mercredi 28 janvier 2015

Paul Celan - Choix de poèmes

Paul Celan - Choix de poèmes
FUGUE DE MORT
Lait noir de l’aube nous le buvons le soir
le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons dans le ciel une tombe où l’on est pas
                serré
Un homme habite la maison il jour avec les serpents il
                écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes
                cheveux d’or
écrit ces mots s’avance sur le seuil et les étoiles tressaillent
                il siffle ses grandes chiens
il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une
                tombe
il nous commande allons jouez pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons le maton puis à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il
                écrit
il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes
                cheveux d’or
Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel
                une tombe où l’on n’est pas serré

IL crie enfoncez plus vis bêches dans la terre vous autres
                et vous chatez jouez
il attrape le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont
                bleus
enfoncez plus les bâches vous autres et vous jouez encore
                pour qu’on danse

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons le maton puis à midi nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or
Tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents

Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître
                d’Allemagne
il crie plus sombres les archets et votre fumée montera
                vers le ciel
vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on n’est
                pas serré

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi la mprt est un maître d’Allemagne
nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu
il t’atteint d’une balle de plomb il ne te manque pas
un homme habite la maison Margarete tes cheveux
                d’or
il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une
                tombre dans le ciel
il jour les serpents et rêve la mort est un maître
d’Allemagne

tes cheveux d’or Margarete
tes cheveux cendre Sulamith

BRÛLURE
Nous ne dormions plus car nous gisons dans les rouages
                de l’horloge mélancolie
et courbions les aiguilles comme des verges,
et elles se sont détendues d’un coup et ont fouetté le
                temps jusqu’au sang
et tu racontais une pénombre qui grandissait,
et douze fois j’ai dit tu à la nuit de tes mots,
et la nuit s’est ouverte, et elle est restée déclose,
et j’ai mis un œil en sa chair et t’ai tressé l’autre dans les
                cheveux
et j’ai noué entre les deux la mèche, la veine ouverte –
et un jeune éclair a nagé jusque-là

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JE SUIS SEUL, je mets la fleur de cendre
dans le verre rempli de noircuer mûrie. Bouche sœur,
tu prononces un mot qui survit devant les fenêtres,
et sans un bruit, le long de moi, grimpe ce que je rêvais.

Je suis dans la pleine efflorescence de l’heur défleurie
et mets une gemme de côté pour un oiseau tardif :
il porte le flocon de neige sur la plume rouge vie ;
le grain de glace dans le bec, il arrive par l’été

SOMMEIL ET REPAS
Le souffle de la nuit est ton drap, la ténèbres se couche
                contre toi.
Elle t’effleure la cheville et la tempe, te réveille à vie et
                sommeil,
elle te traque et déniche dans un mot, un désir, une
                pensée,
elle couche avec chacun d’eux, elle t’appâte et débusque.
Elle te peigne le sel des cils et te le donne à manger,
à l’écoute de tes heures, elle en recueille le sable et te le
                sert à table.
Et ce que, rose, elle fut, ombre et eau,
elle te le verse.

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TANT D’ASTRES qu’on
nous fait miroiter. J’étais,
quand je t’ai regardée – quand ? –
dehors chez
les autres mondes.

Ô ces voies, galactiques,
ô cette heure qui nous fit
passer le poids
des nuits dans la charge de nos noms. Il n’est,
je le sais, pas vrai
que nous avons vécu, il est
seulement passé, aveugle, un souffle entre
Là et Pas-là et Par moments,
un œil a vrombi, comète, filant
vers de l’éteint, au fond des gouffres,
là om mourrait la braise, se tenait,
tétins somptueux, le Temps
sur qui déjà croissait, grimpait, redescendait
et débordait ce qui
est ou était ou sera – ,
je sais
je sais et tu sais, nous savions,
ne savions pas,
n’étions-nous pas ici en effet et non là-bas,
et par moments,
pour peu que seul le néant fût dressé entre nous, nous
nous sommes entièrement trouvés.
PSAUME
Personne ne nous pétrira de nouveau de terre et d’argile,
personne ne soufflera la parole sur notre poussière.
Personne.

Loué sous-tu, Personne.
C’est pour te plaire que nous voulons
fleurir.
À ton
encontre.

Un Rien,
voilà ce que nous fûmes, sommes et
resterons, fleurissant :
la Rose de Néant, la
Rose de Personne.

Avec
le style, lumineux d’âme,
le filet d’étamine, ravage de ciel,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions,
au-dessus, ô, au-dessus
de l’épine.

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