jeudi 7 septembre 2023

Bartleby ou la création – Giorgio Agamben

 Bartleby ou la création – Giorgio Agamben

 

CHAPITRE PREMIER

La chose la plus inquiétante

 

Dans la troisième dissertation sur la Généalogie de la morale, Nietzsche soumet à une critique radicale la définition kantienne du beau comme plaisir désintéressé :

Kant - écrit-il - pensait faire honneur à l’art lorsqu’il donna sa préférence, en les mettant en avant, à ceux des attributs du beau qui font l’honneur de la connaissance : l’impersonnalité et l’universalité. Si ce n’était pas là au fond une erreur, ce n’est pas ici le lieu d’en discuter ; la seule chose que je veuille souligner, c’est que, comme tous les philosophes, au lieu d’envisager le problème esthétique en partant de l’expérience de l’artiste (du créateur), Kant a médité sur l’art et le beau du seul point de vue du “spectateur” et qu’il a ainsi introduit sans s’en rendre compte le spectateur lui-même dans le concept de “beau”. Si du moins les philosophes du beau avaient connu ce “spectateur” d’assez près ! c’est-à-dire comme une grande réalité, une grande expérience personnelles, comme une plénitude d’événements, de désirs, de surprises, de ravissements, intenses et singuliers dans le domaine du beau ! Mais c’est le contraire, je le crains, qui fut toujours le cas : en sorte que nous recevons d’eux des définitions où, comme dans la célèbre définition kantienne du beau, leur manque de toute expérience personnelle […]

 

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L’expérience de l’art qui, dans ces mots, vient au langage, n’est en aucune façon, pour Nietzsche, une esthétique. Au contraire, il s’agit précisément de purifier le concept de “beauté” de XXX, de la sensibilité du spectateur, pour considérer l’art du point de vue de son créateur. Cette purification s’accomplit donc par un renversement de la perspective traditionnelle sur l’œuvre d’art : la dimension de l’esthéticité - l’appréhension sensible par le spectateur de l’objet beau - cède la place à l’expérience créatrice de l’artiste qui ne voit dans sa propre œuvre qu’une promesse de bonheur. A l’“heure de l’ombre la plus courte”, parvenu à l’extrême limite de son destin, l’art sort de l’horizon neutre de l’esthéticité pour se reconnaître dans la “sphère d’or” de la volonté de puissance. Pygmalion, le sculpteur qui s’enflamme pour sa propre création jusqu’à désirer qu’elle n’appartienne plus à l’art, mais à la vie, est le symbole de cette rotation de l’idée de beauté désintéressée, comme dénominateur de l’art, à celle de bonheur, c’est-à-dire à l’idée d’un accroissement et d’un développement illimités des valeurs vitales, tandis que le point focal de la réflexion sur l’art se déplace, du spectateur désintéressé à l’artiste intéressé.

En pressentant ce changement, Nietzsche s’était montré, comme d’habitude, bon prophète. Si l’on confronte ce qu’il écrit dans la troisième dissertation sur la Généalogie de la morale aux expressions qu’emploie Artaud, dans la préface au Théâtre et son double, pour décrire l’agonie de la culture occidentale, on remarque, sur ce point particulièrement, une coïncidence de vues surprenante. “Ce qui nous a perdu la culture - écrit Artaud - c’est notre idée occidentale de l’art... A notre idée inerte et désintéressée de l’Art, une culture authentique oppose une idée magique et violemment égoïste, c’est-à-dire intéressée.” (2) En un sens, l’idée que l’art ne soit pas une expérience désintéressée avait été, en d’autres temps, parfaitement familière. Quand Artaud, dans Le théâtre et la peste, rappelle le décret de Scipion Nasica, le Grand Pontife qui fit raser les théâtres romains, et la furie avec laquelle Saint Augustin se déchaîne contre les jeux scéniques, responsables de la mort de l’âme, il y a dans ses propos toute la nostalgie qu’une âme comme la sienne, qui pensait que le théâtre ne valait que “par une liaison magique, atroce, avec la réalité et le danger”, devait éprouver pour une époque qui avait du théâtre une idée assez concrète et assez intéressée pour juger nécessaire - en vue du salut de l’âme et de la cité - sa destruction. Il est superflu de rappeler qu’il serait inutile aujourd’hui de chercher de telles idées, même chez les censeurs ; mais il ne sera peut-être pas inopportun de faire remarquer que la première fois qu’apparaît dans la société européenne médiévale quelque chose qui ressemble à une considération autonome du phénomène esthétique, c’est sous la forme d’une aversion et d’une répugnance envers l’art, dans les instructions de ces évêques qui, face aux innovations musicales de l'ars nova, interdisaient la modulation du chant et la fractio vocis durant les offices religieux parce que la fascination qu’elles exerçaient distrayaient les fidèles.

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CHAPITRE HUIT

Poiesis et praxis

Le moment est peut-être venu d’essayer de comprendre de façon plus originelle la phrase que nous avons utilisée dans le chapitre précédent : “l’homme a sur terre un statut poétique, c’est-à-dire pro-ductif”. Le problème du destin de l’art à notre époque nous a conduit à poser comme inséparable de lui le problème du sens de l’activité productive, du “faire” de l’homme dans son ensemble. Cette activité productive est entendue à notre époque comme praxis. Selon l’opinion courante, tout le faire de l’homme - celui de l’artiste comme celui de l’artisan, de l’ouvrier comme de l’homme politique - est praxis, c’est-à-dire manifestation d’une volonté productrice d’un effet concret. Que l’homme ait sur terre un statut productif signifierait alors que le statut de son habitation sur terre est un statut pratique.

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Une considération thématique du travail, à côté de la poiesis et de la praxis, comme l’un des modes fondamentaux de l'activité de l’homme, ne pouvait être envisagée par les Grecs, étant donné que le travail corporel exigé par les besoins vitaux était réservé aux esclaves; mais cela ne signifie pas qu’ils n’étaient pas conscients de son existence ou n’en avaient pas compris la nature. Travailler signifiait se soumettre à la nécessité, et la soumission à la nécessité, rendant l’homme égal à la bête contrainte à la perpétuelle recherche de sa subsistance, était considérée comme incompatible avec la condition d’homme libre. Comme l’a justement observé Hannah Arendt, affirmer que le travail était méprisé par l’Antiquité parce qu’il était réservé aux esclaves, est en réalité un préjugé : les Anciens faisaient le raisonnement contraire, et jugeaient que l’existence des esclaves était nécessaire à cause de la nature servile des occupations qui pourvoyaient à la subsistance vitale. Ils avaient donc compris l’un des caractères essentiels du travail, à savoir sa référence immédiate au processus biologique de la vie. En effet, tandis que la poiesis construit l’espace où l’homme trouve sa certitude et assure la liberté et la durée de son action, le présupposé du travail est, au contraire, l’existence biologique nue, le processus cyclique du corps humain, dont le métabolisme et les énergies dépendent des produits élémentaires du travail.

Les principes d’an-archie pure et appliquée – Paul Valery

Les principes d’an-archie pure et appliquée – Paul Valery

Les rois de France ont fait la « France ». Elle est leur création artificielle.

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Le pouvoir n’eut plus qu’une tête, qui se tranche d’un coup.

La « démocratie » est leur œuvre.

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DES PUISSANCES

La puissance publique repose sur les plus basses parties de chaque personne :

les parties les plus sensibles :

La crédulité

L’inertie

L’irréflexion

La crainte

L’imitation

Les impressions.

Elle est menacée par les puissances contrai­res — Puissances Privées.

                  Critique — Réflexion — Courage, origi­nalité.

                  L’expérience et la raison montrent qu’il faut un peu de tout.

Toute « politique » se réduit à ceci : celui qui a la force, ou qui est censé l’avoir, peut taire ce qu’il veut.

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La tâche capitale de l’esprit libre est d’exter­miner les causes imaginaires des maux réels. La difficulté est de ne pas exterminer les biens réels que produisent aussi des causes imaginai­res.

Les opinions sont les agents de ces maux ; les idéaux particuliers (c’est-à-dire qui ne peuvent être ceux de chacun) ; les conventions incul­quées qu’on n’inventerait plus ; les déforma­tions résiduelles.

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GENS DE LOI

Leur art.

La discorde organisée et nourricière.

Des lois.

Les lois donnent force actuelle à ce qui n’existe pas. J’ai contracté. Je devrai faire. J’ai payé, donc je possède. Le passé et l’avenir pren­nent force par l’écrit. Chaque instant est plus que ce qu’il est. Un griffonnage est un monstre sans sommeil. Un gryphon ! Monde fantastique du Droit.

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Toutes les fonctions de l’« État » sont contre nature.

Ce qui n’est pas une critique de l’État.

L’activité de l’esprit est ennemie de l’État. Mais sa profondeur peut se concilier avec lui, car le péril ne commence qu’avec la diffusion, et les choses profondes et difficiles ne diffusent pas.

L’existence d’une production de l’esprit des­tinée à l’esprit n’est pas possible dans un systè­me socialiste achevé. Si ce système veut cepen­dant tolérer (et comme il arrive, protéger cette production) elle est le grain de sable qui détra­que la machine.

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ENSEIGNEMENT

Demande aux jeunes gens d’exprimer ce qu’ils ne pensent pas ni ne sentent — des cho­ses hors de leur expérience et de leur curiosité — ne les met pas en état de sentir la difficulté de s’exprimer mais celle de conformer.

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LE VRAI MYROIR DE LA BETISE DES HOMMES

Bêtise sera ici de faire ou de subir ce qui gêne ou gênera sans récompense, soit par imitation, soit par stupidité de l’esprit ou du corps, soit par...

Ce n’est point la peine de vivre — c’est-à- dire de pouvoir penser. S’il faut, étant libre de fai­re autrement, enfermer ses sentiments dans un parti ou dans une nation — suivre.

 

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LE CHAPITRE DES TYRANS

Ainsi nommera-t-on tout empêchement à la liberté et souveraineté de l’esprit.

En vérité, il n’y a que deux tyrans l’un, la douleur ; l’autre, la crainte... || Non — l’obliga­tion de servir son corps — et la force de l’idée de la mort sont les tyrans naturels.

C’est pourquoi se conduire comme si on était qui ne mange et qui ne meurt est d’un fou et d’un héros. ||

Leurs moyens se combinent, et parfois bien subtilement.

Ainsi la notion de souffrir, ou de chercher, ou de produire un mal pour en fuir un autre, ou l’éviter, fonde religion et société, obéissance, croyance — aux dieux, au peuple, au roi, à la médecine, à l’économie, à la sagesse, etc. et une foule de sacrifices de l’actuel au futur, du sensi­ble au probable, du probable à l’excitant...

Les maux, comme la guerre, dépendent de ce fait que ceux qui ont pouvoir de donner des ordres n’en portent pas les conséquences.

L’An-archie consisterait à n’admettre aucun commandement qui ne soit subi par qui le don­ne comme les autres le subissent.

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LE TEMPLE DE LA PEUR

La Peur enfante tout. Chacun les siennes : l'un, d’être un sot ; l’autre, d’être cocu, pauvre, esclave, damné, sifflé, moqué, malade, berné, lâché, reconnu ; presque tous, d’être morts.

Point de société sans ces peurs ; point de Dieu ; point de biens sans les maux qui mena­cent les biens.

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AUTORITE

L autorité est le pouvoir d’être obéi sur la seule injonction || sur parole || obéi physique­ment, ou intimement, c’est-à-dire cru. Ni force, ni preuves à exhiber — telle est sa condition || dès que la force même est en jeu, l’autorité ces­se, comme le poids cesse dès que le corps tom­be. ||

D’autant plus grande que l’injonction est moins prononcée et l’obéissance plus profonde et plus prompte, « Instinctive ».

L’autorité de ce type n’existe plus que i° dans l’Église — jusqu’à un certain point- ici, on n’obéit pas tant au chef qu’au mythe qui fait le chef

2° dans les fidèles de divers partis,

3° dans certaines circonstances ou moments, des individus ou des nombres d’individus.

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DU NOMBRE

Le nombre soit un moyen, et ne soit qu’un moyen.

Le nombre suppose l’addition des unités, qui suppose une identification des éléments, qui suppose une conviction : A =1 ; B = 1 ; A = B.

A + B = 1 + 1 = 2etil n’y a plus de A ni de B.

Dire 2 hommes, c’est détruire un individu et un autre.

Il n’y a pas plus d’un moi.

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« Classes moyennes » les gens qui craignent et détestent de deux côtés — vers le haut — et vers le bas. Ils ont deux fronts à tenir.

— C’est la classe qui a un supra et un infra, et qui finit par envier à la fois la masse des uns la chance des autres dont elle n'a ni l’avenir ni l'actuel.

Aujourd’hui personne n’est sûr de rien. Ni de sa situation, ni de ses connaissances ; ni la science, ni la société, de leurs « lois ».

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SOCIALISME

L envie utilisée pour conduire au « bon­heur ».

Destruction du pouvoir total — sans effort.

Destruction du luxe.

D’où diminution des perspectives et des hommes-idoles en tous genres (attaqués d’autre part, par avilissement et diffusion avec consommation intense de renommées artificiel­les).

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NATION

Sont des personnalisations — ce qui conduit à l’absurde.

— Vengeance — Rancune etc. Orgueil tou­tes choses qui mènent à se faire glorifier quand elles s’attribuent à des groupes.

La notion vague de Nation a été attaquée par deux autres. La classeMarx, et la RaceHitler.

Également contr’elle — mais nécessairement faible celle d’« intelligence ».

Donc : Ensemble de mêmes conditions d’existence

Ensemble de même langue et coutu­me ?

Ensemble de même condition intel­lectuelle

À côté l’ensemble historico-fasciste

Ces nouveautés accusent la nature convention­nelle du type nation. et contractuelle

Car nation = traités.

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L’ère de barbarie s’est prononcée par la do­mination par la moyenne.

L’âge du nombre, grands tirages — journaux.

 

PRESSE

La liberté d’opinions (de publier) ne peut être prise que sur les faits aux dépens des , et en conséquence, la non-démonstration, la falsi­fication, omission, diminution ou exagération des faits — la confusion volontaire du vrai, du probable, etc sont la liberté d’énoncer les opi­nions.

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La connaissance la plus importante à l’hom­me de la politique est celle de la crédulité, de l’ignorance, de l’extrême simplicité de la masse, et de la vanité ou de la cupidité naïves, ou de la timidité et bêtise des autres — etc.

L’ignorance chez les très instruits, et leur crédulité en ce qu’ils savent n’est pas non plus négligeable.

Cette connaissance doit être presque instinc­tive. Elle ne sert bien que si l’on n’est pas obli­gé de faire effort pour traiter les bêtes en bêtes et les non-bêtes en faibles ou en canailles.

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Histoire des changements de l’idée de l’homme (moyenne idée) depuis 2 siècles.

Par Idée de l'homme, j’entends l’idée-réaction. L’idée avouable et de valeur publique — celle qu’il faut afficher (et qui n’est pas même une idée) — D’où Justice, Vérité, Humanité, etc. etc. Bon sens, et « du Pain ».

La Révolution coïncide avec un change­ment de l’idée H. Et deux facteurs (contradic­toires) se prononcent : l’Homo égal, libre etc. et l’Homo de masse — « travail » —

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Toute société exige une diminution ou un non-développement, ou même une répression de l’exercice libre, entier de la faculté mentale. Formation des combinaisons, confrontation des expressions aux observations. Valeurs d’ac­tion — Et enfin : Expression extérieure.

Une Société est un fonctionnement à base mythique — et réflexe acquis.

Le type Armée est une forme limite. C’est une société simplifiée et unifiée au maximum.

Le type famille.

Etc.

Dans tous ces cas, les valeurs de présence de choses absentes et les effets réels de causes ima­ginaires sont requis.

La bêtise guette la tyrannie, parce que le tyran, homme ou formules, ou caste, ou assemblée, excite inévitablement contre lui tout ce qu’il y a de plus « intelligent » dans l’Autre ; et cette irritation des intellects parvient toujours à changer en bêtise ce qui les gêne ou qui les contraint à la comédie.

Plus d’un régime succomba aux apartés, aux secrètes pensées, à la critique résorbée.

C’est pourquoi, à l’âge de la foi sincère, la confession était un bon moyen de consolida­tion du système régnant.

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La liberté est un sentiment c’est-à-dire sensation.

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Tout l’enseignement français est dominé par l’idée cachée qu’à tel âge, et tel résultat scolaire obtenu, le sujet n’a plus rien à désirer quant à la connaissance. Il n’a plus à apprendre — que par luxe. C’est le diplôme qui inculque ceci. Carrière et avancement de l’esprit — curiosité finie.

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ARISTO-NOMIE

Je ne suis pour la « démocratie ». Elle mène à la banalité du discours, l’exige, etc.

Pas pour les dictatures {mot illisible] qui vont à la folie.

Je suis pour l’aristarchie — car elle ressort de la nature des choses dès qu’il y a trois hommes en présence et une cir­constance — la hiérarchie des valeurs de l’ins­tant éclate.

 

 

Oeuvre poétique - Alejandra Pizarnik

Oeuvre poétique - Alejandra Pizarnik

(Actes sud)

 

SEULEMENT


je comprends déjà la vérité
elle éclate dans mes désirs
et dans mes détresses mes déceptions mes déséquilibres mes délires
je comprends déjà la vérité
à présent chercher la vie 

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TOUJOURS
Fatiguée du fracas magique des voyelles
Fatiguée d’enquêter avec les yeux levés
Fatiguée de l’attente du je de passage
Fatiguée de cet amour qui n’eut pas lieu
Fatiguée de mes pieds qui ne savent que marcher
Fatiguée de la fuite insidieuse de questions
Fatiguée de dormir et de ne pas pouvoir me regarder
Fatiguée d’ouvrir la bouche et de boire le vent
Fatiguée de soutenir les mêmes viscères
Fatiguée de la mer indifférente à mes angoisses
Fatiguée de Dieu ! Fatiguée de Dieu !
Fatiguée enfin des morts de service dans l’attente de la sœur aînée
l’autre la grande mort
douce résidence pour tant de fatigue.

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silence
je m’unis au silence
je me suis unie au silence
et je me laisse modeler
je me laisse boire
je me laisse dire

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COLD IN HAND BLUES


et qu’est-ce que tu vas dire
je dirai seulement quelque chose
et qu’est-ce que tu vas faire
je me cacherai dans le langage
et pourquoi
j’ai peur

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LA PAROLE QUI GUÉRIT
Dans l’attente qu’un monde soit exhumé par le langage, quelqu’un chante le lieu où se forme le silence. Plus tard il constatera que ce n’est pas parce qu’elle se déchaîne que la mer existe et le monde non plus. C’est pourquoi chaque parole dit ce qu’elle dit et en plus, plus, et autre chose.
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CEUX DE L’OBSCUR


Pour que les mots ne suffisent pas, une mort dans
le cœur est nécessaire.

La lumière du langage me recouvre comme
une musique, image mordue par les chiens de la détresse,
et l’hiver grimpe sur moi comme le lierre du mur.

Quand j’espère cesser d’espérer, s’opère à l’intérieur
de moi ta chute. Je ne suis plus qu’un au-dedans.

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attention avec les mots

                                (dit-elle)

ils sont aiguisés

            ils te couperont la langue

attention

            ils t'enfonceront dans la prison

attention
ne pas naître aux mots
allonge-toi dans les sables noirs
et que la mer t'enterre
et que les corbeaux se suicident dans tes yeux fermés
fais attention à toi
               ne tente pas les anges des voyelles

n'attire pas des phrases

                            des poèmes

                                        des vers

tu n'as rien à dire
rien à défendre
rêve rêve que tu n'es pas ici
que tu es déjà partie
que tout est terminé

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AFFICHE


je me suis tant efforcée
d’apprendre à lire
dans mes larmes