lundi 3 novembre 2025

Entretiens sur la poésie - Hofmannsthal

Entretiens sur la poésie - Hofmannsthal

 Nos sentiments, nos ébauches de sentiments, tous les états les plus secrets et les plus profonds de notre être intime ne sont-ils pas de la plus étrange façon enlacés à un paysage, à une saison, à une propriété de l’air, à un souffle ? 

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Nous ne possédons pas notre moi : c’est du dehors qu’il souffle vers nous, il nous fuit pour longtemps, puis nous revient dans un souffle. Notre moi ? Le mot même est une métaphore. 

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Gabriel. - Mais cette conception de l’existence est merveilleusement propice à la poésie : celle-ci, au lieu d’être confinée dans l’étroite cellule de notre cœur, a pour domaine la nature infinie, inépuisable. Elle peut, comme Ariel, habiter sur les collines empourprées des nuages grandioses et trouver abri dans les cimes frémissantes des arbres ; elle peut se laisser porter par le vent voluptueux de la nuit, se dissoudre en une traînée de brume, devenir l’haleine humide d’une grotte, la lumière scintillante d’une étoile. Et de toutes ses métamorphoses, de toutes ses aventures, de tous les gouffres et de tous les jardins, elle ne rapportera jamais que le souffle tremblant des sentiments humains.

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Clément. -— Cependant la poésie n’est pas seulement le langage. Elle est peut-être un langage supérieur, un langage à la seconde puissance. Elle est pleine d’images et de symboles. Elle met une chose à la place d’une autre.

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Clément. — Alors il -n’y a point d’images ? point de symboles ?

Gabriel. — Au contraire, il n’y a que cela. Mais je crois que je t’ennuie. Parlons d’autre chose. Nous pouvons sortir, si tu veux ?.. Comme tu voudras. Voici encore une belle poésie, extraite du cycle de l’Eté.

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Gabriel

La poésie dont notre âme se nourrit est celle où, comme dans le vent d’été qui glisse le soir sur les prairies fraîchement fauchées, flotte devant nous à la fois un souffle de mort et un souffle de vie, un pressentiment de la floraison, un frisson devant l’aboli, un présent et un au-delà, un au-delà illimité. Toute poésie parfaite est à la fois présent et pressentiment, aspiration et accomplissement. C’est le corps d’un elfe, transparent comme l’air, le messager vigilant qui porte à travers les airs une parole magique : en passant il s’empare du mystère des nuages, des étoiles, des cimes, des vents ; il transmet la formule magique fidèlement, mêlée cependant aux voix mystérieuses des nuages, des étoiles, des cimes et des vents. Et Goethe ? Ses travaux sont aussi divers que ceux d’un dieu voyageur. Il rappelle Hercule dont les aventures ont chacune sa gloire, vivent chacune dans un autre paysage et sont inconnues l’une à l’autre. Les chants de sa jeunesse ne sont qu’un souffle léger.  

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