Canti - Leopardi
LA VIE SOLITAIRE
La matinale pluie (quand, dans l’enclos,
Joyeusement la poule bat des ailes,
Que l'habitant des campagnes se penche
A sa fenêtre, que le soleil paraissant
Darde ses rais tremblants à travers
Les gouttes), la pluie qui frappe, légère,
A ma cabane, me réveille. Lors je me lève,
Et les tendres nuages, et le premier murmure
Des oiseaux, et la fraîcheur des airs,
Et les coteaux riants, je les bénis.
Car je vous vois et vous connais assez,
Murs funestes des cités *, où la haine
Accompagne la douleur, où douloureux
Je vis, et tel bientôt je mourrai!
Pourtant la nature (ô combien plus courtoise
Autrefois) me témoigne en ces lieux
Quelque pitié. Mais toi aussi tu détournes
Tes yeux des malheureux, ô nature,
Méprisant les disgrâces, les peines,
Tu ne sers que le bonheur, ce souverain.
Dans le ciel, sur la terre, il n’est au malheureux
D'autre ami, d'autre refuge, que le fer.
(...)
PENSEE DOMINANTE
je me moque des opinions, et la foule,
Ennemie des beaux pensers,
CHOEUR DE MORTS
Seule éternelle au monde, vers quoi tourne Toute chose créée,
O Mort, en toi repose Notre nature nue ;
Heureuse non, mais à l’abri *
De l’antique douleur. Une profonde nuit
Parmi l’âme troublée
Obscurcit notre lourde pensée.
Pour l’espérance et le désir, l’esprit désert
Sent lui manquer le souffle :
Délié des tourments, des terreurs,
Ainsi consume-t-il sans dégoût
Les âges lents et vides.
Nous vécûmes : ainsi que d’un fantasme effrayant,
D’un rêve plein de sueurs,
Erre dans l’âme du petit enfant
La vague souvenance,
Ainsi demeure en nous la mémoire
De l’existence ; mais de la peur, le souvenir
Est loin. Que fûmes-nous ?
Que fut cet acerbe moment
Qui prit le nom de vie ?
A présent pour nos esprits
La vie est un mystère, une stupeur, telle
Qu’à la pensée des vivants
Paraît la mort inconnue. Comme vivante
Elle fuyait la mort, ainsi fuit
La flamme vitale *
Notre nature nue ;
Heureuse non, mais à l’abri ;
Car le bonheur, le sort
Le refuse aux mortels et le refuse aux morts.
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