mardi 29 août 2023

Critique de la vie quotidienne II – Henri Lefebvre

Critique de la vie quotidienne II – Henri Lefebvre

MISE AU POINT

Allons-nous nous contenter de décrire, de classer, de « typifier » ces besoins ? C’est ce oue fait l'économiste spécialisé dans l’étude de la consommation, Ou le sociologue purement empirique. Le vrai problème, pour nous, c’est de passer du besoin en général (comme forme d’existence, comme manifestation de l’être) au besoin de ceci ou de cela (c’est-à-dire au désir social et individuel à la fois, tel qu’il se manifeste dans la vie quotidienne). Ce passage théorique se révèle non pas impossible, mais d’une prodigieuse complexité. II nous faut joindre une analytique des besoins à une détermination dialectique des désirs. Le problème est alors de ne pas perdre en route le concept générique ou général, celui de l'homme comme « être de besoin », en affrontant la masse des faits actuels, pour parvenir à une théorie des situations (concrètes, évidemment) de l'homme social.

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L'argument politique.

« La révolution politique transforme le monde. Elle commence par transformer la vie quotidienne, puisque précisément elle a lieu quand les membres d’une société ne veulent plus continuer à vivre de la même façon. Il est vrai que cette première transformation n’est pas absolue ; elle se poursuit au cours de la construction du socialisme et du passage graduel au communisme. Les circonstances historiques peuvent faciliter ou rendre plus difficile cette transition. De toutes façons, dès la révolution, la vie quotidienne en pays socialiste n'a plus rien de commun avec la vie quotidienne en pays capitaliste, dominée et aménagée par la bourgeoisie. Elle prend un sens différent. A elle seule, la conscience politique, celle de l’homme vivant dans l'avenir et pour l'avenir, suffit à la bouleverser. Toute comparaison, dépourvue de sens, est déjà frappée à l’avance d’absurdité. On ne compare pas ce qui n’a aucune commune mesure. De sorte que comparer signifie déjà trahir, renier, rejeter l'essentiel pour le contingent... »

Réponse.

« Il n'est pas difficile de déceler dans le point de vue politique ou « point de vue de parti », l'extension du « point de vue de classe » poussé jusqu'à l'absolu. Les marxistes officiels qui le soutiennent confondent l’idéologique et le vécu et cette confusion fait partie de leur idéologie. Double erreur : l'exagération du rôle de l’idéologie la compromet en la mélangeant abusivement avec la praxis qui en résulte ou qu'elle « reflète ». On ne distingue plus ce qui est connaissance, ce qui est idéologie, ce qui est théorie et ce qui est praxis. On jette une philosophie sur le tout comme une couverture.

« A coup sûr, dans les pays du « camp socialiste », les idéologies et plus généralement les superstructures ont changé à la suite d’une révolution politique. La vie quotidienne a donc changé pour ceux qui la vivent sur le plan des superstructures : les appareils politiques et administratifs, les militants, les idéologues, les hommes politiques. On peut remarquer qu’en tant qu'idéologues, hommes d'Etat, membres d'un appareil, ils s'établissent précisément sur un plan extérieur et supérieur à la quotidienneté. Cette analyse fait partie, depuis Marx, de la théorie de l’Etat, des idéologies, des superstructures.

« Dans les pays socialistes, à l’échelle de la société globale, des changements historiques profonds et irréversibles ont eu lieu. D’accord. Politiquement, l’Etat s’est transformé, sans pour cela tendre vers son dépérissement selon le programme de Marx et de Lénine. Economiquement, le processus d’accumulation s’accélère, surtout dans l’industrie lourde (production de moyens de production). Techniquement, ces pays passent en tête du progrès. Cependant, l'expérience des pays socialistes, dans la mesure où nous la connaissons, montre que la vie quotidienne y change avec beaucoup de lenteur. Ne serait-elle pas ce qui change le plus lentement et qui même, dès les premières difficultés, reprend les anciennes formes et retombe dans les anciennes ornières ? Elle peut retarder et de beaucoup sur les processus qui s'opèrent à la base économique (forces productives) et au sommet (superstructures idéologiques et politiques). Entre les deux, à un niveau intermédiaire, celui des rapports sociaux, la quotidienneté traîne à la suite des changements. Bien plus : elle leur résiste. Les individus et les groupes, y compris la classe ouvrière, se replient sur le quotidien, du moins tant que les changements globaux ne leur offrent pas un nouveau style de vie, acceptable et souhaitable. Peut-on leur en vouloir ? Les masses rassemblées font une révolution parce qu'elles ne veulent plus vivre comme auparavant. Si la révolution ne leur apporte pas la vie nouvelle espérée (et mise peut-être utopiquement sous les mots : révolution, communisme), si la révolution ne change que les représentations, ces masses se réfugient dans une quotidienneté qui prolonge l’ancienne : vie privée, peu de vie publique et politique, vie familiale, vie de relations immédiates, de voisinage et d’amitiés. Une des contradictions internes du mouvement socialiste et communiste mondial ne proviendrait-elle pas de ces faits ? D'un côté, une morale officialisée encourage ce repli, qui permet de distinguer le travail et la vie hors-travail et de consacrer le maximum d'énergie au travail productif. D’autre part, n'est-il pas souvent nécessaire de briser à la fois la stabilisation de la quotidienneté et l'obscure résistance qu’elle offre de par ses structures rétablies aux grands changements ?

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9.

Définirons-nous donc la vie quotidienne par le petit côté de la vie, l’élément humble et sordide ?

Oui et non, avons-nous déjà dit. Oui, ce petit côté, humble et sordide, de toute existence humaine fait partie de la quotidienneté : depuis toujours, et peut-être pendant longtemps encore, jusqu'au jour où toutes les possibilités techniques reviendront vers la quotidienneté pour la bouleverser de fond en comble selon un plan et une politique.

« Chaque jour des milliers et des milliers de femmes ramassent la poussière qui s’est insensiblement accumulée depuis la veille. Après chaque repas, indéfiniment, elles relavent les assiettes et les casseroles. Indéfiniment, que ce soit à la main ou à la machine, elles ôtent la crasse qui s’est accumulée peu à peu sur Je linge et les vêtements ; elles bouchent les trous que le léger frottement des talons sur les chaussures, inévitablement, ont provoqués ; elles remplissent de paquets de nouilles ou de kilos de légumes et de fruits les placards ou les frigidaires qui se sont vidés... » D’où cette définition de la vie quotidienne : « L’ensemble des activités élémentaires qu’entraînent obligatoirement les processus généraux de développement, d’évolution, de croissance et de vieillissement, de défense ou de transformation biologique et sociale, processus qui échappent à l'observation immédiate et ne sont perceptibles que dans leurs conséquences... » (1).

Cette tentative de définition, avec la vive description qui l'accompagne, met remarquablement en lumière un aspect de la quotidienneté : l'envers de toute praxis. Toutefois, elle suscite quelques réserves et critiques. Comme toute définition, elle tend à immobiliser et à présenter comme immuable et intemporel ce qu elle cherche à définir. Elle prend aussi, comme souvent les définitions, un aspect ou une partie pour le tout.

S’il en était ainsi, l’étude de la vie quotidienne serait facile et sa critique aisée. Il suffirait de noter en les accentuant les menus détails des journées, les gestes qui se répètent inévitablement. Et cela d’après un plan simple : travail, vie familiale, relations immédiates (immeuble, quartier ou village, ville), loisirs. Des entretiens enregistrés au magnétophone montreraient avec une pauvre éloquence la misère et les misères de la quotidienneté. L’analyse du contenu de ces entretiens, celle de leur langage, en particulier, dégagerait vite un certain nombre de thèmes : solitude, monotonie, insécurité, discussions sur les issues et les absences d'issues, sur les avantages et les inconvénients du mariage, du métier (2). On pourrait éventuellement appliquer à ces thèmes les méthodes éprouvées de la sociologie ou de l’analyse combinatoire. On parviendrait peut-être à déterminer de façon assez précise, dans certains groupes, des attitudes dans la quotidienneté ou devant la quotidienneté (attitudes d'acceptation et plus souvent de refus). En dehors de ces quantifications, l’enquête retiendrait un certain nombre de témoignages privilégiés. Elle pourrait même aller jusqu’à tenter des expériences.

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(analogues à celle, trop bien réussie, de ce groupe d'expérimentateurs qui simula un grave accident d’auto pour observer le comportement des conducteurs de voitures circulant sur la route !).

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L’étude de ces temps cycliques révèle quelques caractères plus précis. Premièrement, le temps cyclique, à proprement parler, ne commence pas et ne finit pas. Chaque cycle naît d’un autre cycle et se résorbe en d'autres mouvements circulaires. Le temps cyclique n'exclut pas l’acte répétitif. Le cycle est lui-même une répétition. Pourtant, dans le temps cyclique, la répétition se subordonne à un rythme du corps, plus « total », soumet à ses lois les gestes des jambes et des bras. Deuxièmement, les rythmes n’excluent pas le nombre et la mesure ; dans leur mesure, un nombre détient une importance privilégiée : douze (avec les sous-multiples et multiples de douze : minutes, heures, mois — division du cercle en degrés — notes de la gamme tempérée, etc.). Troisièmement, aucun cycle réel ne retourne exactement à son point de départ et ne se reproduit rigoureusement. Aucun retour ne tombe absolument juste (exemple remarquable : les divisions de l’octave, les gammes et le cycle des quintes en musique). S’il en était autrement, les cycles seraient des cercles vicieux et la géométrie du cercle épuiserait le réel physique. Enfin, dernier point, le temps cyclique et cosmique a toujours été et reste l’objet de représentations magiques et religieuses. Nous constatons que les techniques rationnelles et, bien entendu, les techniques de l'industrie, ont brisé le temps cyclique. L’homme moderne en sort. Il le domine. Cette domination se traduit d’abord par des ruptures. Au temps cyclique se substitue un temps linéaire, qui peut toujours se compter le long d'une trajectoire ou d’un trajet. Le temps linéaire est à la fois continu et discontinu. Continu : il commence absolument, il croît à partir d’un zéro initial et cela indéfiniment. Discontinu : il se fragmente en temps partiels affectés à ceci ou cela, selon un programme abstrait par rapport au temps. Il se découpe (1) et cela indéfiniment. La technique qui morcelle le temps produit aussi le geste répétitif, non intégré et souvent non intégrable à un rythme : gestes du travail parcellaire, actes qui commencent à n'importe quel instant et cessent à n’importe quel autre.

Cependant, les temps cycliques n'ont pas disparu. Soumis au temps linéaire, brisés, dispersés, ils subsistent. Une très grande part de la vie biologique et physiologique, une grande part de la vie sociale, restent engagées dans des temps cycliques. Même si dans quelques très grandes villes (pas en France) les moyens de transport fonctionnent jour et nuit, même si quelques groupes très limités s’affranchissent des exigences coutumières en ce qui concerne les heures de repos, de sommeil, de repas, ces coutumes restent profondément enracinées. La faim, le sommeil, le sexe, dans la civilisation industrielle la plus développée, ne s'affranchissent pas encore des coutumes, des traditions liées au temps cyclique. D’ailleurs, l’affranchissement passe, semble-t-il, par une période toujours difficile : par l'anti-nature, par l’abstraction vécue. Il n'est pas naturel de ne pas dormir la nuit, de ne pas manger à certaines heures, etc. Comment se traduirait la domination complète sur la nature, c’est-à-dire la métamorphose complète de la vie quotidienne ? Par un temps individuel et social a-rythmique (et a-thématique, selon l'exemple de la musique contemporaine, électronique et concrète, qui a brisé les temps rythmiques et les cycles traditionnels), n’importe quel acte devenant possible à n'importe quel instant ? par l’invention libre, pour tel groupe momentané ou durable, d’un rythme choisi ? Par l’invention de nouveaux rythmes (dont la journée continue serait l’ébauche) ? Le problème se pose.

La critique de la vie quotidienne étudie la persistance des temps rythmiques dans le temps linéaire, celui de la société industrielle moderne. Elle étudie les interférences entre le temps cyclique (naturel, irrationnel en un sens, encore concret) et le temps linéaire (acquis, rationnel, abstrait en un sens et anti-naturel). Elle examine les déficiences et malaises qui résultent de cette interaction encore peu et mal connue. Elle envisage enfin les métamorphoses possibles, du fait de cette interaction, dans la quotidienneté.

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Ainsi peut-on mieux saisir la double dimension du quotidien : platitude et profondeur, banalité et drame. Sous un aspect, la vie quotidienne n’est que trivialité ou somme de lieux communs. Seules les activités « élevées », que l’abstraction écarte, ont ampleur et hauteur, en un mot : profondeur. Pourtant, les drames humains se nouent et se résolvent, ou restent irrésolus, dans le quotidien. C’est « là » que transparaît la profondeur véritable et que se pose la question d’authenticité, ou, si l’on veut, de vulgarité et de non- vulgarité. Le quotidien, ce n’est ni l'inauthentique en soi, ni le « réel » authentiquement positif. Lorsqu’un sentiment ou une passion éludent l’épreuve du quotidien, ils démontrent de ce fait leur inauthenticité. Bien que le drame de l’amour soit de « se briser contre la vie quotidienne » (Maïakovski), la barque doit affronter le courant ou rester sur la berge. Cette épreuve met le sentiment subjectif eu demeure d’affronter ce qui ne dépend pas de lui et de se changer en volonté. L’échec, pris isolément, ne montre pas davantage l’authenticité. Tout sentiment, toute passion, et aussi tout vouloir, rencontrent tôt ou tard leurs limites. Ils échouent et cette fin de toute tentative ne prouve rien par elle-même. Seule l’histoire du sentiment ou de la volonté, les événements qu’ils provoquent ou qu’ils prennent en charge, leur confrontation avec le « réel » dans le « réel », montrent quelque chose. Ce qui compte, dans le récit de toute tentative, c’est la conjonction de l’échec et de ce qu'il laisse d’acquis, plus que l’échec en soi. Un événement a cheminé ; il a pris du temps ; il a pris son temps. Le temps ainsi rempli par l’événement en marche — l'échec — dans un cheminement sinueux à travers la trouble épaisseur de la quotidienneté, voilà ce qui entre en compte. Voilà ce qui peut-être crée le « romanesque ». La qualité de l'échec a plus de sens que le fait. Si donc, dans la quotidienneté, tout finit par un échec puisque tout finit, les sens diffèrent. Les pires échecs ne seraient ils pas quelquefois les réussites ? Parfois aussi, de l'échec surgissent son sens, et l’investissement effectué dans le quotidien, et les leçons du drame, et ce qui en survivra.

Platitude et profondeur, dans le quotidien, ne coexistent pas paisiblement. Elles s’y combattent avec âpreté. Il arrive que naissent profondeur et beauté d’une conjoncture mal déterminée et imprévue : la rencontre. Cette chance apparaît ensuite méritée et même déterminée. La profondeur et la beauté vécues (non point contemplées ou vues comme un spectacle) sont des moments, conjonctures bouleversant merveilleusement les structures établies dans la quotidienneté pour leur substituer d’autres structures, imprévues celles-ci, et pleinement authentiques.

Lorsque nous parlons de l’unité « société-individu », « besoin- désir », « appropriation-jouissance », ne nous laissons jamais abuser par l’usage de ces mots dans la logique du discours cohérent.

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LES INSTRUMENTS FORMELS

Soucieux pourtant de faire leur part à ces théories et notamment à la théorie de ('information, nous contestons ici un tel axiome (qui tendrait précisément vers une axiomatisation intégrale et à une cohésion purement logique de la science). Pour épuiser la réalité, un nombre infini de questions auxquelles on doit répondre par oui ou par non serait indispensable. De plus, il y a des questions qui réclament des réponses différentes de la réponse « par oui ou par non » et qui cependant apportent une connaissance. Peut-être même devons-nous dès maintenant marquer la différence entre information et connaissance. Les questions auxquelles l’interrogé répond et ne peut répondre que par oui ou par non apportent une information. Les questions auxquelles il ne peut répondre ni par oui ni par non apportent une connaissance. « Etes-vous heureux ? ». Personne, après avoir un peu réfléchi, ne peut répondre par un oui ou un non absolu. Chacun répond : « Oui et non. Oui en ceci, non en cela. D'ailleurs, qu’est-ce que vous appelez le bonheur ? ». Celui qui répond par oui ou par non nous informe d'un fait, à savoir qu’il traverse une phase de satisfaction ou d insatisfaction, qu’il adopte une attitude optimiste, qu'il simplifie son opinion pour la communiquer, etc.

 

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Niveaux de la perception musicale


              Niveau

    /                        \

sensoriel                         socio-culturel

                               /                     |               \

          perceptif          intégration                                                  esthétique

                                                / \                                                                  /  \

                 formelle (discours musical) | sémantique (affective) || sensibilité  |   jugement

                    / \
       syntaxe | rhétorique






Niveaux d’analyse (en linguistique structurale)

(

A)      Deux niveaux d'analyse (et de réalité)

 -  phonèmes (unités non signifiantes, objets de la phonologie)

 - morphèmes, mots (unités signifiantes).

(Liaison entre les deux niveaux : le principe de double articulation du langage. Cf. André Martinet, Eléments de linguistique générale.)

 

B)       Niveau 0 : le monde extra-linguistique, les objets.

Niveau 1 : le langage comme système de signes et ensemble de mots ; la langue en tant que système de signes avec les règles de leur emploi.

Niveau 2 : une métalangue, système logique de métasignes, renvoyant aux signes de niveau 1.

(D’après les travaux de divers logiciens et sémanticiens.)

Autre fragement d'une grille de niveau dans la vie quotidienne

Elements de dialectique (jeux de mots, conflits explicites, dramatisations) / Logique (discours, cohérence, stabilité, cimplifications) / Bon sens (rationnel, analytique, expérimental) / Sens commun (banalités)

=> SUPRA LANGAGE

    - images, modeles, valeurs et valences

    - symboles (perçus comme tels)

    - intuituin, désirs

=> LANGAGE

    - paroles

        -expression -> effervescences, pratiques novatrices

        -élaboration sociale (représentations, confrontations, dialogues)

    -langue

        -sémantique --> expériences quotidienne

        -morphologique/phonologique --> monde des objets, pratique répétitive

=>INFRA LANGAGE

    - symbolismes subis ->  besoins

    -pulsions et implusions -> besoins

    -spontanéité -> besoins


 

LES CATEGORIES SPECIFIQUES

La formule de Lukàcs semble donc périmée. Nous subordonnons la catégorie de totalité à celle de négativité ou négation dialectique, qui nous semble plus fondamentale. De plus, nous considérons ici que le principe révolutionnaire, essentiellement critique (négatif), s'applique aujourd’hui à la vie quotidienne plus qu'à la connaissance en général ou à la société en général ; c’est notre façon de ré-introduire la science dans la praxis.

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Par conséquent, nous abandonnons la catégorie de totalité, en tant que prise sans inclusion prépondérante du moment critique (négatif) et maniée de façon ontologique, normative, spéculative. En même temps, nous la reprenons dans un sens dynamique. Nous la dialectisons, d’une part en introduisant les concepts de totalité partielle et de totalisation, d'autre part en distinguant sans les séparer le total de l'universel (l'universel se pense dans la mesure où il se crée). La volonté de totalité reste indispensable, tant pratiquement (revendication de totalité et de dépassement des scissions, des divisions et des dispersions) que théoriquement. Pas d'action, et pas d'effort vers la connaissance sans cette option initiale : la volonté de totalité. Sans elle, nous acceptons le « donné » empirique et parcellaire, le « réel » scindé et dichotomisé ; nous entérinons la division sociale du travail ; nous consacrons le morcellement analytique des activités, des fonctions, des actes et des gestes ; nous légalisons et nous érigeons en vérités les « thémati- salions » et les pseudo-mondes admis, donc les séparations.

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Trois déterminations, trois « formants », trois dimensions : besoin, travail, jouissance. Chacune a sa réalité, aucune ne s'isole. Chacune renvoie aux autres et sans perdre sa propre détermination agit sur les autres et les transforme en recevant le contre-coup de cette transformation. Nous avons donc une triplicité cohérente sans que cette cohérence -— non dépourvue de contradictions et conflits — la voue à l’immobilité. Les trois déterminations sont distinctes à tel point que dans la pratique sociale et l'histoire, elles échoient à des individus et à des groupes (classes) différents et même en conflit. Nous constatons l’homme du besoin (qui n’a pas de travail), l’homme au travail (qui a peu de besoins et de jouissance), l'homme de la jouissance (ce qui ne signifie pas qu’il en atteigne la plénitude). Cette unilatéralité vécue ne peut se suffire et ne doit pas se transformer, comme il arrive, en représentations ; plus exactement, chaque représentation issue de l’unitéralité doit se critiquer radicalement ; la critique théorique mène d’ailleurs à sa conclusion une critique de fait. Ceux (individus et classes) qui veulent la jouissance et peuvent la vouloir à l'état pur subissent une double dégradation ; parasitaires socialement, la jouissance leur échappe et les déçoit. Le travailleur, sans l’éclat et la récompense du plaisir, n’atteint qu’une existence morne, mal compensée par une éthique du labeur. Quant à l’homme du pur manque, s'il ne peut s'accrocher à l’acte productif, il disparaît vite humainement.

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Ces formulations définissent un fonctionnalisme, pendant du structuralisme et des divers réalismes dans la pensée contemporaine. Le fonctionnalisme décrète un équilibre et une harmonie rationnels, entre la nature, la culture et la société considérée comme un tout. Il postule une adaptation complète, achevée par lui et en lui, entre les représentations et l'action, entre le réel et le vrai. Pour un sociologue fonctionnaliste, ce qui n’a pas de fonction sociale déterminée n’a aucune existence. Tout au plus peut-on y voir la déviation d’une fonction réelle. La famille a des fonctions. La classe ouvrière a des fonctions. La bureaucratie a des fonctions (d'autant plus que des « fonctionnaires » en forment une bonne part). Quant à l'Etat, il possède évidemment beaucoup de fonctions, et cela par définition. C'est dire que le fonctionnalisme élimine la pensée critique. Selon ce critère, ce qui n'a pas de fonction étant superflu, doit disparaître. La vie quotidienne, à quoi sert- elle ? Quelle est sa fonction ? Elle n'en a pas. Ecartons donc cet indigne résidu, faute de pouvoir le supprimer par décret. On passe aisément du constat à la prescription, de l'ontologie au normatif. Au fonctionnalisme doctrinal se joint bientôt une éthique et même une esthétique fonctionnalistes.

La critique du fonctionnalisme a pour notre propos une certaine importance. Les villes nouvelles ont montré les mérites certains et les déficiences encore plus certaines du fonctionnalisme quand il veut créer le cadre et les conditions d'une vie quotidienne. Erreurs et illusions de la doctrine s'y saisissent en acte, dans l’œuvre. D’autre part, il s’agit d’une tendance générale, liée à l’importance des techniciens et à la formation d’une idéologie technocratique dans toutes les sociétés actuelles. Le technicien, comme tout détenteur d’une compétence et d'une activité parcellaire, a une fonction dans un ensemble. Le technocrate aperçoit cet ensemble, organise les fonctions et les supervise. Il y a donc un lien entre le fonctionnalisme intégral et la technocratie idéologique et pratique.

 

THEORIE DU CHAMP SEMANTIQUE

THEORIE DES PROCESSUS
(CUMULATIF ET NON-CUMULATIF)

 

THEORIE DES MOMENTS

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