vendredi 25 août 2023

Écrits – Maître Wen

Écrits – Maître Wen

4. Laozi a dit :

a. La sagesse consiste non pas à régenter les autres, mais à se régler soi-même ; la noblesse, non à détenir rang et pouvoir, mais à se posséder soi-même - dans la mesure où sitôt trouvé le moi, l’univers entier m’échoit, puisqu’à faire grand cas du Soi et fort peu de l’univers on touche à la Voie - ; le bonheur, non pas à jouir des richesses et des honneurs, mais à vivre dans  l’harmonie. C’est pourquoi il est dit : « Accède à la vacuité  suprême, préserve fermement ta quiétude ; face au pullulement des êtres, tu pourras contempler leur retour. »

 

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c. Les atteintes du chaud et du froid attaquent le corps non l’âme ; les passions et les soucis rongent l’âme non le corps. L’homme authentique veille à s’appuyer sur ces deux  béquilles de la nature innée et de l’intellect de telle manière  qu’ils s’assistent mutuellement, ainsi vit-il éternellement, en une longue suite de sommeils sans rêves et de réveils sans tourments.

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6. Laozi a dit :

a. Dans toute affaire, on agit en fonction de la situation.  la situation dépend du moment ; qui connaît le moment  n’adopte pas une conduite figée. C’est pourquoi « la Voie  qui peut être pratiquée n’est pas une voie constante, le I nom qui sert à nommer n’est pas un nom constant» .

Les livres sont produits par les discours ; les discours  proviennent de l’intellect ; mais celui-ci ne sait pas tout.  C’est pourquoi « il n’y a pas une voie constante et « le  nom qui sert à nommer » ne se trouve pas dans les livres. « À vouloir tout connaître, on est souvent à court ; le mieux est de tenir le centre. Ainsi : abandonne l’étude pour être

sans soucis ; abolis la sagesse, bannis l’intelligence, le

peuple en tirera profit ! » Le calme est l’état naturel de l’homme ; la réaction aux stimuli est le mouvement de […]

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Le Ciel ne favorise ni ne spolie rien ni personne. Si les gens  capables ont le superflu et les incapables manquent du nécessaire,  c'est que ceux qui se conforment au cours des choses en tirent avantage, tandis que ceux qui vont à son encontre s'attirent  le malheur. Il est impossible de tenir un pays en se fiant aux lumières de la raison. Seul qui a su faire corps avec l'harmonie suprême et adhère à la résonance spontanée y parvient.

 

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20. Laozi a dit :

Le non-agir est facteur de régulation ; l’agir de dérèglement.

Qui gouverne par non-agir agit vraiment par non-agir, tandis que celui qui agit est en réalité incapable de pratiquer le non- agir. Incapable de non-action, il ne peut donc avoir aucune action. Qui ne parle pas est efficace, la parole porte atteinte à cette efficacité. L’efficacité de celui qui ne parle pas tient à ce qu’il se meut dans le Non-être. C’est ainsi que la parole  altère la source efficace de cette efficacité.

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C’est pourquoi la formule « plus loin tu sors moins tu sais>> s'applique on ne peut mieux à la psyché, qui ne doit pas se laisser pervertir par le spectacle du monde extérieur.

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4. Garder le non-être  

Laozi a dit :

 Le mépris du monde libère l’esprit de ses entraves et le dédain des choses garde le cœur des égarements. Qui voit la vie et la mort d’un même œil et perçoit l’immuable dans le changeant aura une volonté ferme et la vue claire.

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4. Laozi a dit :

La marche du temps est changeante ; le bonheur se renverse en malheur pour qui ignore le fonctionnement des choses. Le Ciel est comme un dais et la terre comme un char ; celui qui sait profiter de la pente naturelle des choses sera pour toujours à l’abri du malheur.

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1. Laozi a dit :

a. Le Tao nous apprend qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Car à rechercher ce que l’on n’a pas, on risque de perdre ce que l’on a déjà ; tandis qu’à cultiver ce que l’on a, on fait venir ce que l’on recherche. Qui ne s’étant pas lui- même préalablement mis à l’abri de tout désordre en se réglant s’efforce de faire régner l’ordre met ses jours en danger ; qui recherche la gloire bien que sa conduite ne soit pas au-dessus de tout reproche en subira du dommage.

 

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13. Laozi a dit :

 Si, dans la distribution des parts, on préfère s’en remettre au tirage au sort plutôt qu’à l’arbitrage d’un homme de confiance, c'est que personne ne saurait avoir l’impartialité de ce qui est totalement privé de sentiments. De même qu’un bon cadenas est plus sûr qu’un homme honnête pour garder un trésor, dans la mesure où, en matière d’intégrité, rien ne saurait surpasser ce qui est dépourvu de désirs. Alors que nous en voulons à celui qui dénonce nos travers, nous savons gré au miroir de nous montrer nos imperfections. Il se met à l’abri des ennuis, , l’homme qui sait ne rien mettre de lui-même dans ses contacts  avec autrui.

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Chapitre V La Voie et la Vertu

1. Interrogé par Maître Wen sur le Tao, Laozi répondit : a. Qui n’a pas fait d’études poussées n’en saisira que l’écume. On s’instruit pour s’ouvrir l’esprit, pour perfectionner  sa conduite, pour obtenir succès et renom. Sans études poussées, l’entendement n’est pas éclairé ; faute d’une compréhension profonde, on gardera un esprit obtus. L’apprentissage supérieur écoute avec l’esprit, l’apprentissage moyen avec le cœur, l’apprentissage inférieur avec les oreilles. A écouter avec les oreilles, l’enseignement reste à la surface de la peau, avec le cœur il pénètre la chair, avec l’esprit il imprègne la moelle des os. Si l’étude n’est pas profonde, tu ne seras pas illuminé, tant et si bien que tu ne pourras en savourer la substance. Faute d’en avoir savouré la substance, tu échoueras à le mettre en pratique.

 

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4. Laozi a dit :

a. Le corps du Tao est néant. Le regardant on ne le voit pas, l’écoutant on ne l’entend pas, aussi le qualifie-t-on de ténébreux. Mais ce terme de « ténébreux » n’est qu’une désignation qui permet de parler du Tao et ne saurait être confondu avec lui. Le Tao ne s’atteint que par la vision intérieure grâce à laquelle s’opère le retour sur soi.

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Qui obéit au mouvement des êtres, les êtres lui obéiront ; qui contrarie le mouvement des êtres, les êtres lui seront contraires.

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Chapitre VII

L’obscure clarté

1. Laozi a dit :

La Voie permet d’être faible ou fort, souple ou rigide, yin ou yang, brillant ou obscur, d’englober ciel et terre et de répondre à tout imprévu.

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6. Laozi a dit :

L'instauration de la responsabilité collective suscita la rancœur du peuple, l ’ abolition des prérogatives de la noblesse provoqua la révolte de ministres méritants. Ordinairement, qui est féru de textes de loi est imperméable aux grands principes du gouvernement et qui est rompu à la manœuvre est bouché à l’art stratégique. Le Saint anticipe le bonheur  même bouclé à triple tour et prévoit le malheur alors qu’il est encore dans les limbes. Le sot, lui, se laisse obnubiler par le moindre petit profit au point d’en oublier les graves inconvénients qu’il peut cacher. Dans bien des entreprises, un petit avantage signifie un grand désagrément ; ce que l’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre.

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10. Laozi a dit :

a. Le détenteur de la Voie, respectueux des riens et  attentif à l’infime, agit toujours à propos ; prenant mille précautions, jamais le mal ne peut se développer ; il sait  que le bonheur se fait attendre tandis qu’un malheur est  vite arrivé. Bien que le givre n’épargne personne, seul celui qui s’en est protégé n’en ressentira pas les atteintes. Un sot prévoyant aura même réussite qu’un sage. Qui sème l’amour récoltera le bonheur, la rancœur le malheur. Si tout un chacun se préoccupe de remédier au malheur, nul ne songe à l’empêcher d’advenir.

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Dans la classe des hommes moyens, on compte les cinq types suivants : les lettrés, les artisans, les forestiers, les paysans et les marchands ; enfin, les cinq types de la classe inférieure sont : la masse, les esclaves, les idiots, les hommes qui ne pensent qu’à leur estomac et les hommes de peu. Il existe le même abîme entre les cinq types de la première catégorie et ceux de la dernière catégorie qu’entre l’homme et les bêtes de somme.

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Chapitre VIII

Le Naturel

b. Les douze mois suivent leur cours, et leur ronde accomplie, amorcent un nouveau cycle. Les cinq éléments, métal, bois, eau, feu, terre, se détruisent et se supplantent tour à tour. Même si le froid intense et la canicule sont préjudiciables, la disparition du froid et de la chaleur n’est cependant pas admissible.

 

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Car ne considérer qu’un aspect des choses ou ne s’intéresser qu’à une sorte d’objet, c’est se condamner à posséder bien peu et à exercer un pouvoir régulateur fort réduit.

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12. Laozi a dit :

Ce que j'entends par détenir le Tao ? Faire corps avec le cercle et prendre modèle sur le carré ; se tenir dos au yin en embrassant le yang ; être flexible sur son aile gauche et rigide sur son aile droite ; marcher sur l'ombre en portant la lumière ; changer sans jamais présenter de forme fixe ; saisir la source de l'Un afin de répondre à tout imprévu. Voilà ce que l'on appelle la divine clairvoyance.

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Chapitre IX La Vertu inférieure

1. Laozi a dit :

Dans le soin de la personne, l’entretien de l’âme est essentiel, celui du corps secondaire. Avoir l’âme pure, l’esprit en paix, les jointures détendues, tel est le fondement de l’hygiène vitale ; avoir la chair épanouie, le ventre plein et les désirs satisfaits n’est qu’accessoire. Dans le gouvernement de l’État, l’action civilisatrice prime sur l’application des lois.

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Le Saint fait taire désirs et appréhensions. Il sait qu’il suffit de désirer une chose pour qu’elle vous échappe et de la redouter pour qu’elle vous échoie. Souvent, sous l’impulsion d’un désir irrépressible, on ne sait même plus ce que l’on fait. Le Saint surveille ses gestes, équilibre ce qu’il donne et reçoit, tempère ses inclinations et modère ses humeurs ; la circonspection dans ses gestes lui permet d’éviter les désagréments, l’équilibre de ce qu’il donne et reçoit le met à l’abri des reproches, la modération des inclinations évite le souci, celle des humeurs le soustrait à la rancœur.

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Il n’est dans la nature humaine de quêter l’admiration et de redouter de décevoir. De la soif de reconnaissance naît l'esprit de compétition, du sentiment d’infériorité l’animosité. L’esprit de compétition et l’animosité sont responsables des dérèglements de la psyché et des contrariétés des humeurs. Les Saints antiques savaient contenir l’esprit de compétition et l’animosité. Sitôt que l’on a fait taire ces deux passions mauvaises, l’âme est réglée et les souffles dociles. C’est pourquoi il est dit : « N’honore pas les sages, le peuple ne sera pas querelleur. »

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9. Laozi a dit :

Lorsque régnait le gouvernement par la sérénité et la pureté, tout n’était qu’harmonie, calme et douceur ; l’homme était vrai et jouissait encore de la candeur native du bois brut. Il vivait dans le repos et la quiétude et ignorait l’agitation. Chez lui, il se trouvait en étroite communion avec la Voie ; au-dehors, il agissait conformément à l’équité. Ses propos, laconiques, étaient sensés. Ses actes, sans façons, répondaient à ses sentiments. Son âme, paisible, ignorait l’artifice. Ses occupations étaient naïves et sans apprêts. On ne planifiait pas les commencements ni ne s’inquiétait des résultats. Oisif, on s’arrêtait ; pressé, on se mettait en mouvement. On faisait corps avec le ciel et la terre, partageait les essences du yin et du yang, respirait au rythme des saisons, irradiait la lumière du soleil et de la lune et était apparié au principe créateur. Le cœur des hommes n’abritait ni machines ni tromperies. Le ciel les couvrait avec bonté et la terre les portait avec joie. Les saisons se succédaient sans heurts, le vent et la pluie ne causaient pas de dégâts, le soleil et la lune dispensaient une lumière pure et calme tandis que les planètes se mouvaient suivant un orbe régulier. Car tel était l’éclat de la pureté et de la quiétude.

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b. Certes, anticiper l’avenir et voir à long terme sont des dons éminents, mais un siècle qui connaît la paix ne les exige pas des sujets. L’érudition et l’éloquence sont les formes les  plus hautes de l’intelligence, mais un prince éclairé ne les requiert pas de ses sujets. Le dédain du monde, le mépris des biens matériels et le refus de se commettre avec le vulgaire sont les traits distinctifs du vrai lettré, mais sous un règne paisible nul ne songe à y convertir le peuple. Des sommets que l'on ne peut atteindre ne peuvent servir de mesure au commun des hommes, ni des conduites qu’il est impossible de suivre de coutumes à un pays. On ne peut se fier exclusivement aux capacités individuelles, tandis que les normes et les procédures techniques peuvent se transmettre de génération en génération. C’est pourquoi le gouvernement d’un État peut être exercé par un sot et la cohésion d'une armée assurée par la seule discipline.

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Chapitre XI La justice supérieure

La charité et l’équité sont les racines de l’ordre, la loi et les règlements en sont les rameaux. L’inné est le tronc, l’acquis les branches. Tronc et branches constituant un même ensemble, il est naturel que l’on ait de la sollicitude pour les deux. Mais tandis que l’homme de bien donne le pas au tronc sur les branches, les priorités de l’homme de peu sont inverses. Les lois n’ont été créées que pour étayer la charité et la justice ; aussi, accorder plus de poids aux premières qu’aux secondes, c’est comme avoir plus de considération pour le bonnet et les chaussures que pour la tête et les pieds.

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11. Laozi a dit :

a. Bien souvent il faut se replier pour se déployer, se courber pour se redresser ; aussi le Saint n'hésite-t-il pas à se replier ' un pouce s’il doit s’étendre d’un pied et à commettre une petite entorse pour promouvoir une grande rectitude.

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16. Laozi a dit :

a. La puissance d’un pays tient à l’esprit de sacrifice de son peuple. L’esprit de sacrifice tient au sentiment du devoir ; te sentiment du devoir, la discipline l’impose.

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INTRODUCTION

 

Le Tao ou Tordre des choses

Le Wenzi est un traité de politique et non un ouvrage de philosophie. Chez lui, la quête du fonctionnement des choses, la recherche de la compréhension du mystère du Tao n’est pas une fin en soi ; elle n’est qu’un moyen pour asseoir un ordre social qui selon le postulat propre à tous les penseurs de l’époque des Royaumes combattants ne saurait être juste, harmonieux et stable s’il ne prend pas modèle sur la loi naturelle. Le Wenzi ne déroge pas à cette règle. Il s’emploie à enraciner l’action du souverain et les cadres institutionnels dans le mouvement spontané du principe. La formule « le Saint (autant dire le souverain car pour le Wenzi ils se confondent) prend modèle sur le Ciel » revient en une litanie tout au long des chapitres et des paragraphes. Le Tao du prince- c’est-à- dire les techniques de gouvernement - n’est que la diffraction dans la société humaine du Tao transcendant et cosmique ; il ne saurait donc y avoir de science politique sans science du principe, mais le principe étant inconnaissable et indicible, l' art du gouvernement s’apparente à une quête mystique.

 

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Le non-agir prôné par le Wenzi n'a rien à voir avec l’ataraxie du contemplatif ou du mystique, pas plus qu'il ne saurait être assimilé au non-engagement du rebelle, qui, refusant de se laisser entraîner dans la ronde frénétique des occupations sociales, s’abandonne à l’oisiveté ; le non-agir de Maître Wen est celui d’un homme d’action. Le Wènzi oppose deux sortes de non-agir : un non-agir contemplatif, passif et asocial qu’il condamne, et un non-agir qui a ses suffrages. Cette forme d’action supérieure se borne à profiter de la propension des choses pour en user à son avantage.

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