jeudi 14 mars 2024

Mémoires – Cardinal de Retz

Mémoires – Cardinal de Retz

La seconde observation que nous fîmes fut que tout ce que nous lisons dans la vie de la plupart des hommes est faux.

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Comme j’étais obligé de prendre les ordres, je fis une retraite dans Saint-Lazarre, où je donnai à l’extérieur toutes les apparences ordinaires. L’occupation de mon intérieur fut une grande et profonde réflexion sur la manière que je devais prendre pour ma conduite.

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Le cardinal Mazarin était d’un caractère tout contraire : sa naissance était basse, son enfance honteuse.

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Je trouvai dans ce moment que le dégoût que j’avais déjà remarqué dans son esprit était changé en colère et même en indignation. Il me dit, en jurant, qu’il n’y avait plus moyen de souffrir l’insolence et l’impertinence de ces bourgeois, qui en voulaient à l’autorité royale ; que tant qu’il avait cru qu’ils n’avoient eu pour but que le Mazarin, il avait été pour eux ; que je lui avais moi-même confessé plus de trente fois qu’il n’y avait aucunes mesures bien sûres à prendre avec des gens qui ne peuvent jamais se répondre d’eux-mêmes d’un quart-d’heure à l’autre, parce qu’ils ne peuvent jamais se répondre un instant de leurs compagnies  ; qu’il ne se pouvait résoudre à devenir le général d’une armée de fous, n’y ayant pas un homme sage qui pût s’engager dans une cohue de cette nature ; qu’il était prince du sang ; qu’il ne voulait pas ébranler l’État, que si le parlement eût pris la conduite dont on était demeuré d’accord, on l’eût redressé ; mais qu’agissant comme il faisait, il prenait le chemin de le renverser. M. le prince ajouta à cela tout ce que vous pouvez vous figurer de réflexions publiques et particulières. Voici en propres paroles ce que je lui répondis :

« Je conviens, monsieur, de toutes les maximes générales ; permettez-moi, s’il vous plaît, de les appliquer au fait particulier. Si le parlement travaille à la ruine de l’État, ce n’est pas qu’il ait intention de le ruiner. Nul n’a plus d’intérêt au maintien de l’autorité royale que les officiers : tout le monde en convient. Il faut donc reconnaître de bonne foi que lorsque les compagnies souveraines font du mal, ce n’est que parce qu’elles ne savent pas bien faire le bien même qu’elles veulent. La capacité d’un ministre qui sait ménager les particuliers et les corps les tient dans l’équilibre où elles doivent être naturellement, et dans lequel elles réussissent, par un mouvement qui balance ce qui est de l’autorité des princes et de l’obéissance des peuples. L’ignorance de celui qui gouverne aujourd’hui ne lui laisse ni assez de vue ni assez de force pour régler les poids de cette horloge. Les ressorts en sont mêlés : ce qui n’était que pour modérer le mouvement veut le faire, et je conviens qu’il le fait mal, parce qu’il n’est pas lui-même fait pour cela : voilà où gît le défaut de notre machine.

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L'un des plus grands défauts des hommes est qu'ils cherchent presque toujours, dans les malheurs qui leur arrivent par leurs fautes, des excuses devant que d'y chercher des remèdes ; ce qui fait qu’ils y trouvent très souvent trop tard les remèdes, qu’ils n’y cherchent pas d’assez bonne heure.

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Je revins à Paris, ayant fait tout ce que j’avais souhaité. J’avais effacé le soupçon que les frondeurs fussent contraires au retour du Roi ; j’avais jeté sur le cardinal toute la haine du délai ; je l’avais bravé dans son trône ; je m’étais assuré l’honneur principal du retour. Il y eut le lendemain un libelle qui mit tous ces avantages dans leur jour.

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Vous comprenez aisément l’émotion de Paris dans le cours de la matinée que je viens de vous décrire. La plupart des artisans avoient leurs mousquets auprès d’eux, en travaillant dans leurs boutiques. Les femmes étaient en prières dans les églises ; mais ce qui est encore vrai, c’est que Paris fut plus touché l’après-dînée de la crainte de retomber dans le péril, qu’il ne l’avait été le matin de s’y voir. La tristesse parut universelle sur les visages de tous ceux qui n’étaient pas tout-à-fait engagés à l’un ou à l’autre des partis. La réflexion, qui n’était plus divertie par le mouvement, trouva sa place dans les esprits de ceux même qui y avoient le plus de part. M. le prince dit au comte de Fiesque, au moins à ce que celui-ci raconta le soir publiquement « Paris a failli aujourd’hui à être brûlé ; quel feu de joie pour le Mazarin ! Et ce sont ses deux plus capitaux ennemis qui ont été sur le point de l’allumer. » Je concevais de mon côté que j’étais sur la pente du plus fâcheux et du plus dangereux précipice où un particulier se fût peut-être jamais trouvé.

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La première réflexion que je fis sur ces paroles fut que la plus grande imperfection des hommes est la complaisance qu’ils trouvent à se persuader que les autres ne sont pas exempts des défauts qu’ils se reconnaissent à eux-mêmes.

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M. le duc d’Orléans prit la parole ensuite. Il dit que le cardinal Mazarin était arrivé le 25 à Sedan ; que les maréchaux d’Hocquincourt et de La Ferté l’allaient joindre avec une armée pour le conduire à la cour ; et qu’il était temps de s’opposer à ses desseins, desquels on ne pouvait plus douter. Je ne puis vous exprimer à quel point alla le soulèvement des esprits : l’on eut peine à attendre que les gens du Roi eussent pris leurs conclusions, qui furent à faire partir incessamment les députés pour aller trouver le Roi, et déclarer dès à présent le cardinal Mazarin et ses adhérents criminels de lèse-majesté ; à enjoindre aux communes de leur courir sus à défendre aux maires et échevins des villes de leur donner passage ; à vendre sa bibliothèque et tous ses meubles. L’arrêt ajouta que l’on prendrait préférablement sur le prix la somme de cent cinquante mille livres pour être donnée à celui qui représenterait le cardinal vif ou mort. À cette parole, tous les ecclésiastiques se levèrent, pour la raison que j’ai marquée dans une pareille occasion.

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Si la révolution vient par la lassitude des peuples, en êtes-vous mieux ? Et cette lassitude, de laquelle l’on se prend toujours à ceux qui ont le plus brillé dans le mouvement, ne peut-elle pas corrompre et tourner contre vous-même la sage inaction dans laquelle vous êtes demeuré depuis quelque temps ? Voilà, ce me semble, ce que vous pouvez prévoir ; mais voilà aussi ce que vous ne pouvez éviter, qu’en en trouvant l’issue avant que la guerre civile se termine par l’un ou l’autre de ces moyens que je viens de vous expliquer.

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