense : une cause ne peut pas ne pas produire ses effets, même sans considération de fin.
Nous sommes ainsi arrivé à notre formule fondamentale : le devoir n’est qu’une expression détachée du pouvoir qui tend à passer nécessairement à l’acte. Nous ne désignons par devoir que le pouvoir dépassant la réalité, devenant par rapport à elle un idéal, devenant ce qu’il doit être, parce qu’il est ce qui peut être, parce qu’il est le germe de l’avenir débordant déjà le présent. Point de principe surnaturel dans notre morale ; c’est de la vie même et de la force inhérente à la vie que tout dérive : la vie se fait sa loi elle-même par son aspiration à se développer sans cesse ; elle se fait son obligation à agir par sa puissance d’agir.
Nous l’avons montré, au lieu de dire : je dois, donc je puis, il est plus vrai de dire : Je puis, donc je dois. De là l’existence d’un certain devoir impersonnel créé par le pouvoir même d’agir. Tel est le premier équivalent naturel du devoir mystique et transcendant.
Le second équivalent, nous l’avons trouvé dans la théorie des idées-forces soutenue par un philosophe contemporain : l’idée même de l’action supérieure, comme celle de toute action, est une force tendant à la réaliser. L’idée est même déjà la réalisation commencée de l’action supérieure ; l’obligation n’est, à ce point de vue, que le sentiment de la profonde identité qui existe entre la pensée et l’action ; c’est par cela même le sentiment de l’unité de l’être, de l’unité de la vie. Celui qui ne conforme pas son action à sa plus haute pensée est en lutte avec lui-même, divisé intérieurement. Sur ce point encore l’hédonisme est dépassé ; il ne s’agit pas de calculer des plaisirs, de faire de la comptabilité et de la finalité : il s’agit d’être et de vivre, de se sentir être, de se sentir vivre, d’agir comme on est et comme on vit, de ne pas être une sorte de mensonge en action, mais une vérité en action.
Un troisième équivalent du devoir est emprunté à la sensibilité, non plus, comme les précédents, à l’intelligence et à l’activité. C’est la fusion croissante des sensibilités et le caractère toujours plus sociable des plaisirs élevés, d’où résulte une sorte de devoir ou de nécessité supérieure qui nous pousse encore naturellement et rationnellement vers autrui. En vertu de l’évolution, nos plaisirs s’élargissent et deviennent de plus en plus impersonnels ; nous ne pouvons jouir dans notre moi comme dans une île fermée : notre milieu, auquel nous nous adaptons mieux chaque jour, c’est la société humaine, et nous ne pouvons pas plus être heureux en dehors de ce milieu que respirer hors de l’air. Le bonheur purement égoïste de certains épicuriens est une chimère, une abstraction, une impossibilité : les vrais plaisirs humains sont tous plus ou moins sociaux. L’égoïsme pur, avons-nous dit, au lieu d’être une réelle affirmation de soi, est une mutilation de soi.
Ainsi, en notre activité, en notre intelligence, en notre sensibilité, il y a une pression qui s’exerce dans le sens altruiste, il y a une force d’expansion aussi puissante que celle qui agit dans les astres : et c’est cette force d’expansion devenue consciente de son pouvoir qui se donne à elle-même le nom de devoir.
Voilà le trésor de spontanéité naturelle qui est la vie, et qui crée en même temps la richesse morale. Mais, nous l’avons vu, la réflexion peut se trouver en antithèse avec la spontanéité naturelle, elle peut travailler à restreindre tout ensemble le pouvoir et le devoir de sociabilité, lorsque la force d’expansion vers autrui se trouve par hasard en opposition avec la force de gravitation sur soi. La lutte pour la vie a beau être diminuée par le progrès de l’évolution, elle reparaît dans certaines circonstances, qui sont encore fréquentes de nos jours. Sans loi impérative, comment entraîner alors l’individu à un désintéressement définitif, parfois au sacrifice de soi ?
Outre ces mobiles que nous avons précédemment examinés et qui agissent constamment dans les circonstances normales, nous en avons trouvé d’autres que nous avons appelés l’amour du risque physique et l’amour du risque moral. L’homme est un être ami de la spéculation, non seulement en théorie, mais en pratique. Là où cesse la certitude, ni sa pensée ni son action ne cessent pour cela. À la loi catégorique peut se substituer sans danger une pure hypothèse spéculative ; de même, à la foi dogmatique se substitue une pure espérance et à l’affirmation l’action. L’hypothèse spéculative est un risque de la pensée ; l’action conforme à cette hypothèse est un risque de la volonté ; l’être supérieur, c’est celui qui entreprend et risque le plus, soit par sa pensée, soit par ses actes. Cette supériorité vient de ce qu’il a un plus grand trésor de force intérieure, il a plus de pouvoir ; par cela même, il a un devoir supérieur.
Le sacrifice même de la vie peut être encore, dans certains cas, une expansion de la vie, devenue assez intense pour préférer un élan de sublime exaltation à des années de terre à terre. Il y a des heures, nous l’avons vu, où il est possible de dire à la fois : je vis, j’ai vécu. Si certaines agonies physiques et morales durent des années, et si l’on peut pour ainsi dire mourir à soi-même pendant toute une existence, l’inverse est aussi vrai, et l’on peut concentrer une vie dans un moment d’amour et de sacrifice.
Enfin, de même que la vie se fait son obligation d’agir par sa puissance même d’agir, elle se fait aussi sa sanction par son action même, car en agissant elle jouit de soi, en agissant moins elle jouit moins, en agissant davantage elle jouit davantage. Même en se donnant, la vie se retrouve, même en mourant elle a conscience de sa plénitude, qui reparaîtra ailleurs indestructible sous d’autres formes, puisque dans le monde rien ne se perd.
En somme, c’est la puissance de la vie et l’action qui peuvent seules résoudre, sinon entièrement, du moins en partie, les problèmes que se pose la pensée abstraite. Le sceptique, en morale comme en métaphysique, croit qu’il se trompe, lui et tous les autres, que l’humanité se trompera toujours, que le prétendu progrès est un piétinement sur place ; il a tort. Il ne voit pas que nos pères nous ont épargné les erreurs mêmes où ils sont tombés et que nous épargnerons les nôtres à nos descendants ; il ne voit pas qu’il y a d’ailleurs, dans toutes les erreurs, de la vérité, et que cette petite part de vérité va peu à peu s’accroissant et s’affermissant. D’un autre côté, celui qui a la foi dogmatique croit qu’il possède, à l’exception de tous les autres, la vérité entière, définie et impérative : il a tort. Il ne voit pas qu’il y a des erreurs mêlées à toute vérité, qu’il n’y a encore rien dans la pensée de l’homme d’assez parfait pour être définitif. Le premier croit que l’humanité n’avance pas, le second qu’elle est arrivée ; il y a un milieu entre ces deux hypothèses : il faut se dire que l’humanité est en marche et marcher soi-même. Le travail, comme on l’a dit, vaut la prière ; il vaut mieux que la prière, ou plutôt il est la vraie prière, la vraie providence humaine : agissons au lieu de prier. N’ayons espoir qu’en nous-mêmes et dans les autres hommes, comptons sur nous. L’espérance, comme la providence, voit parfois devant elle (providere). La différence entre la providence surnaturelle et l’espérance naturelle, c’est que l’une prétend modifier immédiatement la nature par des moyens surnaturels comme elle, l’autre ne modifie d’abord que nous-mêmes ; c’est une force qui ne nous est pas supérieure, mais intérieure : c’est nous qu’elle porte en avant. Reste à savoir si nous allons seuls, si le monde nous suit, si la pensée pourra jamais entraîner la nature ; — avançons toujours. Nous sommes comme sur le Léviathan dont une vague avait arraché le gouvernail et un coup de vent brisé le mât. Il était perdu dans l’océan, de même que notre terre dans l’espace. Il alla ainsi au hasard, poussé par la tempête, comme une grande épave portant des hommes ; il arriva pourtant. Peut-être notre terre, peut-être l’humanité arriveront-elles aussi à un but ignoré qu’elles se seront créé à elles-mêmes. Nulle main ne nous dirige, nul œil ne voit pour nous ; le gouvernail est brisé depuis longtemps ou plutôt il n’y en a jamais eu, il est à faire : c’est une grande tâche, et c’est notre tâche.




FIN.


 3
INTRODUCTION
Critique des divers essais pour justifier métaphysiquement l’obligation

Chap. Ier. — Morale du dogmatisme métaphysique. — I. L’hypothèse optimiste. — II. L’hypothèse pessimiste. — III. L’hypothèse de l’indifférence de la nature. 
 9
Chap. II — I. Morale de la certitude pratique. — II. Morale de la foi. — III. Morale du doute. 
 53
LIVRE PREMIER
Du mobile moral au point de vue scientifique
premiers équivalents du devoir

Chap. Ier. — L’intensité de la vie est le mobile de l’action. 
 83
Chap. II — La plus haute intensité de la vie a pour corrélatif nécessaire sa plus large expansion. 
 95
Chap. III. — Dans quelle mesure le mobile de l’activité peut créer une sorte d’obligation. — Pouvoir et devoir. 
 104
Chap. IV. — Le sentiment d’obligation au point de vue de la dynamique mentale, comme force impulsive ou répressive. 
 117
LIVRE DEUXIÈME
Derniers équivalents possibles du devoir pour le maintien de la moralité

Chap. Ier. — Quatrième équivalent du devoir, tiré des plaisirs du risque et de la lutte. 
 140
Chap. II. — Cinquième équivalent du devoir tiré du risque métaphysique : l’hypothèse.
I. Le risque métaphysique dans la spéculation. 
 161
II. Le risque méthaphysique dans l’action. 
 173
LIVRE TROISIÈME
L’idée de sanction

Chap. Ier. — Critique de la sanction naturelle et de la sanction morale 
 179
I. Sanction naturelle. 
 182
II. Sanction morale et justice distributive. 
 186
Chap. II. — Principe de la justice pénale ou défensive dans la société 
 198
Chap. III. — Critique de la sanction intérieure et du remords. 
 218
Chap. IV. — Critique de la sanction religieuse et métaphysique.
I. Sanction religieuse. 
 227
II Sanction d’amour et de fraternité. 
 231

 244