mercredi 28 janvier 2015

Karl Marx - Le 18 brumaire de Louis Bonaparte



Karl Marx - Le 18 brumaire de Louis Bonaparte

Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce.

Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu'ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d'ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l'histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté.
Le suffrage universel semble n'avoir survécu un moment que pour écrire de sa propre main son testament à la face du monde et proclamer au nom du peuple lui-même : Tout ce qui existe mérite de périr.

Récapitulons, dans leurs grandes lignes, les phases parcourues par la révolution française du 24 février 1848 au mois de décembre 1851.
On doit distinguer trois périodes principales : 1. la période de Février ; 2. du 4 mai 1848 au 29 mai 1849, la période de la constitution de la République ou de l'Assemblée nationale constituante ; 3. du 29 mai 1849 au 2 décembre 1851, la période de la République constitutionnelle ou de l'Assemblée nationale législative.

Avant de passer rapidement à la conclusion, esquissons un schéma rapide de leur histoire :
I.
Première période, du 24 février au 4 mai 1848. Période de Février. Prologue. Comédie de fraternisation générale.
II.
Deuxième période. Période de la constitution de la République et de l'Assemblée nationale constituante.
  1. Du 4 mai au 25 juin 1848. Lutte de toutes les classes contre le prolétariat. Défaite du prolétariat au cours des journées de Juin;
  2. Du 25 juin au 10 décembre 1848. Dictature des républicains bourgeois purs. Elaboration de la Constitution. Mise en état de siège de Paris. La dictature bourgeoise est écartée, le 10 décembre, par l'élection de Bonaparte à la présidence;
  3. Du 20 décembre 1848 au 29 mai 1849. Lutte de la Constituante contre Bonaparte et le parti de l'ordre, allié à ce dernier. Fin de la Constituante. Chute de la bourgeoisie républicaine.
III.
Troisième période. Période de la République constitutionnelle et de l'Assemblée nationale législative.
  1. Du 29 mai 1849 au 13 juin 1849. Lutte de la petite bourgeoisie contre la grande bourgeoisie et contre Bonaparte. Défaite de la démocratie petite-bourgeoise;
  2. Du 13 juin 1849 au 31 mai 1850. Dictature parlementaire du parti de l'ordre. Le parti complète sa domination par l'abolition du suffrage universel, mais il perd le ministère parlementaire;
  3. Du 31 mai 1850 au 2 décembre 1851. Lutte entre la bourgeoisie parlementaire et Bonaparte:
    1. Du 31 mai 1850 au 12 janvier 1851. Le Parlement perd le commandement suprême de l'armée;
    2. Du 12 janvier au 11 avril 1851. Le Parlement succombe dans ses tentatives de s'emparer à nouveau du pouvoir administratif. Le parti de l'ordre perd sa propre majorité parlementaire. Il s'allie aux républicains et à la Montagne;
    3. Du 11 avril au 9 octobre 1851. Tentatives de révision, de fusion et de prorogation. Le parti de l'ordre se dissout en ses différents éléments. La rupture entre le Parlement bourgeois et la presse bourgeoise, d'une part, et la masse bourgeoise, d'autre part, se confirme;
    4. Du 9 octobre au 2 décembre 1851. Rupture ouverte entre le Parlement et le pouvoir exécutif. Le Parlement exécute son acte de décès et succombe, abandonné par sa propre classe, par l'armée et par toutes les autres classes. Chute du régime parlementaire et de la domination bourgeoise. Victoire complète de Bonaparte. Parodie de restauration impériale.

Mais le jour où le manteau impérial tombera enfin sur les épaules de Louis Bonaparte, la statue d'airain de Napoléon s'écroulera du haut de la colonne Vendôme.

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