dimanche 25 juin 2023

Poèmes - André Ady

 Poèmes - André Ady


PLAIE DE BRAISE ET D'ORTIES

 

Plaie de braise et d'ortie je suis, et brasier,

Je suis torturé par la clarté, par la rosée,

Il faut que je t'aie, je viens te posséder,

Je veux plus de torture; il faut que je t'aie.


Que ta flamme brandille, brasille, blanchoie,

Les brasiers supplicient, les désirs supplicient,

C'est toi ma torture, ma géhenne à moi,

Mes entrailles vers toi sont un cri, un tel cri!


Le désir m'a haché, le baiser m'a saigné,

Je suis plaie, braie, faim de neuves tortures,

Donne-moi des tortures, à moi l'affamé,

Je suis plaie, baise-moi, brûle-moi, sois brûlure.


POEME DU FILS DU PROLETAIRE


Mon père à moi de l'aube à la nuit

Vite, vite, trime, travaille;

Mon père à moi, pas d'homme meilleur

Où qu'on aille


Mon père à moi va en veste usée,

Mais m'achète un habit flambant

Et me parle d'un futur tout beau

Amoureusement


Mon père à moi est captif des riches,

Ils le broyent, ils le ploient, le pauvre gars,

Lui, le soir, il rentre, du bon espoir

Plein les bras


Mon père à moi, sa fierté, sa force,

Il nous les donne, ce lutteur, ce grand,

Mais lui-même jamais ne s'abaisse

Devant l'argent.


Mon père à moi est un pauvre, un sauvage;

S'il n'avait de regard pour son gars,

Il arrêtaient cette immense farce

D'ici-bas.


Mon père à moi, s'il le décidait,

Les riches tous seraient détruits, 

Tous mes petits camarades seraient 

Comme je suis.

 

Mon père à moi, s'il  disait un seul mot,

Ha, on en verrait des peureux,

Ils seraient moins nombreux, les noceurs,

Les heureux.


Mon père à moi, travailleur, batailleur,

Peut-être c'est lui, le roi des rois;

Oui, plus que le Roi, c'est lui le fort,

Mon père à moi.

dimanche 11 juin 2023

L'innommable - Samuel Beckett

 L'innommable - Samuel Beckett

 

Et maintenant le ça, que j’aime mieux, que je dois dire que j’aime mieux, quelle mémoire, du vrai papier à mouches, je ne sais pas, je ne l’aime plus mieux, c’est tout ce que je sais, alors pas la peine de s’en occuper, une chose qu’on n’aime plus mieux, vous voyez ça, s'occuper de ça, jamais de la vie, il faut attendre, se découvrir une préférence, il sera temps alors de se livrer à une enquête en règle. Du reste, lions, lions, on ne sait jamais, du reste leur attitude envers moi n’a pas changé, je me suis trompé, ils se sont trompés, ils m’ont trompé, ils ont voulu me tromper, en disant qu’elle avait changé, leur attitude envers moi, mais ils ne m’ont pas trompé, je n’ai pas compris ce qu’ils voulaient faire, ce qu’ils voulaient me faire, moi je dis ce qu’on me dit de dire, un point c’est tout, et encore, je ne sais pas, je ne me sens pas une bouche, je ne sens pas les mots se bousculer dans ma bouche, et lorsqu’on dit un poème qu’on aime, lorsqu’on aime la poésie, dans le métro, ou dans son lit, pour soi, les mots sont là, quelque part, sans faire le moindre bruit, je ne sens pas ça non plus, les mots qui tombent, on ne sait pas où, on ne sait pas d’où, gouttes de silence à travers le silence, je ne le sens pas, je ne me sens pas une bouche, je ne me sens pas une tête, est-ce que je me sens une oreille, répondez franchement, si je me sens une oreille, eh bien non, tant pis, je ne me sens pas une oreille non plus, ce que ça va mal, cherchez bien, je dois sentir quelque chose, oui, je sens quelque chose, ils disent que je sens quelque chose, je ne sais pas ce que c’est, je ne sais pas ce que je sens, dites-moi ce que je sens, je vous dirai qui je suis, ils me diront qui je suis, je ne comprendrai pas, mais ce sera dit, ils auront dit qui je suis, et moi je l’aurai entendu, sans oreille je l’aurai entendu, et je l’aurai dit, sans bouche je l’aurai dit, je l’aurai entendu hors de moi, puis aussitôt dans moi, c’est peut-être ça que je sens, qu’il y a un dehors et un dedans et moi au milieu, c’est peut-être ça que je suis, la chose qui divise le monde en deux, d’une part le dehors, de l’autre le dedans, ça peut être mince comme une lame, je ne suis ni d’un côté ni de l’autre, je suis au milieu, je suis la cloison, j’ai deux faces et pas d’épaisseur, c’est peut-être ça que je sens, je me sens qui vibre, je suis le tympan, d’un côté c’est le crâne, de l’autre le monde, je ne suis ni de l’un ni de l’autre, ce n’est pas à moi qu’on parle, ce n’est pas à moi qu’on pense, non, ce n’est pas ça, je ne sens rien de tout ça, essayez autre chose, bande de cochons, dites autre chose, que je l’entende, je ne sais comment, que je le répète, je ne sais comment, quels rustres quand même, dire toujours la même chose, me faire dire toujours la même chose, quand ils savent que ce n’est pas la bonne, non, eux ils ne savent rien non plus, ils oublient, ils croient changer alors qu’ils ne changent jamais, ils seront là à dire la même chose jusqu’à ce qu’ils en meurent, alors un petit silence peut-être, le temps que l’équipe suivante soit à pied d’œuvre, il n’y a que moi d’immortel, que voulez-vous, je ne peux pas naître, c’est peut-être là leur calcul, dire toujours la même chose, génération après génération, m’agonir toujours de la même chose, jusqu’à ce que, sortant de mes gonds, je me mette à hurler, alors ils diront, Il a vagi, il va râler, c’est forcé, allons-nous-en, inutile d’assister à cela, d’autres nous attendent, lui c’est fini, ses malheurs sont finis, ses malheurs vont commencer, ses malheurs vont finir, il est sauvé, nous l’avons sauvé, ils sont tous pareils, ils se laissent tous sauver, ils se laissent tous naître, ça a été un dur morceau, il fera une belle carrière, dans la rage, dans le remords, il ne se pardonnera jamais, et ainsi s’en iront, ainsi devisant, en file indienne, ou deux à deux, le long de la grève, c’est une grève, sur le galet, dans le sable, dans l’air du soir, c’est le soir, c’est tout ce qu’on sait, le soir, les ombres, n’importe où, sur la terre. Oui, mais voilà, mes gonds, je n’en sortirai pas, le soir non plus, ce n’est pas sûr, ce n’est pas nécessaire, l’aube elle aussi fait de longues ombres, à tout ce qui est encore debout, c’est tout ce qui compte, seule l’ombre compte, sans vie à elle, sans forme ni repos, c’est peut-être l’aube, soir de la nuit, la question n’est pas là, s’en iront, ainsi s’en iront, vers mes frères, non, pas de ça, pas de frères, c’est ça, rétractez, ils ne savent pas, ils s’en vont, sans savoir où, vers le maître, ça se peut, remarquez bien, ça se peut, pour qu’il les libère, pour eux c’est fini, pour moi ça commence, la fin commence, ils s’arrêtent, pour écouter mes cris, ils ne s’arrêteront plus, si, ils s’arrêteront, mes cris s’arrêteront, de temps en temps, je m’arrêterai de crier, pour écouter, si personne ne me répond, pour regarder, si personne ne vient, puis j’irai, je fermerai les yeux et j’irai, criant, crier ailleurs. Oui, mais voilà, ma bouche, je ne l’ouvrirai pas, je ne pourrai pas, je n’en ai pas, la belle affaire, il m’en poussera une, un petit trou d’abord, de plus en plus large, de plus en plus profond, l’air s’engouffrera en moi, l’air vivifiant, et ressortira aussitôt, en hurlant. Mais n’est-ce pas trop demander, n’est-ce pas trop, demander tant, à si peu, est-ce utile ? Et ne suffirait-il pas, sans que rien soit changé à la chose telle quelle, telle que toujours, sans qu’une bouche vienne se creuser là où même les rides n’ont jamais su se graver, ne suffirait-il pas, de quoi, le fil est perdu, tant pis, prenons-en un autre, d’un petit mouvement, d’un détail qui s’affaisse, se soulève, ça ferait chiquenaude, tout l’ensemble s’en ressentirait, ça ferait boule de neige, ce serait bientôt l’agitation généralisée, la locomotion elle-même, voyages proprement dits, d’affaires, d’études, d’agrément, déplacements librement consentis, promenades sentimentales et solitaires, j’indique les grandes lignes, sports, nuits blanches, exercices d’assouplissement, ataxie, spasmes, rigidité cadavérique, dégagement de l’ossature, ça devrait suffire. C’est que c’est une question de mots, de voix, il ne faut pas l’oublier, il faut essayer de ne pas l’oublier complètement, il s’agit d’une chose à dire, par eux, par moi, ce n’est pas clair, c’est à se demander si toute cette salade de vie et de la mort ne leur est pas parfaitement étrangère, autant qu’à moi. Le fait est qu’ils ne savent plus où ils en sont, où j’en suis, moi je ne l’ai jamais su, moi j’en suis là où j’en ai toujours été, je ne sais pas où c’est, et l’en, j’ignore ce qu’il désigne, un processus quelconque, où je serais coincé, ou que je n’aurais pas encore abordé, je n’en suis nulle part, c’est ça qui les travaille, ils veulent que j’en sois quelque part, n’importe où, s’ils pouvaient s’arrêter de ratiociner, sur eux, sur moi, sur le but à atteindre, et simplement continuer, puisqu’il le faut, jusqu’à l’épuisement, non, pas de ça non plus, simplement continuer, sans l’illusion d’avoir commencé un jour, de pouvoir un jour conclure, mais c’est trop difficile, trop difficile, dépourvu de but, de ne pas se vouloir une fin, de raison d’être, un temps où l’on n’était pas. Difficile aussi de ne pas oublier, dans sa soif de quelque chose à faire, pour ne plus avoir à le faire, pour avoir ça en moins à faire, qu’il n’y a rien à faire, rien de spécial à faire, rien de faisable à faire. Inutile aussi, dans la soif, dans la faim, non, pas besoin de faim, la soif suffit, dans la soif, inutile de se raconter des histoires, pour passer le temps, les histoires ne font pas passer le temps, rien ne le fait passer, ça ne fait rien, c’est comme ça, on se raconte des histoires, puis on se raconte n’importe quoi, en disant, Ce ne sont plus des histoires, alors que ce sont toujours des histoires, ou plutôt il n’y a jamais eu d’histoires, ça a toujours été n’importe quoi, on s’est toujours raconté n’importe quoi, d’aussi loin qu’on se rappelle, non, d’un peu plus loin que ça, on ne se rappelle rien, toujours n’importe quoi, toujours la même chose, pour passer le temps, puis, le temps ne passant pas, pour rien, dans la soif, voulant s’arrêter, ne pouvant s’arrêter, cherchant pourquoi, pourquoi ce besoin de parler, ce besoin de s’arrêter, cette impossibilité de s’arrêter, trouvant pourquoi, ne trouvant plus, retrouvant, ne retrouvant plus, ne cherchant plus, cherchant encore, trouvant encore, ne trouvant plus, ne cherchant plus, cherchant encore, ne trouvant rien, trouvant enfin, ne trouvant plus, parlant toujours, assoiffé toujours, cherchant toujours, ne cherchant plus, parlant toujours, cherchant encore, se demandant quoi, de quoi il s’agit, cherchant ce qu’on cherche, s’écriant Ah oui, soupirant Mais non, gémissant Assez, s’exclamant Pas encore, cherchant toujours, perdant la boule, cherchant la boule, racontant toujours, n’importe quoi, cherchant encore, n’importe quoi, dans la soif, d’on ne sait plus quoi, ah oui, de quelque chose à faire, mais non, plus rien à faire, depuis quand, depuis toujours, et puis assez, à moins que, des fois que, cherchons par là, encore un effort, cherchons quoi, c’est vrai, essayons de savoir, avant de chercher, ce qu’on cherche, avant de chercher par là, par où, parlant toujours, cherchant toujours, en soi, hors de soi, ne cherchant plus, perdant la boule, maudissant Dieu, ne le maudissant plus, n’en pouvant plus, pouvant toujours, cherchant toujours, dans la nature, dans l’entendement, sans savoir quoi, sans savoir où, où est la nature, où est l’entendement, qu’est-ce qu’on cherche, qui est-ce qui cherche, cherchant qui on est, dernier égarement, où on est, ce qu’on fait, ce qu’on leur a fait, ce qu’ils vous ont fait, parlant toujours, où sont les autres, qui est-ce qui parle, ce n’est pas moi qui parle, où est-ce que je suis, où est-ce que c’est, là où j’ai toujours été, où sont les autres, ce sont les autres qui parlent, c’est à moi qu’ils parlent, c’est de moi qu’ils parlent, je les entends, je suis muet, qu’est-ce qu’ils veulent, qu’est-ce que je leur ai fait, qu’est-ce que j’ai fait à Dieu, qu’est-ce qu’ils ont fait à Dieu, qu’est-ce que Dieu nous a fait, il ne nous a rien fait, nous ne lui avons rien fait, nous ne pouvons rien lui faire, il ne peut rien nous faire, nous sommes innocents, il est innocent, ce n’est la faute de personne, qu’est-ce qui n’est la faute de personne, cet état de choses, quel état de choses, c’est ainsi, ainsi soit-il, sois tranquille, il sera ainsi, qu’est-ce qui sera ainsi, comment ainsi, parlant toujours, dans la soif, perdant la boule, cherchant toujours, ne cherchant plus, cherchant encore, qu’est-ce qu’ils veulent, que je sois ceci, que je sois cela, que je crie, que je bouge, que je sorte d’ici, que je naisse, que je meure, que j’écoute, j’écoute, ce n’est pas assez, que je comprenne, j’essaie, je ne peux pas, je n’essaie pas, je ne peux pas essayer, j’en ai assez, le pauvre, eux aussi, qu’ils disent ce qu’ils veulent, qu’ils me donnent quelque chose à faire, quelque chose de faisable, pour moi, les pauvres, ils ne peuvent pas, ils ne savent pas, ils me ressemblent, de plus en plus, plus besoin d’eux, plus besoin de personne, personne n’y peut rien, c’est moi qui parle, inutile de se raconter des histoires, dans la soif, dans la faim, dans la glace, dans la fournaise, on ne sent rien, que c’est curieux, on ne se sent pas une bouche, on ne sent plus la bouche, pas besoin d’une bouche, les mots sont partout, dans moi, hors moi, ça alors, tout à l’heure je n’avais pas d’épaisseur, je les entends, pas besoin de les entendre, pas besoin d’une tête, impossible de les arrêter, impossible de s’arrêter, je suis en mots, je suis fait de mots, des mots des autres, quels autres, l’endroit aussi, l’air aussi, les murs, le sol, le plafond, des mots, tout l’univers est ici, avec moi, je suis l’air, les murs, l’emmuré, tout cède, s’ouvre, dérive, reflue, des flocons, je suis tous ces flocons, se croisant, s’unissant, se séparant, où que j’aille je me retrouve, m’abandonne, vais vers moi, viens de moi, jamais que moi, qu’une parcelle de moi, reprise, perdue, manquée, des mots, je suis tous ces mots, tous ces étrangers, cette poussière de verbe, sans fond où se poser, sans ciel où se dissiper, se rencontrant pour dire, se fuyant pour dire, que je les suis tous, ceux qui s’unissent, ceux qui se quittent, ceux qui s’ignorent, et pas autre chose, si, tout autre chose, que je suis tout autre chose, une chose muette, dans un endroit dur, vide, clos, sec, net, noir, où rien ne bouge, rien ne parle, et que j’écoute, et que j’entends, et que je cherche, comme une bête née en cage de bêtes nées en cage de bêtes nées en cage de bêtes nées en cage de bêtes nées en cage de bêtes nées en cage de bêtes nées et mortes en cage nées et mortes en cage de bêtes nées en cage mortes en cage nées et mortes nées et mortes en cage en cage nées et puis mortes nées et puis mortes, comme une bête dis-je, disent-ils, une telle bête, que je cherche, comme une telle bête, avec mes pauvres moyens, une telle bête, n’ayant plus de son espèce que la peur, la rage, non, la rage est terminée, que la peur, plus rien de tout ce qui lui revenait que la peur, centuplée, la peur de l’ombre, non, elle est aveugle, elle est née aveugle, du bruit, si l’on veut, il le faut, il faut quelque chose, c’est dommage, c’est comme ça, peur du bruit, peur des bruits, bruits des bêtes, bruits des hommes, bruits du jour et de la nuit, ça suffit, peur des bruits, tous les bruits, plus ou moins, plus ou moins peur, tous les bruits, il n’y en a qu’un, qu’un seul, continu, jour et nuit, qu’est-ce que c’est, c’est des pas qui vont et viennent, c’est des voix qui parlent un moment, c’est des corps se frayant un chemin, c’est l’air, c’est les choses, c’est l’air parmi les choses, ça suffit, que je cherche, comme elle, non, pas comme elle, comme moi, à ma façon, que dis-je, à ma manière, que je cherche, qu’est-ce que je cherche maintenant, ce que je cherche, je cherche ce que c’est, ça doit être ça, ça ne peut être que ça, ce que c’est, ce que ça peut être, ce que ça peut bien être, quoi, ce que je cherche, non, ce que j’entends, ça me revient, tout me revient, je cherche, j’entends dire que je cherche ce que ça peut bien être, ce que j’entends, ça me revient, et d’où ça peut bien venir, jusqu’à moi, puisque ici tout se tait, et que les murs sont épais, et comment je fais, sans me sentir une oreille, sans me sentir une tête, ni un corps, ni une âme, comment je fais, pour quoi faire, mais pour ne rien faire, comment je fais, ce n’est pas clair, vous dites que ce n’est pas clair, il manque quelque chose pour que ce soit clair, je vais chercher, je vais chercher ce qui manque, pour que tout soit clair, je suis toujours en train de chercher quelque chose, c’est fastidieux, à la fin, et ça ne fait que commencer, comment je fais, pour quoi faire, pour que tout soit clair, comment je fais, dans ces conditions, pour faire ce que je fais, à savoir, ce que je fais, ce que je fais, il faut trouver ce que je fais, dites-moi ce que je fais, je demanderai comment c’est possible, j’entends, vous dites que j’entends, et que je cherche, ce n’est pas vrai, je ne cherche rien, je ne cherche plus rien, enfin, passons, n’insistons pas, et que je cherche, ils sont en train de me rafraîchir la mémoire, et que je cherche, primo, ce que c’est, secondo, d’où ça vient, et tertio, comment je fais, ça y est, comment je fais, pour le faire, vu que ceci, attendu que cela, étant donné je ne sais plus quoi, voilà qui est clair, comment je fais, pour entendre, et comment je fais, pour comprendre, ce n’est pas vrai, avec quoi comprendrais-je, c’est pour cela que je me le demande, comment je fais, pour comprendre, oh pas la moitié, ni le centième, ni le cinq millième, continuons à diviser par cinquante, ni le quart de millionième, ça suffit, mais un peu quand même, il le faut, ça vaut mieux, c’est dommage, c’est comme ça, un petit peu quand même, le moins possible, c’est appréciable, c’est suffisant, le sens général d’une expression sur mille, sur dix mille, continuons à multiplier, par dix, rien de plus reposant que le calcul, sur cent mille, sur un million, c’est trop, c’est trop peu, on s’est gouré, ça ne fait rien, ça ne change guère, ici, d’une expression à l’autre, qui en saisit une les saisit toutes, ce n’est pas mon cas, toutes, comme vous y allez, toujours pour le tout, le tout qu’est tout, le tout qu’est rien, jamais dans le milieu, jamais, toujours, c’est trop, c’est trop peu, souvent, rarement, résumons, après cette digression, il y a moi, je le sens, oui, je l’avoue, je m’incline, il y a moi, il le faut, ça vaut mieux, je n’aurais pas dit, je ne le dirai pas toujours, j’en profite, de devoir dire, c’est une façon de parler, qu’il y a moi, d’une part, et ce bruit de l’autre, ça je n’en ai jamais douté, non, soyons logique, ça n’a jamais fait de doute, ce bruit, de l’autre, si c’est de l’autre, ce sera là sans doute la matière de notre prochaine délibération, je veux dire qu’il est temps de traiter cette question à fond, à tête reposée, je résume, maintenant que je suis là c’est moi qui résumerai, c’est moi qui dirai et c’est moi qui dirai ce que j’aurais dit, ça va être gai, je résume, moi et ce bruit, je ne vois rien d’autre pour le moment, mais je viens seulement d’entrer en fonctions, moi et ce bruit, et quand cela serait, ne m’interrompez pas, je fais de mon mieux, je répète, moi et ce bruit, deux choses, au sujet desquelles, en renversant l’ordre naturel, il semble enfin acquis, entre autres choses, ce qui suit, c’est-à-dire, d’une part, quant au bruit, qu’il n’a pas été possible jusqu’à présent de déterminer avec certitude, ni même vraisemblance, ce que c’est, comme bruit, ni comment il vient jusqu’à moi, ni par quel organe il est émis, ni par lequel perçu, ni par quelle intelligence saisi, dans ses grandes lignes, et, d’autre part, c’est-à-dire quant à moi, ça va être plus long, quant à moi, ça va être gai, qu’il n’a pas été donné encore d’établir avec le moindre degré de précision ce que je suis, où je suis, si je suis des mots parmi des mots, ou si je suis le silence dans le silence, pour ne rappeler que deux des hypothèses lancées à ce sujet, quoique à vrai dire le silence ne se soit pas beaucoup fait remarquer jusqu’à présent, mais il ne faut pas faire attention aux apparences, je reprends, pas été établi, entre autres choses, ce que je suis, non, déjà signalé, ce que je fais, comment je fais pour entendre, si j’entends, si c’est moi qui entends, et qui peut en douter, je ne sais pas, le doute est là, à ce sujet, quelque part, je reprends, comment je fais, pour entendre si c’est moi qui entends, et comment pour comprendre, ellipse quand possible, ça fait gagner du temps, comment pour comprendre, même réserve, et comment ça se fait, si c’est moi qui parle, et on peut le supposer comme on peut en douter, si c’est moi qui parle, que je parle, sans arrêt, que j’aie envie de m’arrêter, que je ne puisse m’arrêter, j’indique les grandes lignes, ça fait plus synopsis, je reprends, pas établi, quant à moi, si c’est moi qui cherche, ce qu’au juste je cherche, trouve, perds, retrouve, jette, cherche à nouveau, trouve à nouveau, jette à nouveau, non je n’ai jamais rien jeté, jamais rien jeté de tout ce que j’ai trouvé, jamais rien trouvé que je n’aie perdu, jamais rien perdu que je n’eusse pu jeter, si c’est moi qui cherche, trouve, perds, retrouve, reperds, cherche encore, ne trouve plus, ne cherche plus, cherche encore,  trouve encore, perds encore, ne cherche plus, si c’est moi ce que c’est, et si ce n’est pas moi, qui c’est, et ce que c’est, je ne vois rien d’autre, pour le moment, si si, je conclus, pas établi, vu l’inutilité de se raconter même n’importe quoi, pour que le temps passe, pourquoi je le fais, si c’est moi qui le fais, comme s’il fallait des raisons pour faire n’importe quoi, pour que le temps passe, ça ne fait rien, on peut se le demander, pour mémoire, pourquoi le temps ne passe pas, ne vous laisse pas, pourquoi il vient s’entasser autour de vous, instant par instant, de tous les côtés, de plus en plus haut, de plus en plus épais, votre temps à vous, celui des autres, celui des vieux morts et des morts à naître, pourquoi il vient vous enterrer à compte-gouttes ni mort ni vivant, sans mémoire de rien, sans espoir de rien, sans connaissance de rien, sans histoire ni avenir, enseveli sous les secondes, racontant n’importe quoi, la bouche pleine de sable, évidemment, c’est à côté de la question, le temps et moi, ça fait deux, mais on peut se le demander, pourquoi le temps ne passe pas, comme ça, pour mémoire, en passant, pour passer le temps, je crois que c’est tout, pour le moment, je ne vois rien d’autre, je ne vois plus rien, pour l’instant. Il ne faut plus que je me pose des questions, si c’est moi, ces lapins, qui m’empêchent de me retrouver, à moins qu’il ne s’agisse d’un autre, de deux autres, comme disait l’autre, il ne le faut plus. Autres résolutions, tant qu’à faire, c’est ça, hardiment, autres résolutions. Faire un abondant usage du principe de parcimonie, comme s’il m’était familier, il n’est pas trop tard. Supposer notamment dorénavant que la chose dite et celle entendue soient de même provenance, en évitant de révoquer en doute la possibilité de supposer quoi que ce soit. Situer cette provenance en moi, sans spécifier où, pas de fignolage, tout étant préférable à la conscience de tierces personnes et, d’une façon un peu plus générale, d’un monde extérieur. Pousser au besoin cette compression jusqu’à ne plus envisager qu’un sourd exceptionnellement débile d’esprit, n’entendant rien de ce qu’il dit, ni avant ni trop tard, et n’y comprenant, de travers, que le strict minimum. Evoquer aux moments difficiles, où le découragement menace de se faire sentir, l’image d’une grande bouche idiote, rouge, lippue, baveuse, au secret, se vidant inlassablement, avec un bruit de lessive et de gros baisers, des mots qui l’obstruent. Ecarter une fois pour toutes, en même temps que l’analogie avec la damnation usuelle, toute idée de commencement et de fin. Surmonter, cela va de soi, le funeste penchant à l’expression. Me prendre, sans scrupules ni ménagement, pour celui qui existe, d’une façon quelconque, peu importe laquelle, pas de fignolage, celui dont cette histoire, un instant, se voulait l’histoire. Mieux, me prêter un corps. Mieux encore, m’arroger un esprit. Parler d’un monde à moi, dit aussi intérieur, sans m’étrangler. Ne plus douter de rien. Ne plus rien chercher. Profiter de l’âme, de l’épaisseur, tout flambant neuves, pour abandonner, du seul abandon possible, en dedans. Enfin, bref, ces décisions prises, et d’autres encore, continuer tranquillement comme par le passé. Il y a quand même quelque chose de changé.

 

--

Je vais m’arrêter, c’est-à-dire que je vais en avoir l’air, ce sera comme le reste. Comme si on me regardait ! Comme si c’était moi ! Ce sera le même silence que toujours, traversé de murmures malheureux, de halètements, de plaintes incompréhensibles, à confondre avec des rires, de petits silences, comme d’un enterré trop tôt. Ça durera ce que ça durera. Puis je recommencerai, je ressusciterai. Voilà ce que j’aurai gagné à me donner tant de peine. À moins que cette fois-ci ce ne soit le vrai silence enfin. J’ai peut- être dit ce qu’il fallait dire, ce qui me donne le droit de me taire, de ne plus écouter, de ne plus entendre, sans le savoir. J’écoute déjà, je me tais un peu déjà.

---

Alors le souffle manque, c’est la fin qui commence, on se tait, c’est la fin, ce n’en est pas une, on recommence, on a oublié, il y a quelqu’un, quelqu’un qui vous parle, de vous, de lui, puis un deuxième, puis un troisième, puis le deuxième encore, puis les trois à la fois, ces chiffres à titre d’indication, tous à la fois, qui vous parlent, de vous, d’eux, je n’ai qu’à écouter, puis ils s’en vont, un à un, ils se taisent, un à un, et la voix continue, ce n’est pas la leur, ils n’ont jamais été là, il n’y a jamais eu personne, personne que vous, jamais eu que vous, vous parlant de vous, le souffle manque, c’est presque la fin, le souffle s’arrête, c’est la fin, ce n’en est pas une, je m’entends appeler, ça recommence, ça doit se passer comme ça, si j’avais de la mémoire. Encore s’il y avait des choses, une chose quelque part, un morceau de nature, de quoi parler, on se ferait peut-être une raison, une raison de n’avoir plus personne, d’être celui qui parle, s’il y avait une chose quelque part, de quoi parler, même sans la voir, même sans savoir ce que c’est, seulement la sentir là, avec soi, quelque part, on aurait peut-être le courage de ne pas se taire, non, c’est pour se taire qu’il faut du courage, car on sera puni, on sera puni de s’être tu, et pourtant, on ne peut pas faire autrement que de se taire, que d’être puni de s’être tu, que d’être puni d’avoir été puni, puisqu’on recommence, le souffle manque, si seulement il y avait une chose, mais voilà, il n’y en a pas, c’est eux qui en partant ont emporté les choses, ils ont emporté la nature, il n’y a jamais eu personne, il n’y a jamais eu rien, personne que moi, rien que moi, me parlant de moi, impossible de m’arrêter, impossible de continuer, mais je dois continuer, je vais donc continuer, sans personne, sans rien, que moi, que ma voix à moi, c’est-à-dire que je vais m’arrêter, je vais finir, c’est la fin déjà, la fin qui commence, qui n’en sera pas une, qu’est-ce que c’est, un petit trou, on y descend, c’est le silence, pire que le bruit, on écoute, c’est pire que parler, non, pas pire, pareil, on attend, anxieux, m’ont-ils oublié, oui, non, on appelle, on m’appelle, je ressors, qu’est-ce que c’est, un petit trou, dans le désert. C’est la fin qui est le pire, non, c’est le commencement qui est le pire, puis le milieu, puis la fin, à la fin c’est la fin qui est le pire, cette voix qui, c’est chaque instant qui est le pire, ça se passe dans le temps, les secondes passent, les unes après les autres, saccadées, ça ne coule pas, elles ne passent pas, elles arrivent, pan, paf, pan, paf, vous rentrent dedans, rebondissent, ne bougent plus, quand on ne sait plus quoi dire on parle du temps, des secondes, il y en a qui les ajoutent les unes aux autres pour en faire une vie, ,moi je ne peux pas, chacune est la première, non, la seconde, ou la troisième, j’ai trois secondes, et encore, pas tous les jours. J’ai été ailleurs, fait autre chose, été dans un trou, j’en sors à l’instant, je me suis peut-être tu, non, je dis ça, pour dire quelque chose, pour pouvoir continuer encore un peu, il faut continuer encore un peu, il faut continuer encore longtemps, il faut continuer encore toujours, si je me rappelais ce que j’avais dit je pourrais le répéter, si je pouvais apprendre quelque chose par cœur je serais sauvé, je dois dire toujours la même chose et chaque fois c’est un effort, les secondes doivent être pareilles et chacune est mauvaise, qu’est-ce que je suis en train de dire maintenant, je suis en train de me le demander. 

---

Oui, dans ma vie, puisqu’il faut l’appeler ainsi, il y eut trois choses, l’impossibilité de parler, l’impossibilité de me taire, et la solitude, physique bien sûr, avec ça je me suis débrouillé. Oui, je peux parler de ma vie maintenant, je suis trop fatigué pour être délicat, mais je ne sais pas si j’ai été en vie, je n’ai vraiment pas d’opinion là-dessus. Quoi qu’il en soit, je crois que je vais bientôt me taire tout à fait, malgré l’interdiction qui m’en est faite. Alors, oui, comme ça, comme un vivant, allons-y, je serai mort, je vais bientôt être mort, j’espère que ça me changera. J’aurais voulu me taire avant, je croyais par moments que ce serait là ma récompense d’avoir si vaillamment parlé, entrer encore vivant dans le silence, pour pouvoir en jouir, non, je ne sais pas pourquoi, pour me sentir qui me taisais, uni à tout cet air que moi seul agite depuis toujours, non, ce n’est pas du vrai air, je ne peux pas le dire, je ne peux pas dire pourquoi j’aurais voulu me taire avant d’être mort, pour être un peu enfin ce qu’ayant toujours été je n’ai jamais pu être, sans peur de pire encore tranquillement là où ayant toujours été je n’ai jamais pu reposer, non, je ne sais pas, c’est plus simple, je me voulais moi, je voulais mon pays, je me voulais dans mon pays, un petit moment, je ne voulais pas mourir en étranger, parmi des étrangers, en étranger chez moi, au milieu d’envahisseurs, non, je ne sais pas ce que je voulais, je ne sais pas ce que je croyais, j’ai dû tant vouloir de choses, tant imaginer de folies, tout en parlant, sans savoir quoi au juste, à en devenir aveugle, de désirs et de visions, fondant les uns dans les autres, j’aurais mieux fait de faire attention à ce que je disais. Et puis ça ne se passait pas comme ça, ça se passait comme ça se passe en ce moment, c’est-à-dire, je ne sais pas, il ne faut pas croire ce que je dis, je ne sais pas ce que je dis, je fais comme j’ai toujours fait, je continue comme je peux. Quant à croire que je vais bientôt me taire tout à fait, je ne le crois pas spécialement, je l’ai toujours cru, comme j’ai toujours cru que je ne me tairais jamais, on ne peut pas appeler ça croire, ce sont mes murs. 

Malone Meurt - Samuel Beckett

 Malone Meurt - Samuel Beckett


Laissez-moi dire tout d’abord que je ne pardonne à personne. Je souhaite à tous une vie atroce et ensuite les flammes et la glace des enfers et dans les exécrables générations à venir une mémoire honorée. Assez pour ce soir.

---

 Vivre et inventer. J’ai essayé. J’ai dû essayer. Inventer. Ce n’est pas le mot. Vivre non plus. Ça ne fait rien. J’ai essayé. Pendant qu’en moi allait et venait le grand fauve du sérieux, rageant, rugissant, me lacérant. J’ai fait ça. Tout seul aussi, bien caché, j’ai fait le fat, tout seul, pendant des heures, immobile, souvent debout, dans une attitude d’ensorcelé, en gémissant. C’est ça, gémis. Je n’ai pas su jouer. Je tournais, battais des mains, courais, criais, me voyais perdre, me voyais gagner, exultant, souffrant. Puis soudain je me jetais sur les instruments du jeu, s’il y en avait, pour les détruire, ou sur un enfant, pour changer son bonheur en hurlement, ou je fuyais, je courais vite me cacher. Ils me poursuivaient les grands, les justes, me rattrapaient, me battaient, me faisait rentrer dans la ronde, dans la partie, dans la joie. C’est que j’étais déjà en proie au sérieux. Ça a été ma grande maladie. Je suis né grave comme d’autres syphilitiques. Et c’est gravement que j’ai essayé de ne plus l’être, de vivre, d’inventer, je me comprends. Mais à chaque nouvelle tentative je perdais la tête, me précipitais comme vers le salut dans mes ténèbres, me jetais aux genoux de celui qui ne peut ni vivre ni supporter ce spectacle chez les autres. Vivre. J’en parle sans savoir ce que ça veut dire. Je m’y suis essayé sans savoir à quoi je m’essayais. J’ai peut-être vécu après tout, sans le savoir. Je me demande pourquoi je parle de tout ça. Ah oui, c’est pour me désennuyer. Vivre et faire vivre. Plus la peine de faire le procès aux mots. Ils ne sont pas plus creux que ce qu’ils charrient. Après l’échec, la consolation, le repos, je recommençais, à vouloir vivre, faire vivre, être autrui, en moi, en autrui. Que tout ça est faux. Je n’ai jamais rencontré de semblable. Je pare maintenant au plus pressé. Je recommençais. Mais peu à peu dans une autre intention. Non plus celle de réussir, mais celle d’échouer. Il y a une nuance. Ce à quoi je voulais arriver, en me hissant hors de mon trou d’abord, puis dans la lumière cinglante vers d’inaccessibles nourritures, c’était aux extases du vertige, du lâchage, de la chute, de l’engouffrement, du retour au noir, au rien, au sérieux, à la maison, à celui qui m’attendait toujours, qui avait besoin de moi et dont moi j’avais besoin, qui me prenait dans ses bras et me disait de ne plus partir, qui me cédait la place et veillait sur moi, qui souffrait chaque fois que je le quittais, que j’ai beaucoup fait souffrir et peu contenté, que je n’ai jamais vu. Voilà que je commence à m’exalter. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit mais d’un autre, qui ne me vaut pas et que j’essaie d’envier, dont je suis enfin à même de raconter les plates aventures, je ne sais comment. Moi non plus je n’ai jamais su me raconter, pas plus que vivre ou raconter les autres. Comment l’aurais-je fait, n’ayant jamais essayé ? Me montrer maintenant, à la veille de disparaître, en même temps que l’étranger, grâce à la même grâce, voilà qui ne serait pas dépourvu de piquant. Puis vivre, le temps de sentir, derrière mes yeux fermés, se fermer d’autres yeux. Quelle fin.

 

---

Monde mort, sans eau, sans air. Ç’est ça, tes souvenirs. De loin en loin, au fond d’un cirque, l’ombre d’un lichen flétri. Et nuits de trois cents heures. Plus chère des clartés, blafarde, grêlée, moins fate des clartés. En voilà des effusions. Qu’a-t-elle bien pu durer, cinq minutes, dix minutes ? Oui, pas plus, guère plus. Mais il en luit encore, mon filet de ciel. Autrefois je comptais, je comptais jusqu’à trois cents, quatre cents et avec d’autres choses encore, les ondées, les cloches, le babil des moineaux à l’aube, je comptais, ou pour rien, pour compter, puis je divisais par soixante. Ça passait le temps, j’étais le temps, je mangeais l’univers. Plus maintenant. On change. En vieillissant.

---


Molloy - Samuel Beckett

 Molloy - Samuel Beckett


J'ai oublié l'orthographe aussi, et la moitié des mots.

vendredi 2 juin 2023

Œuvres complètes II – André Breton

Œuvres complètes II – André Breton

 

INTRODUCTION AU DISCOURS SUR LE PEU DE RÉALITÉ

 

Sans fil voici une locution qui a pris place trop récemment dans notre vocabulaire, une locution dont la fortune a été trop rapide pour qu’il n’y passe pas beau­coup du rêve de notre époque, pour qu’elle ne me livre pas une des très rares déterminations spécifiquement nouvelles de notre esprit. Ce sont de faibles repères de cet ordre qui me donnent parfois l’illusion de tenter la grande aventure, de ressembler quelque peu à un cher­cheur d’or : je cherche l’or du temps. Qu’évoquent-ils donc ces mots que j’avais choisis? À peine le sable des côtes, quelques faucheux entrelacés au creux d’un saule — d’un saule ou du ciel, car c’est sans doute sim­plement l’antenne à grande surface, puis des îles, rien que des îles... la Crète, où je dois être Thésée, mais Thésée enfermé pour toujours dans son labyrinthe de cristal.

Télégraphie sans fil, téléphonie sans fil, imagination sans fil, a-t-on dit. L’induction est facile mais selon moi elle est permise, aussi. L’invention, la découverte humaine, cette faculté qui, dans le temps, nous est si parcimonieusement accordée de connaître, de posséder ce dont on ne se faisait aucune idée avant nous, est faite pour nous jeter dans une immense perplexité. De la part de la vérité cette pudeur nous alarmerait moins si, de temps à autre, elle ne faisait mine de nous céder, de nous abandonner le plus insignifiant de ses secrets, pour reve­nir bien vite à ses réticences. La mauvaise humeur de la plupart des hommes qui, à la longue, n’ont plus consenti à être dupes de ces révélations dérisoires, qui s’en sont tenus une fois pour toutes aux seules données inva­riables, comme on regarde les montagnes, la mer — les esprits classiques, enfin — , leur vaut cependant de ne pas tirer tout le parti possible d’une vie qui, je l’accorde ne se distingue pas par essence de toutes les vies passées mais ne doit pas non plus tout à fait en vain se voir assi­gner de telles limites1: André Breton (1896-19..).

Je suis dans un vestibule de château, ma lanterne sourde à la main, et j’éclaire tour à tour les étincelantes armures. N’allez pas croire à quelque ruse de malfai­teur. L’une de ces armures semble presque à ma taille; puissé-je la revêtir et retrouver en elle un peu de la conscience d’un homme du xive siècle. Ô théâtre éternel, tu exiges que non seulement pour jouer le rôle d’un autre, mais encore pour dicter ce rôle, nous nous mas­quions à sa ressemblance, que la glace devant laquelle nous posons nous renvoie de nous une image étrangère. L’imagination a tous les pouvoirs, sauf celui de nous identifier en dépit de notre apparence à un personnage autre que nous-même. La spéculation littéraire est illi­cite dès qu’elle dresse en face d’un auteur des person­nages auxquels il donne raison ou tort, après les avoir créés de toutes pièces. « Parlez pour vous, lui dirai-je, parlez de vous, vous m’en apprendrez bien davantage. Je ne vous reconnais pas le droit de vie ou de mort sur de pseudo-êtres humains, sortis armés et désarmés de votre caprice. Bornez-vous à me laisser vos mémoires; livrez-moi les vrais noms, prouvez-moi que vous n’avez en rien disposé de vos héros. » Je n’aime pas qu’on ter­giverse ni qu’on se cache. Je suis dans un vestibule de château, ma lanterne sourde à la main, et j’éclaire tour à tour les étincelantes armures. Plus tard, qui sait, dans ce même vestibule, quelqu’un sans y penser endossera la mienne. De socle à socle, le grand colloque muet se poursuivra :

 

COLLOQUE DES ARMURES

« J’entends, entendez-vous? Comment souffrir encore le galop des chevaux dans la campagne? Même pour eux le soleil des morts a beau resplendir, les vivants se por­tent toujours à fond de train au secours de l’insecourable. Ils en font une affaire d’État.

On a fini par les persuader que ce n’était pas leur première et leur dernière vie qu’ils vivaient. Une fois, disent-ils, n’est pas coutume. Nous, touchons du bois vert2.

voix de femme : En voici qui s’attardent deux par deux. Pitié pour eux seuls! Armures, faites-vous de plus en plus étincelantes; amants, faites-vous de plus en plus jouir.

— Un être peut-il être présent pour un être?

autre voix de femme: Je n’existais que pour vingt buissons d’aubépine. C’est d’eux qu’Est fait, hélas! ce corselet charmant. Mais j’ai connu aussi la pure lumière: l’amour de l’amour.

moi : L’âme sans peur s’enfonce dans un pays sans issue, où s’ouvrent des yeux sans larmes. On y va sans but, on y obéit sans colère. On y voit derrière soi sans se retourner. Je contemple enfin la beauté sans voiles, la terre sans taches, la médaille sans revers. Je n’en suis plus à implorer sans y croire un pardon sans faute. Nul ne peut fermer la porte sans gonds. À quoi bon tendre dans les bois du cœur ces pièges sans danger? Un jour sans pain ne sera pas si long, sans doute. »

Tout cela n’anéantit rien. Pour peu que je sorte la tête de mes mains, le petit fracas de l’inutile recommence à m’assourdir. Je suis au monde, bien au monde , et même assombri à cette heure par la chute du jour. Je sais qu’à Paris, sur les boulevards, les belles en­seignes lumineuses font leur apparition. Les enseignes tiennent une grande place dans ma vie quand je me promène et pourtant elles ne traduisent en vente que ce qui m’importune. Je songe aussi, de ma fenêtre, à la distribution, sensiblement égale tous les jours, des humains dans les lieux privés ou publics. Comment s’expliquer, par exemple, qu’il n’arrive jamais qu’ une salle de spectacle généralement remplie se trouve un soir à peu près vide, pour la seule raison que chacun avait affaire ailleurs? (Je parle pour les salles où la location des places est nulle ou très réduite.) Pourquoi les trains transportent-ils à la même époque de l’année un nombre de voyageurs si peu variable? C'et l'absence de coïnci­dences qui frappe, en pareil domaine. Je me laisse aller, à chaque instant, à des remarques de cette sorte, qui peuvent passer pour saugrenues mais qui donnent une juste idée des obstacles que peut avoir à surmonter toute pensée. Il y a aussi l’importance que je suis contraint d’attacher au chaud et au froid, enfin tout le processus de cette distraction continuelle qui me fait abandonner une idée par ami, un ami par idée, qui m’oblige lorsque j’écris à me déplacer, m’interrompant au milieu d’une phrase, comme si j’avais besoin de m’assurer que tel objet dans la pièce est bien à sa place, que telle de mes articulations fonctionne bien. L’existence dûment constatée à l’avance de ce bouquet que je vais respirer ou de ce catalogue que je feuillette devrait me suffire: eh bien, non. Il faut que je m’assure de sa réalité, comme on dit, que je prenne contact avec elle. L’erreur serait de tenir cette mimique pour seule expressive. En dépit de ces multiples accidents, ma pensée a son allure propre et ne semble pas trop souffrir de la trahison, si c’en est une. «À ton aise, me dit-elle, je ne te retiens pas. » C’est ainsi qu’elle me permet de lire les journaux, très peu de livres il est vrai, de lier conversation avec des inconnus, de jouer, quelquefois même de rire, de caresser une femme, de m’ennuyer, d’entrer dans un square : bref, de prendre en dehors d’elle mon peu de plaisir où je le trouve. Comme elle est plus difficile à subjuguer que moi, elle aime que je lui rende compte de l'étrange fascination qu’exercent journellement sur moi ces lieux, ces actions, ces choses, ce plus petit commun des mortels. Quelle indépendance que la sienne! Elle est forte, aussi, comme tout ce qui restera de moi. Elle est plus sombre que la nuit et c’est en vain que je cherche à l’occuper toute de ce qui a l’air de se passer très loin, en son absence, de ce que je lui dis être une suite de prodiges, afin d’être sûr qu’elle m’écoute, en belle reine triste qu’elle est :

SUITE DES PRODIGES

« Le prodige, madame, mais auparavant il faut que je vous décrive ce naufrage. Notre navire emportait tout ce que vous pouvez concevoir de plus à nom, de plus précieux. Il y avait une Vierge de plâtre dont, pour achever la ressemblance, on avait construit l’auréole en fils de la Vierge, de sorte que cette auréole s’éclairait à la rosée. Il y avait une mouche artificielle entièrement blanche que j’avais dérobée en rêve, oui, en rêve, à un pêcheur mort et que je passais des heures à regarder flotter sur l’eau dont j’avais empli un bol bleu: c’était l’appât que je destinais à l’inconnu. Il y avait ce qui peut venir du fond de la terre, ce qui peut tomber du ciel. Jusque sur le pont s’avançaient les arbustes guéris­seurs, s’exhalait le parfum des grandes jacinthes indiffé­rentes aux climats. Pour tout voir on avait décloué les caisses pesantes. On s’était aussi réparti les parures morales : le collier de la grâce n’était composé que de deux perles nommées seins; il y avait le génie qui n’était pas seulement une parure mais aussi une pro­messe éclatante. Un couple des oiseaux de beaucoup les plus rares, et qui changeaient de forme avec le vent, laissaient loin, même sous ce rapport, les instruments de musique.

«Par quelle latitude nous apparut-il que cette terre vers laquelle nous nous hâtions se dérobait à mesure et que nous eussions, plutôt que de l’atteindre, brisé la mer de verre? C’est, madame, ce que je ne saurais vous dire. Les oiseaux au chant maudit! Ils filaient désormais tris­tement, sans nous consoler. L’antagonisme du génie et de la grâce, qui n’avait duré qu’un éclair, avait suffi à rendre la virtualité aux fleurs. Le pont était de te inculte et seule subsistait, de part et d’autre du navire, dans la transparence des flots, l’image renversée des grandes jacinthes indifférentes aux climats. La Vierge avait été décoiffée par la tempête et seule la mouche blanche, d’une phosphorescence extraordinaire, oscillait dans son bol bleu de nuit.

« Nos cris, notre désespoir quand nous sentîmes que tout allait nous manquer, que ce qui pourrait exister détruit à chaque pas ce qui existe, que la solitude abso­lue volatilise de proche en proche ce que nous touchons, vous me saurez gré, madame, de vous les épargner. C’est vous qui entrez, n’est-ce pas, dans la volière incolore, c’est vous qui vouez les flots à ces floraisons damnantes?

« Le prodige, madame, c’est qu’au rivage où vous nous faites jeter à demi morts, nous gardons le souvenir émerveillé de notre désastre. Il n’y a plus d’oiseaux vivants, il n’y a plus de fleurs véritables. Chaque être couve la déception de se savoir unique. Même ce qui naît de lui ne lui appartient pas et, d’ailleurs, naît-il quelque chose de lui? Est-ce qu’il sait? Le prodige encore, c’et que l’engloutissement de toute cette splen­deur soit une question de temps, disons presque d’âge, et qu’un jour nous puissions découvrir une épave sur le sable où nous sommes sûrs que la veille il n’y avait rien.

« Je vous apporte la plus belle et peut-être la seule épave de mon naufrage. Dans ce coffret dont je n’ai pas la clé et que je vous livre dort l’idée désarmante de la présence et de l’absence dans l’amour. »

Ici, l’aiguille aimantée devient folle. Tout ce qui in­dique obstinément le nord désert ne sait plus où donner de la tête devant l’aurore. L’énigme des sexes concilie, à tout prendre, les sages et les fous. Le ciel tombant sur la tête des Gaulois, l’herbe cessant de pousser sous le sabot du cheval du Hun, rien depuis les Thermopyles glissants jusqu’à la merveilleuse formule: « Après moi le Déluge » ne nous conduit mieux au bord de notre préci­pice. Les musées la nuit, spacieux et clairs comme des music-halls, préservent du grand tourbillon le nu charte et audacieux.

Homme, je regarde maintenant cette femme dormir. La fin du monde, du monde extérieur, est attendue de minute en minute. C’est nous-mêmes qui, d’emblée, avons bravé ces conséquences, en arguant du caractère fatal de notre esprit. Que m’importe ce qu’on dit de moi puisque je ne sais pas qui parle, à qui je parle et dans l’intérêt de qui nous parlons? J’oublie, je parle de ce que j’ai déjà oublié. J’ai oublié systématiquement tout ce qui m’arrivait d’heureux, de malheureux, sinon d’indifférent. L’indifférent seul est admirable. La terrible loi psycholo­gique des compensations1, que je n’ai jamais vu formu­ler, et en vertu de laquelle il semble que nous ne pou­vons manquer bientôt de payer cher un moment de lucidité, de plaisir ou de bonheur, et, il faut bien le dire aussi, que notre pire effondrement, notre plus grand désespoir nous vaudront une revanche immédiate; que l’alternance régulière de ces deux états, comme dans la psychose maniaque-dépressive, suppose de l’un à l’autre la rigoureuse équivalence, au point de vue intensité, de nos émotions en bien et en mal, la terrible loi psycholo­gique des compensations laisse de côté l’indifférent, c’est-à-dire dans la balance du monde la seule chose qui ne soit pas susceptible de tare. C’est à l’indifférent que j’ai tenté d’exercer ma mémoire, aux fables sans mora­lité, aux impressions neutres, aux Statistiques incom­plètes... Et pourtant, homme, je regarde maintenant cette femme dormir. Le sommeil de la femme est une apothéose. Voyez-vous ce drap rouge bordé d’une large bande de dentelle noire? Un drôle de lit!

Est-ce ma faute si les femmes couchent à la belle étoile, alors même qu’elles font mine de nous garder avec elles dans leur chambre luxueuse? Elles disposent sur nous d’une puissance d’échec incroyable avec laquelle je me flatte de compter. De compter comme un lac avec les éphémères. Le lac doit être charmé par la brièveté incomparable de leur vie et moi j’envie l’op­tique changeante de la femme pour qui l’avenir n’est jamais l’au-delà, qui fronce le sourcil devant mes calculs et qui est sûre que je l’excepterai du saccage, sûre qu’elle échappera à l’extermination que je médite. Elle n’est pas fâchée, au contraire, de la faible résistance qu’opposent à mon désir d’irréel et les autres hommes, et tout ce dont notre amour se passera bien.

Nous aimer, ne resterait-il que quelques jours, nous aimer parce que nous sommes seuls à la suite de ce fameux tremblement de terre, et qu’on ne parviendra jamais à nous dégager en raison du trop grand amoncel­lement de décombres, il ne reste que cette ressource: nous aimer. Je n’ai point imaginé de ma vie de plus belle fin. Là nous n’aurions plus, dites, à faire la part des choses. Quelques mètres carrés nous suffiraient, — oh! je sais que vous ne serez pas de mon avis, mais si vous m’aimiez! Et puis c’est un peu ce qui nous arrive. Paris s’est écroulé hier; nous sommes très bas, très bas, où nous n’avons guère de place. Il n’y a ni pain ni eau, vous qui aviez peur de la prison! Avant peu ce sera fini: oui, l’on voudrait bien avoir une arme pour s’en servir le troisième, le quatrième jour, mais voilà! Pourtant, songez-y, qu’est-ce qu’une union du genre de la nôtre ne réalise pas? Vous êtes à moi pour la première fois peut- être. Vous ne vous éloignerez plus; vous n’aurez plus à prendre votre parti de me manquer quelques heures, une seconde. Inutile, c’est fermé de tous côtés, je vous assure.

Et nous aimer tant qu’il se pourra, parce que voyez- vous, moi qui ai accepté l’augure de ce formidable écroulement, j’ai cessé un peu de le souhaiter la première fois que je vous ai vue. Tenez, voici notre avant- dernière veilleuse qui baisse; nous n’allumerons l’autre que lorsqu’il se fera tout à fait tard dans notre vie. Ce sera mieux, croyez-moi. Mais viens plus près, encore plus près. C’est toi? L’avons-nous assez désirée, rappelle- toi, cette ignorance du reste! Tu ne voulais plus danser, tu voulais que le temps que tu étais retenue loin de moi je le passasse à t’écrire, est-il vrai? Maintenant nous sommes livrés pour l’éternité à nous-mêmes. Il com­mence à faire nuit. Quoi, vous pleurez? Je crains que vous ne m’aimiez pas.

Histoires de revenants, contes à faire peur, rêves terri­fiants, prophéties, je vous laisse. De rigides mathémati­ciens, comme je pouvais m’y attendre, attirés par ce tableau noir, ont mis à profit la disparition de la femme pour poser le problème de mon illusion :

UN PROBLÈME

« L'auteur de ces pages n’ayant pas encore vingt-neuf ans et s’étant, du 7 au 10 janvier 1925, date où nous sommes, contredit cent fois sur un point capital, à savoir la valeur qui mérite d’être accordée à la réalité, cette valeur pouvant varier de o à ∞, on demande dans quelle mesure il sera plus affirmatif au bout de onze ans et quarante jours. Au cas où la réalité serait positive, dire aussi pour combien de personnes environ il a écrit ceci, sachant que les poètes ont trois fois moins de lec­teurs que les philosophes, ceux-ci deux cents fois moins que les romanciers. »

À la bonne heure, je vois qu’ils respectent mon doute, qu’ils ménagent ma susceptibilité. L’affreux problème pourtant! Chaque jour que je vis, chaque action que je commets, chaque représentation qui me vient comme si de rien n’était, me donne à croire que je fraude. En écri­vant je passe, à la tombée du jour, comme un contreban­dier, tous les instruments destinés à la guerre que je me fais. C’est dire si je veux mettre toutes les chances de l’autre côté et que ma défaite vienne de moi. Allons, quoi qu’on en ait écrit, deux feuilles du même arbre sont rigoureusement semblables : c’est même la même feuille. Je n’ai qu’une parole. Si deux gouttes d’eau se ressemblent à ce point, c’est qu’il n’y a qu’une goutte d’eau. Un fil qui se répète et se croise fait la soie. L’esca­lier que je monte n’a jamais qu’une marche. Il n’a qu’une couleur : le blanc. La Grande Roue disparue n'a toujours qu’un rayon. De là au seul, au premier rayon de soleil, il n’y a qu’un pas.

À quoi tend cette volonté de réduction, cette terreur ce qu’avant moi quelqu’un a appelé le démon Pluriel? Maintes fois des gens qui regardaient ma photo­graphie ont cru bon de me dire: «C’est vous», ou «Ce n'est pas vous. » (Qui pourrait-ce donc être? Qui pour­rait me succéder dans le libre exercice de ma personna­ge?) Il y en a d’autres qui me dévisagent, prétendant me reconnaître, m’avoir vu quelque part, surtout là où je n’ai jamais etc ce qui est bien pis. Je me rappelle un sinistre farceur qui, un soir aux environs du Châtelet arrêtait les passants le long îles quais s'ils n’étaient pas seuls il prenait brusquement l’un d' eux a part et, à brûle pourpoint : «Comment vous appelez-vous?» je suppose que presque tous devaient lui dire leur nom. Il les remerciait brièvement et les quittait. Dans le petit groupe que des amis et moi nous formions, ce n’est pas moi qu'il avait choisi. J’admire le courage de cet homme qui pouvait s'offrir gratuitement un tel spectacle, comme le courage de quelques autres mystificateurs célèbres, capables d’agir sans témoin aux dépens d’un ou de plu­sieurs individus. Faut-il se croire seul, tout de même! Je pense aussi à la poésie, qui est une mystification d’un autre ordre, et peut-être de l’ordre le plus grave.

Elle montre de nos jours des exigences si particulières. Voyez le cas qu’elle fait du possible, et cet amour de l’invraisemblable. Ce qui est, ce qui pourrait être, que cela lui paraît insuffisant! Nature, elle nie tes règnes; choses, que lui importent vos propriétés? Elle ne connaît de répit tant qu’elle n’a pas porté sur tout l’uni­vers sa main négativité. C’est l’éternel défi de Gérard de Nerval menant au Palais-Royal un homard en laisse. L’abus poétique n’est pas près de finir. La Biche aux pieds d’airain, aux cornes d’or, que j’apporte blessée sur mes épaules à Paris ou à Mycènes transfigure le monde sur mon passage2. Les changements s’opèrent si vite que je n’ai plus le temps de m’en apercevoir. En 1918, dans ce service du Val-de-Grâce qu’on appelait par euphé­misme le 4e Fiévreux et qui était alors, à lui seul, tout un poème, dans ce service où j’étais amené à prendre la garde, je retrouvais certains soirs, à l’intérieur de son cabanon, un homme d’un certain âge et de peu d'appa­rence, à qui l'on avait pris soin de retirer son canif, ses lacets, que l'on oubliait fréquemment d’alimenter et dont on s’était à plusieurs reprises assuré qu’il n'avait sur lui qu'un mauvais pantalon, sa chemise d’hôpital et l'horrible manteau, bleu à l’exception d’une manche rouge, qui constituait l’uniforme des fous. Eh bien, vous ne me croirez pas, cet homme à qui j’inspirais confiance, quand nous étions bien seuls, déployait à ma surprise toujours renouvelée de grands drapeaux, y compris un drapeau allemand, un drapeau russe, qu’il tirait je ne sais d’où Une nuit même il fit s’envoler sous mes yeux deux colombes et il m’avait promis pour la fois suivante des lapins. Vers ce temps j’ai cessé de le voir et je regrette aujourd’hui de n’avoir pas plus cherché à savoir qui il était. J’affirme la vérité de cette anecdote et je voudrais bien ne pas passer à l' occasion pour trop suggestion­nable. On ne m’ôtera pas de l’idée que ce bizarre magi­cien, qui ne parlait guère, était victime d’autre chose que d’un incompréhensible défaut de surveillance.

La notre, je l’ai constaté depuis, n’est pas mieux assu­rée. Nos sens, le caractère tout juste passable de leurs données, poétiquement parlant nous ne pouvons-nous contenter de cette référence. Il faut rendre à Porphyre ce qui est à Porphyre : « Les genres et les espèces existent- ils en soi ou seulement dans l’intelligence; et dans le pre­mier cas sont-ils corporels ou incorporels; existent-ils enfin à part des choses sensibles ou sont-ils confondus avec elles? » On en a tranché une fois pour toutes : « Je vois bien le cheval; je ne vois pas la chevalité. »

Restent les mots, puisque, aussi bien, de nos jours c’est cette même querelle qui se poursuit. Les mots sont sujets à se grouper selon des affinités particulières, les­quelles ont généralement pour effet de leur faire recréer à chaque instant le monde sur son vieux modèle. Tout se passe alors comme si une réalité concrète existait en dehors de l’individuel; que dis-je, comme si cette réalité était immuable. Dans l’ordre de la constatation pure et simple, si tant est que nous l’envisagions, il nous faut une certitude absolue pour avancer quelque chose de neuf, quelque chose qui soit de nature à heurter le sens commun. Le fameux «E pur, si muove! » dont Galilée aurait fait suivre à voix basse l’abjuration de sa doctrine, demeure toujours de circonstance. Tout homme d’au­jourd’hui, soucieux de se conformer aux directions de son époque, se sent-il, par exemple, en mesure de faire la part dans son langage des dernières découvertes biolo­giques, ou de la théorie de la relativité?

Mais je l’ai déjà dit, les mots, de par la nature que nous leur reconnaissons, méritent de jouer un rôle autre­ment décisif Rien ne sert de les modifier puisque, tels qu’ils sont, ils répondent avec cette promptitude à notre appel. Il suffit que notre critique porte sur les lois qui président à leur assemblage. La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pou­voir d’énonciation? La poésie, dans ses plus mortes sai­sons nous en a souvent fourni la preuve: quelle débauche de ciels étoilés, de pierres précieuses, de feuilles mortes. Dieu merci, une réaction lente mais sûre a fini par s’opérer à ce sujet dans les esprits. Le dit et le redit rencontrent aujourd’hui une solide barrière. Ce sont eux qui nous rivaient à cet univers commun. C’est en eux que nous avions pris ce goût de l’argent, ces craintes limitantes, ce sentiment de la « patrie », cette horreur de notre destinée. Je crois qu’il n’est pas trop tard pour revenir sur cette déception, inhérente aux mots dont nous avons fait jusqu’ici mauvais usage. Qu’est-ce qui me retient de brouiller l’ordre des mots, d’attenter de cette manière à l’existence toute apparente des choses! La langage peut et doit être arraché à son servage. Plus de descriptions d’après nature, plus d’études de mœurs. Silence, afin qu’où nul n’a jamais passé je passe, silence! — Après toi, mon beau langage.

Le but, assure-t-on, en matière de langage, c’est d’être compris. Mais compris! Compris de moi sans doute, quand je m’écoute à la façon des petits enfants qui récla­ment la suite d’un conte de fées. Qu’on y prenne garde, je sais le sens de tous mes mots et j’observe naturellement la syntaxe (la syntaxe qui n’est pas, comme le croient certains sots, une discipline). Je ne vois pas, après cela, pourquoi l’on se récrierait en m’entendant soutenir que l’image la plus satisfaisante que je me fasse en ce moment de la terre est celle d’un cerceau de papier. Si pareille ineptie n’a jamais été proclamée avant moi, d’abord ce n’est pas une ineptie. On ne peut, du reste, me demander compte d’aucun propos de cette sorte, ou bien j’exige le contexte. Il s’est trouvé quelqu’un d’assez malhonnête pour dresser un jour, dans une notice d’an­thologie, la table de quelques-unes des images que nous présente l’œuvre d’un des plus grands poètes vivants; on y lisait :

 

Lendemain de chenille en tenue de bal veut dire : papillon.

Mamelle de cristal veut dire : une carafe.

 

Etc. Non, monsieur, ne veut pas dire. Rentrez votre papillon dans votre carafe. Ce que Saint-Pol-Roux a voulu dire, soyez certain qu’il l’a dit.

N’oublions pas que la croyance à une certaine néces­sité pratique empêche seule d’accorder au témoignage poétique une valeur égale à celle qu’on accorde, par exemple, au témoignage d’un explorateur. Le fétichisme humain, qui a besoin d’essayer le casque blanc, de cares­ser le bonnet de fourrure, écoute d’une oreille tout autre le récit de nos expéditions. Il lui faut absolument croire que c’est arrivé. C’est pour répondre à ce désir de vérifi­cation perpétuelle que je proposais récemment de fabri­quer, dans la mesure du possible, certains de ces objets qu’on n’approche qu’en rêve et qui paraissent aussi peu défendables sous le rapport de l’utilité que sous celui de l’agrément. C’est ainsi qu’une de ces dernières nuits, dans le sommeil, à un marché en plein air qui se tenait du côté de Saint-Malo, j’avais mis la main sur un livre assez curieux. Le dos de ce livre était constitué par un gnome de bois dont la barbe blanche, taillée à l’assy­rienne, descendait jusqu’aux pieds. L’épaisseur de la Sta­tuette était normale et n’empêchait en rien, cependant, de tourner les pages du livre, qui étaient de grosse laine noire. Je m’étais empressé de l’acquérir et, en m’éveil­lant, j’ai regretté de ne pas le trouver près de moi. Il serait relativement facile de le reconstituer. J’aimerais mettre en circulation quelques objets de cet ordre, dont le sort me paraît éminemment problématique et trou­blant. J’en joindrais un exemplaire à chacun de mes livres pour en faire présent à des personnes choisies.

Qui sait, par là je contribuerais peut-être à ruiner ces trophées concrets, si haïssables, à jeter un plus grand discrédit sur ces êtres et ces choses de «raison»? Il y aurait des machines d’une construction très savante qui resteraient sans emploi; on dresserait minutieusement des plans de villes immenses qu’autant que nous sommes nous nous sentirions à jamais incapables de fonder, mais qui classeraient, du moins, les capitales présentes et futures. Des automates absurdes et très perfectionnés, qui ne feraient rien comme personne, seraient chargés de nous donner une idée correcte de l’action.

Les créations poétiques sont-elles appelées à prendre bientôt ce caractère tangible, à déplacer si singulièrement les bornes du soi-disant réel? Il est désirable que je pouvoir hallucinatoire de certaines images , que le véri­table don d’évocation que possèdent, indépendamment de la faculté de se souvenir, certains hommes, ne soient pas plus longtemps méconnus. Le Dieu qui nous habite n’est pas près d’observer le repos du septième jour. Nous en sommes encore à lire les toutes premières pages de la Genèse. Il ne tient peut-être qu’à nous de jeter sur les ruines de l’ancien monde les bases de notre nouveau paradis terrestre. Rien n’est encore perdu, car à des signes certains nous reconnaissons que la grande illumination suit son cours. Le péril où nous met la rai­son, au sens le plus général et le plus discutable du mot, en soumettant à ses dogmes irrévisibles les ouvrages de l’esprit, en nous privant en fait de choisir le mode d’expression qui nous desserve le moins, ce péril, sans doute, est loin d’être écarté. Les inspecteurs lamentables, qui ne nous quittent pas au sortir de l’école, font encore leur tournée dans nos maisons, dans notre vie. Ils s’assurent que nous appelons toujours un chat un chat et, comme après tout nous faisons bonne contenance, ils ne nous défèrent pas obligatoirement à la chiourme des asiles et des bagnes. N’en souhaitons pas moins qu’on nous débarrasse au plus vite de ces fonctionnaires... L’idée d’un lit de pierre ou de plumes m’est également insupportable: que voulez-vous, je ne puis dormir que sur un lit de moelle de sureau. Essayez à votre tour d’y dormir. Quel confort, n’est-ce pas? Mais si nous nous mettons sur ce pied, où allons-nous? Ne sentez-vous pas que ce lit — oh! très simple, seule­ment comme on n’en fabrique pas — est promu tout à coup à une existence pleine d’attraits, que vous cessez déjà de lui préférer le vôtre? Vous n’avez donc pas tant de préjugés sur la matière première qui peut entrer dans la composition d’un lit. En réalité, est-ce que je dors sur un lit de moelle de sureau? Assez! je ne sais pas ce doit être vrai en quelque sorte, puisque je le mer les belles-de-nuit1? Je prétends que ceci est tout autant que cela, c’est-à-dire ni plus ni moins que le reste.

Il n’est rien, selon moi, d’inadmissible. La grenouille qui voulait se faire plus grosse que le bœuf n’a éclaté que dans la courte mémoire du fabuliste. Tout enfant, je me plaisais à croire que les rôles avaient été renversés; que le bœuf, à l’origine, devait être un très petit animal, de la taille d’une coccinelle, qui un jour avait voulu se faire et s’était fait plus gros que la grenouille. Il ne me semblait pas qu’une volonté, même animale et d’un ordre aussi puéril, pût ne pas être susceptible de parfaite exécution.

l’étrange diversion

La civilisation latine a fait son temps et je demande, pour ma part, qu’on renonce en bloc à la sauver. Elle apparaît à cette heure le dernier rempart de la mauvaise foi, de la vieillesse et de la lâcheté. Le compromis, la ruse, les promesses de tranquillité, les miroirs vacants, l’égoïsme, les dictatures militaires, la réapparition des Incroyables, la défense des congrégations, la journée de huit heures, les enterrements pis qu’en temps de peste, le sport: il ne reste plus, je crois, qu’à tirer l’échelle. Si je montre quelque souci de ma propre déter­mination, ce n’est pas pour supporter avec fatalisme les conséquences grossières du caprice qui m’a fait naître ici ou là. Que d’autres s’attachent à leur famille, à leur pays et à la terre même, je ne connais pas cette sorte d’émula­tion. Je n’ai jamais aimé dans mon être que ce qu’il me paraissait y avoir en lui, avec le dehors litigieux, de grandement contrastant et je n’en ai jamais conçu d’in­quiétude sur mon équilibre intérieur. C’est même pour­quoi je consens à m’intéresser encore à la vie publique et en écrivant, à y sacrifier une part de la mienne. Pour parler comme tout le monde je le déclarais donc (et pro­visoirement admettez, je vous prie, qu’il y a un ici et un ailleurs : il y va de tous les artifices de la séduction, il y va de toute l’aurore en marche) : nous, les Occidentaux, nous ne nous appartenons déjà plus et c’est en vain que nous tentons de te conjurer, adorable fléau, trop incertaine délivrance! Dans nos villes, les avenues parallèles, dirigées du nord au sud, convergent toutes en un terrain vague, fait de nos regards de détectives blasés. Qui nous a confié cette affaire indébrouillable, nous n’en savons plus rien. La révélation, le droit de ne pas penser et agir en troupeau, la chance unique qui nous reste de retrou­ver notre raison d’être ne laissent plus subsister, durant tout notre rêve, qu’une main fermée à l’exception de l’index qui désigne impérieusement un point de l’hori­zon. Là, l’air et la lumière commencent à opérer en toute pureté le soulèvement orgueilleux des choses pensées, à peine bâties. L’homme rendu à sa souveraineté, à sa sérénité premières, y prêche, dit-on, pour lui seul, la vérité éternelle de lui seul. Il n’a pas notion de cet arran­gement hideux dont nous sommes les dernières victimes, de cette réalité de premier plan qui nous empêche de bouger. Il ne s’agit pas encore une fois de partir, car cet homme ne peut faire moins que se porter à notre ren­contre : il vient, il a déjà converti les meilleurs d’entre nous.

Orient, Orient vainqueur, toi qui n’as qu’une valeur de symbole, dispose de moi, Orient de colère et de perles! Aussi bien que dans la coulée d’une phrase, que dans le vent mystérieux d’un jazz, accorde-moi de re­connaître tes moyens dans les prochaines Révolutions. Toi qui es l’image rayonnante de ma dépossession, Orient, bel oiseau de proie et d’innocence, je t’implore du fond du royaume des ombres! Inspire-moi, que je sois celui qui n’a plus d’ombre.

Septembre 1924.

 

----

 

REVE-OBJET

 

Du besoin de porter à l’existence réelle tel objet inso­lite aperçu en rêve (de le reconstituer concrètement), besoin sur lequel en 1924 j’ai attiré l’attention dans l'introduction au discours sur le peu de réalité, part, comme on sait, l’une des plus remarquables lignes de force du sur­réalisme. Ce besoin peut, en effet, être considéré comme générateur de démarches intellectuelles très distinctes qui ont abouti à la création des « objets surréalistes » de Giacometti, de Dali, de Valentine Hugo, de Max Ernst, de Man Ray, de Tanguy, de Dominguez. Il m’a déter­miné, pour ma part, essentiellement, à la recherche d’une présentation totalement objective {avec preuves matérielles à l’appui) de certains faits exceptionnels (« Communica­tion relative au hasard objectif », voir Documents, juin 1934) ainsi qu’à la réalisation de «poèmes-objets» encore inédits, poèmes dans lesquels certains éléments directement sensibles (un canif, un œuf de plâtre, deux ailes de porcelaine grise) entrent en composition avec les mots. Le rêve-objet reproduit ci-dessus peut être tenu pour la synthèse provisoire de mes préoccupations en ce sens. Il confirme, d’une part, l’idée émise par A. Remizov à la fin de sa captivante étude : « Tourgueniev poète du rêve» (Hippocrate éd., 1933), à savoir qu’« on a absolument besoin de représenter le rêve par un dessin1 » et, d’autre part, il tend à contredire l’affir­mation idéaliste de cet auteur, déjà réfutée par moi dans Les Vases communicants, selon laquelle «le rêve avec toute son inconséquence n’est pas sous le signe d’Eu- clide2 » (tout au moins celui-ci me paraît-il gagner consi­dérablement en clarté à cette figuration à trois dimen­sions).

Un couloir d’hôtel sur lequel donnent cinq portes. Sentier rouge laissant un espace découvert, angoissant, le long des murs latéraux (plancher de verre dans la maquette). Entrouverte, la première porte de gauche laisse apparaître une houppe verte, la seconde l’image dans une glace d’un tarsier-spectre criant « Oup ». La porte du fond, sur laquelle on peut lire le mot disparu, découvre en s’entrebâillant l’O invocatoire, tel qu’il tend à disparaître de la poésie française (trois recours frap­pants à ce mot du xixe siècle). La porte suivante, qui s’ouvre par panneaux, ramène en haut les lettres compo­santes, mais inégales et en voie de dispersion, du mot Oup (O-U-P), en bas sans doute encore ces lettres plus ou moins reconnaissables dans le dessin du signe de Neptune. Un judas pratiqué dans la dernière porte dérobe jusque-là la solution de l’énigme: un jet d’eau parle: « C’est moi, l’eau huppée!» (Remarquons en passant que le ton joyeux de cette dernière exclama­tion éclaire la condamnation préalable dans le rêve de l'o-accent circonflexe, o dont la huppe est à l’envers, o faussement huppé.)

Rien de plus manifeste que la persistance de l’idée de l’eau à travers les représentations que je suis amené à me faire tour à tour de l’intérieur des cinq chambres; limites du tapis de couloir, couleur verte d’une houppe, vue en miroir d’un animal, son de la voyelle O, citation de Lau­tréamont, Neptune, etc. Mon poème « L’Air de l’eau » venait alors de paraître et c’est son inspiratrice même qui s’offrit à mettre en scène le présent rêve d’après mes indications.