dimanche 24 mars 2024

Mémoires - Saint-Simon

Mémoires - Saint-Simon


Écrire l’histoire de son pays et de son temps, c’est repasser dans son esprit avec beaucoup de réflexion tout ce qu’on a vu, manié, ou su d’original, sans reproche, qui s’est passé sur le théâtre du monde, et les diverses machines, souvent les riens apparents, qui ont mû les ressorts des événements qui ont eu le plus de suite et qui en ont enfanté d’autres ; c’est se montrer à soi-même pied à pied le néant du monde, de ses craintes, de ses désirs, de ses espérances, de ses disgrâces, de ses fortunes, de ses travaux ; c’est se convaincre du rien de tout par la courte et rapide durée de toutes ces choses et de la vie des hommes ; c’est se rappeler un vif souvenir que nul des heureux du monde ne l’a été, et que la félicité, ni même la tranquillité, ne peut se trouver ici-bas ; c’est mettre en évidence que, s’il étoit possible que cette multitude de gens de qui on fait une nécessaire mention avoit pu lire dans l’avenir le succès de leurs peines, de leurs sueurs, de leurs soins, de leurs intrigues, tous, à une douzaine près tout au plus, se seroient arrêtés tout court dès l’entrée de leur vie, et auroient abandonné leurs vues et leurs plus chères prétentions ; et que de cette douzaine encore, leur mort, qui termine le bonheur qu’ils s’étoient proposé, n’a fait qu’augmenter leurs regrets par le redoublement de leurs attaches, et rend pour eux comme non avenu tout ce à quoi ils étoient parvenus.

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