lundi 22 février 2016

La déchéance d’un homme : Osamu Dazaï



La déchéance d’un homme : Osamu Dazaï

C’est pourquoi je suis devenu bouffon.
C’était mon ultime demande d’affection que j’adressais aux hommes. Tout en les craignant au plus haut point je crois que je n’étais pas résigné à tout supporter d’eux. Et puis, par mes bouffonneries, un fil me rattachait encore un peu à mes semblables. Extérieurement, le sourire ne me quittait jamais ; intérieurement, en revanche, c’était le désespoir. Pour ne pas révéler ce contraste, je devais garder, au prix de sueurs froides, un équilibre qui ne tenait qu’à un cheveu.

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Je ne sais s’il existe des personnes qui font bonne contenance quand elles sont critiquées, quand on les irrite, mais moi, dans un visage en colère je vois une nature pire que celle d’un lion, d’un crocodile, d’un dragon, d’une bête plus effrayante encore. D’ordinaire, cette nature est cachée, mais il suffit d’une occasion pour la révéler. C’est ainsi qu’un bœuf semble dormir paisiblement dans une prairie, mais quand un taon lui pique le ventre, il fouaille violemment de la queue pour le tuer. Quand je voyais la nature véritable, effrayante de l’homme se démasquer, la crainte me faisait trembler au point que mes cheveux se hérissaient. En outre, pensant que cette nature devait être l’une des caractéristiques de l’homme, j’en étais pour ainsi dire désespéré.


mardi 16 février 2016

Tango de Satan - Laszlo Krasznahorkai



Tango de Satan - Laszlo Krasznahorkai

Futaki était persuadé que les échecs, réitérés jour après jour, mois après mois, les projets de plus en plus confus, aussitôt avortés, cette douloureuse soif de liberté ne représentaient pas de réel danger ; c’était même cela qui les maintenait en vie, car entre la malchance et l’anéantissement la route était longue, mais ici, au bout du chemin, on ne pouvait plus trébucher. Comme si la menace était une force souterraine dont la source restait incertaine ; on trouve tout à coup le silence inquiétant, on ne bouge plus, on se recroqueville dans un coin où l’on espère trouver une protection, mastiquer devient une torture, saliver, une souffrance, et l’on ne s’aperçoit plus que le temps ralentit, que l’espace se resserre tout autour de soi et c’est dans ce repli que le plus terrible arrive : l’inertie.

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« Mais quand même, crie pas si fort ! On a assez de problèmes comme ça, non ? – Dieu ne se manifeste  pas pat des mots, tête de chou-fleur. Il ne se manifeste par rien. Il ne se montre pas. Il n’existe même pas. – Moi, je suis croyant, intervint violemment Petrina.  Tu pourrais au moins me respecter moi, espèce de mécréant ! – Je m’étais trompé. Je viens de comprendre qu’entre moi et un insecte, entre un insecte et une rivière, une rivière et  un cri qui la traverse, il n’y a  aucune différence.  Tout fonctionne sans raison, sans finalité, sous la contrainte d’une interdépendance et d’un flottement sauvage, intemporel, et seule notre imagination – et non nos sens, condamnées à l’échec perpétuel – nous soumet à la tentation en nous faisant croire que nous pouvons nous libérer des griffes de la misère. Il n’y a pas de salut,  tête de chou-fleur. – Tu choisis bien ton moment pour dire ça ! Juste maintenant ! Après ce qu’on  vient de voir. »