mercredi 28 janvier 2015

Sylvia Plath - La cloche de détresse

Sylvia Plath - La cloche de détresse

Je me rendais bien compte que cet été quelque chose ne collait pas en moi. Je ne pouvais penser qu’aux Rosenberg ou comme j’avais été idiote d’acheter tous ces vêtements inconfortables et chers qui pendaient comme tous ces petits poissons morts dans mon placard, ou bien comme tous ces petits succès que j’avais accumulé joyeusement au collège et qui se réduisaient à néant devant les façades de verre ou de marbre scintillant de Madison Avenue. (p.12) 
Il y en aurait pour dire : «  regardez ce qui arrive dans ce pays. Une fille vit pendant dix-neuf ans dans une ville perdue, elle est tellement pauvre qu’elle ne peut même pas se payer un magazine, et puis elle reçoit une bourse pour aller au collège, elle gagne un prix ici, remporte un concours là, et elle finit aux commandes de New York, comme s’il s’agissait de sa propre voiture » (p.12) 
J’étais trop impressionnée par tous ces cadeaux gratuits qui nous dégringolaient dessus en avalanche. 

J’ai pris la décision de ne plus rien attendre de Buddy Willard. Quand on n’attend rien de quelqu’un, on n’est jamais déçu. 

Courrive, passé notre Adame, des courbes de la côte aux bras de la baie, nous rame par commode vicus de recirculation, vers Howth, Château et Environs. (Joyce, Finnegan’s Wake) 
Le gros bouquin me pesait sur le ventre. 
Courrive passé notre Adame. 
Je pensais que cette minuscule au début, pouvait signifier que rien n’était jamais neuf, il n’y avait pas de majuscule, même au commencement de tout. Tout ne faisait que découler de ce qui précède. «  passé notre Adame. » bien sûr, c’étaient Adam et Eve, mais probablement cela signifiait quelque chose en plus. 
Bababadalgharaghtakamminarronnkonnbronntonnerronntuonnthunntrovarrhounawnskawntoohoohoordenenthurnuk 
J’ai compté les lettres. Il y en avait exactement cent. 
Je pense que cela avait son importance. 
Pourquoi devait-il y avoir cent lettres ? 
J’ai essayé de prononcer le mot à haute voix avec hésitation. On aurait dit un lourd objet de bois dévalant les escaliers, boom boom, marche après marche. 
J’ai feuilleté les pages du livre, je les laissais lentement glisser sans les voir. 
Des mots vaguement familiers, mais complètement déformés comme des visages au Palais des Glaces, sur la surface polie de mon cerveau. 
J’ai louché sur la page. 
Les lettres portaient des barbes et des cornes de bouc. Je les voyais séparées les unes des autres, sautillé bêtement. Puis elles se regroupaient pour constituer des formes invraisemblables comme de l’arabe ou du chinois. 
J’ai décidé de balancer ma thèse, de foutre en l’air tout le programme du diplôme et de devenir simple professeur de lettres. 

Chaque fois que j’avais tiré sur la corde suffisamment pour que je sente pleurer mes yeux et le sang monter à mon visage, mes mains faiblissaient, elles laissaient glisser la corde et je me sentais mieux à nouveau. C’est alors que j’ai compris que mon corps possédait plus d’un tour dans son sac ; du genre rendre mes mains molles au moment crucial, ce qui lui sauvait la vie à chaque fois, alors que si j’avais pu le maîtriser parfaitement, je serais morte en un clin d’œil.

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