mercredi 28 janvier 2015

Fernando Pessoa - Le pèlerin



Fernando Pessoa - Le pèlerin

La curiosité innocente des contemplatifs me retenait là de longues heures, absorbé, immobile, à regarder la vie passer sans réfléchir à la vie, m’amusant, à la manière des simples, de l’aspect des choses plus que de leur signification.
Comme il arrive à tous ceux qui pensent, je ne manquais pas, bien sûr de méditer sur la mystère de l’existence. Mais c’était à la clarté de la lampe, pendant les veillées silencieuses, que cela me travaillait, quand les vieilles somnolaient sur leurs ouvrages oubliés et que la grande tache sur la vie se répandait dans l’âme.
Parce qu’à présent seule la solitude me plaisait, quand auparavant elle me plaisait seulement par-dessus tout. Peu à peu, l’existence des autres, la présence des gens autour de moi, d’inquiétantes devint angoissante, et d’angoissante insupportable. Seul mon naturel peu impatient m évitait de devoir contenir constamment mon impatience.

Ne fixe pas la route ; suis-la.

Je tombais amoureux d’elle dès que je la vis. Je perdis mon âme pour elle dès que je lui parlai. Ses yeux, tel un feu sur mon trouble, plongèrent leur flamme jusqu’au plus profond de l’inéveillé de mon être. Le contact de sa main me fit tout oublier. Ma propre conscience, quand j’étais à ses cotés, était une chaleur qui brulait dans mon corps et me faisait sentir mes veines avec un frémissement de plaisir.
Des liens invisibles nous attachaient l’un à l’autre. Chacun de nous les sentait et voulait les sentir toujours.
Délicieuse prison que celle où la volonté est prise  dans un sommeil confortable, et où l’intelligence ne veut d’autre emploi que celui de découvrir chaque jour de nouveaux enchantements dans l’être aimé, et de nouveaux mots à lui dire qui répètent différemment la même ardeur, et la même ferveur, et le même désir !

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