Anatole - Schnitzler
ANATOLE
Ainsi moi, qui pourrais transporter cent jeunes filles dans cent mondes différents, comment pourrais-je m’y envoyer moi-mème ?
MAX
Est-ce absolument impossible ?
ANATOLE
Adiré vrai, j’ai déjà essayé. Un jour que je souffrais d’aimer, j’ai fixé longuement les yeux sur un point brillant et je me suis commandé :
Anatole, endors-toi ! et quand tu te réveilleras, la pensée de cette femme qui te trouble s’effacera.
MAX
Eh bien, quand tu t’es réveillé?
ANATOLE
Je ne me suis même pas endormi.
MAX
Alors? tu es toujours amoureux?
ANATOLE
Oui, mon ami... toujours! Je suis même très malheureux.
MAX
Alors... encore des doutes?
ANATOLE
Non... pas des doutes. Je sais qu’elle me trompe. Quand je la tiens dans mes bras, je me dis tout bas : elle me trompe.
MAX
Elle ne te trompe pas.
ANATOLE
Si.
MAX
La preuve ?
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ANATOLE
Je m’en doutais bien : pour toi, maintenant, l’aventure a perdu tout son charme. Tu n’as pas encore découvert le vrai secret de l’amour.
MAX
Et quel est pour toi le mot de cette énigme qu’est la femme?
ANATOLE
L’ambiance.
MAX
Ah!... il te faut la demi-obscurité, ta suspension rouge et verte, ton piano ?
ANATOLE
Eh oui, c’est cela. Et cela fait pour moi la vie si multiple et si changeante qu’une nuance suffit à me transformer le monde. Pour toi, pour mille autres, cette femme aux cheveux étincelants, cette suspension que tu blagues, que seraient-elles ? une écuyère de cirque et un verre rouge et vert, avec une lumière derrière. Alors, évidemment le charme est rompu ; alors sans doute on vit, mais on ne vivra jamais une belle heure. Vous vous jetez lourdement dans une aventure, brutalement, les yeux grands ouverts, mais le cœur fermé, et l’aventure reste pour vous incolore. Mais de mon âme à moi, jaillissent et se répandent mille lumières et mille couleurs, et je peux sentir, là où vous ne faites que... jouir.
MAX
C’est une véritable source magique que ton « ambiance ». Toutes les femmes que tu aimes y plongent et t’en rapportent un merveilleux parfum d’aventures et d’étrangeté, dont tu t’enivres.
ANATOLE
Si tu veux...
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