jeudi 7 septembre 2023

Oeuvre poétique - Alejandra Pizarnik

Oeuvre poétique - Alejandra Pizarnik

(Actes sud)

 

SEULEMENT


je comprends déjà la vérité
elle éclate dans mes désirs
et dans mes détresses mes déceptions mes déséquilibres mes délires
je comprends déjà la vérité
à présent chercher la vie 

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TOUJOURS
Fatiguée du fracas magique des voyelles
Fatiguée d’enquêter avec les yeux levés
Fatiguée de l’attente du je de passage
Fatiguée de cet amour qui n’eut pas lieu
Fatiguée de mes pieds qui ne savent que marcher
Fatiguée de la fuite insidieuse de questions
Fatiguée de dormir et de ne pas pouvoir me regarder
Fatiguée d’ouvrir la bouche et de boire le vent
Fatiguée de soutenir les mêmes viscères
Fatiguée de la mer indifférente à mes angoisses
Fatiguée de Dieu ! Fatiguée de Dieu !
Fatiguée enfin des morts de service dans l’attente de la sœur aînée
l’autre la grande mort
douce résidence pour tant de fatigue.

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silence
je m’unis au silence
je me suis unie au silence
et je me laisse modeler
je me laisse boire
je me laisse dire

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COLD IN HAND BLUES


et qu’est-ce que tu vas dire
je dirai seulement quelque chose
et qu’est-ce que tu vas faire
je me cacherai dans le langage
et pourquoi
j’ai peur

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LA PAROLE QUI GUÉRIT
Dans l’attente qu’un monde soit exhumé par le langage, quelqu’un chante le lieu où se forme le silence. Plus tard il constatera que ce n’est pas parce qu’elle se déchaîne que la mer existe et le monde non plus. C’est pourquoi chaque parole dit ce qu’elle dit et en plus, plus, et autre chose.
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CEUX DE L’OBSCUR


Pour que les mots ne suffisent pas, une mort dans
le cœur est nécessaire.

La lumière du langage me recouvre comme
une musique, image mordue par les chiens de la détresse,
et l’hiver grimpe sur moi comme le lierre du mur.

Quand j’espère cesser d’espérer, s’opère à l’intérieur
de moi ta chute. Je ne suis plus qu’un au-dedans.

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attention avec les mots

                                (dit-elle)

ils sont aiguisés

            ils te couperont la langue

attention

            ils t'enfonceront dans la prison

attention
ne pas naître aux mots
allonge-toi dans les sables noirs
et que la mer t'enterre
et que les corbeaux se suicident dans tes yeux fermés
fais attention à toi
               ne tente pas les anges des voyelles

n'attire pas des phrases

                            des poèmes

                                        des vers

tu n'as rien à dire
rien à défendre
rêve rêve que tu n'es pas ici
que tu es déjà partie
que tout est terminé

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AFFICHE


je me suis tant efforcée
d’apprendre à lire
dans mes larmes



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