jeudi 10 août 2023

Signe ascendant - André Breton

 Signe ascendant - André Breton

On se souvient qu’il y a trente ans, Pierre Reverdy, penché le premier sur la source de l’image, a été amené à formuler cette loi capitale : « Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l’image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique. » Cette condition, absolument nécessaire, ne saurait toutefois être tenue pour suffisante. Une autre exigence, qui, en dernière analyse, pourrait bien être d’ordre éthique, se fait place À côté d’elle. Qu’on y prenne garde : l’image analogique, dans la mesure où elle se borne à éclairer, de la plus vive lumière, des similitudes partielles, ne saurait se traduire en termes d'équation. Elle se meut, entre les deux réalités en présence, dans un sens déterminé, qui n'est aucunement réversible. De la première de ces réalités à la seconde, elle marque une tension vitale tournée au possible vers la santé, le plaisir, la quiétude, la grâce rendue, les usages consentis. Elle a pour ennemis mortels le dépréciatif et le dépressif. — S’il n’existe plus de mots nobles, en revanche les faux poètes n’évitent pas de se signaler par des rapprochements ignobles, dont le type accompli est ce « Guitare et bidet qui chante » d’un auteur abondant, du reste, en ces sortes de trouvailles.
 

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I. ETAT DES RESSORTS SENSUELS

Le tact :

a) sur le plan des faits tangibles — hiver d’une rigueur jusqu’alors inconnue en Europe (destruction des foyers, pénurie de vêtements, abaissement calorique dû à la sous-alimentation), b) dans le domaine des idées — « expliquer c’est identifier » (tu l'avais mieux dit) mais expliquer = rechercher la vraie réalité. Or, plus on traque de près cette réalité, plus elle se dérobe. L’école : « L’effort réaliste en quête de l’authentique nature physique aboutit en fin de compte à un immatérialisme. »
 

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SUR LA ROUTE DE SAN ROMANO

La poésie se fait dans un lit comme l’amour 

Ses draps défaits sont l’aurore des choses 

La poésie se fait dans les bois

 

Elle a l'espace qu'il lui faut 

Pas celui-ci mais l’autre que conditionnent

            L’œil du milan 

            La rosée sur une prèle 

            Le souvenir d’une bouteille de Traminer 

                embuée sur un plateau d’argent 

            Une haute verge de tourmaline sur la mer 

            Et la route de l’aventure mentale 

            Qui monte à pic 

            Une halte elle s’embroussaille aussitôt

Cela ne se crie pas sur les toits 

Il est inconvenant de laisser la porte ouverte 

Ou d’appeler des témoins


            Les bancs de poissons les haies de mésanges 

            Les rails à l'entrée d’une grande gare 

            Les reflets des deux rives

            Les sillons dans le pain

            Les bulles du ruisseau

            Les jours du calendrier

            Le millepertuis


L'acte d'amour et l'acte de poésie

Sont incompatibles

Avec la lecture du journal à haute voix

            Le sens du rayon de soleil

            La lueur bleue qui relie les coups de hache

                du bûcheron

            Le battement en mesure de la queue des

                    castors

            La dilligence de l'éclair

            Le jet de dragées du haut des vieilles

                marches

            L'avalanche

 

La chambre aux prestiges

Non messiers ce n'est pas la huitième CHambre

Ni les vapeurs de la chambrée un dimanche soir

             Les figures de dans exécutées en trans-

                parence au-dessus des mares

            La délimitation contre un mur d'un corps

                de femme au lancer de poignards

            Les volutes claires de la fumée

            Les boucles de tes cheveux

            La courbe de l'éponge des Philippines

            Les lacés du serpent corail

            L'entrée du lierre dans les ruines

            Elle a tout le temps devant elle

L'etreinte poétique comme étreinte de chair

Tant qu'elle dure

Défend tout échappée sur la misère du monde


1948



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