mercredi 12 novembre 2025

Lettres à un jeune poète et lettres de Kappus - Rilke

Lettres à un jeune poète et lettres de Kappus - Rilke

2. Rainer Maria Rilke à Franz Xaver Kappus

Les choses ne sont pas toutes aussi saisissables et dicibles que l’on voudrait bien souvent nous le faire croire ; la plupart des événements sont indicibles, ils s’accomplissent dans un espace qu’aucun mot n’a jamais pénétré, et plus indicibles que tout sont les œuvres d’art, ces existences mystérieuses dont la vie, près de la nôtre qui passe, perdure.

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N’écrivez pas de poèmes d’amour ; évitez d’emblée les formes trop courantes et communes : ce sont les plus difficiles, car il faut une pleine maturité de force pour donner ce qui nous est propre, là où la tradition s’est mille fois illustrée, souvent avec éclat. C’est pourquoi, fuyez les grands motifs pour ceux que votre quotidien vous offre ; décrivez vos tristesses et vos désirs, les pensées qui vous traversent, votre croyance en quelque espèce de beauté – décrivez tout cela avec une sincérité fervente, tranquille et humble et, pour vous exprimer, utilisez les choses de votre entourage, les images de vos rêves et les objets de vos souvenirs.

 

17. Rainer Maria Rilke à Franz Xaver Kappus

Je crois que presque toutes nos tristesses sont des moments de tension que nous ressentons comme une paralysie parce que nos sentiments, saisis d’étrangeté, se sont tus.

18. Franz Xaver Kappus à Rainer Maria Rilke

Toute pensée, tout sentiment se heurte à sa limite et ne peut qu’abdiquer face aux ravages du doute et du scepticisme. Oh, vous n’imaginez pas, très honoré Monsieur Rilke, combien ce scepticisme me fait durement souffrir. Il s’attaque à tout, oh, à tout. Presque rien n’y résiste. Je dois le regarder renverser de son piédestal le meilleur et le plus intime de moi-même et laisser la place vide ; je dois le regarder, tapi en embuscade, tendre une main sacrilège vers une nouvelle victime de sa fureur. Qu’une chose me paraisse belle, qu’il me vienne des moments d’admiration sans partage, il est déjà tout près de moi et me murmure à l’oreille : « Mais que c’est laid, ce que tu adores là. Tu es frappé d’aveuglement. Rien n’est beau, rien. Les hommes, ces imbéciles, ont inventé ça : que tout ce qu’ils trouvent beau doit être beau, que tout ce qui leur paraît mièvre doit être mièvre. Au fond tout est pareil, absolument pareil. »

Ainsi en va-t-il de moi peu à peu, tôt ou tard, avec tout. N’est-ce pas à désespérer ?

 

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