lundi 28 septembre 2015

Poèmes - Pouchkine

Poèmes - Alexandre Pouchkine




VERS D’ALBUM POUR SOSNITSKAÏA

Ô vous qui unissez au plus glacé des cœurs le charme de vos yeux qui brûlent, il faut être un peu fou pour vous aimer, vraiment, et bien plus fou pour ne point vous aimer.


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L'AMITIÉ

L’amitié ? — ferveur de fêtards,
libres entretins anodins
d’esprits oisifs et vaniteux
et, parfois, parrainage infamant.

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LES TROIS SOURCES

Dans la steppe infinie et morne de ce monde
mystérieusement trois sources ont jailli ;
la source de jouvence, vive, impétueuse,
s’épanche à gros bouillons, miroitante, chantante.
Celle de Castalie offre une onde inspirée
à la soif des bannis dans le désert du monde.
La dernière, glacée, est celle de l’oubli,
plus suave qu’une autre aux brûlures du cœur.

18-VI-1827

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Je vous aimais : il se peut que l’amour
ne soit pas pleinement consumé dans mon âme ;
qu’à tout le moins il ne vous pèse en rien ;
je n’entends pas vous causer de chagrin.
Je vous aimais d’un amour sans espoir,
trop timide parfois et parfois trop jaloux,
mais sincère, mais tendre, et Dieu fasse qu’un autre
vous aime de pareil amour.

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Que j’erre dans les rues bruyantes
ou visite une église pleine
ou m’égaie avec des fêtards,
je suis tout à mes rêveries.

Je pense au cours furieux des ans
et que tous, autant que nous sommes,
nous descendrons sous la voûte éternelle
et pour certains déjà l’heure a sonné.

Si je vois un chêne isolé,
je songe que ce patriarche
vivra quand je serai oubli,
comme il a vu mourir nos pères.

Caressant un petit enfant,
je lui adresse mes adieux.
Il convient de laisser ma place :
je pourrirai, tu fleuriras.

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J’ai pris le pli de méditer
le moindre jour, la moindre année,
en m’efforçant de deviner
la date de la mort prochaine.           

Où le destin me prendra-t-il :
au combat, en voyage, en mer ?
A moins que le vallon voisin
ne recueille ma cendre froide ?

S’il n’importe au corps insensible
en quel lieu sa chair se défait,
j’aimerais, moi, que le repos
m’attendît près d’un lieu aimé

où la vie, toujours jeune, rie
aux portes de ma sépulture,
où la nature indifférente
resplendisse éternellement.

1829
 
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AU POÈTE

Poète, n’attends rien des faveurs du vulgaire.
L’extase et l’ovation bruyante n’ont qu’un temps :
qu’un sot juge ton œuvre ou que le peuple en rie,
toi, demeure serein, taciturne et constant.

Tu es roi : vis donc seul. Par de libres chemins
va seul où te conduit librement ton esprit,
prenant soin de polir le fruit de tes pensées,
sans fixer de salaire à la belle prouesse.

Ton salaire est en toi. Tu es juge suprême,
 plus sévère qu’un autre à censurer ton œuvre.
En es-tu satisfait, scrupuleux artisan ?

Satisfait ? — Laisse alors la plèbe t’insulter
 et cracher sur l’autel où crépite ta flamme
ou, par enfantillage, ébranler ton trépied.

7-VII-1830

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Mon nom pour toi, mais qu’est-il donc ?
Il va mourir, comme l’écho plaintif
d’une vague brisant sur la rive lointaine
ou comme un bruit nocturne au fond d’une forêt.

Sur un feuillet d’agenda griffonnée,
sa trace restera muette,
tels les signes, sur une tombe,
d’une langue indéchiffrée.

Qu’est-il pour toi ? Désormais oublié
sous tant et tant de passions nouvelles,
il ne peut plus te livrer en pâture
de souvenirs purs ou attendrissants.

Mais vienne un jour de peine, alors, dans le silence,
répète-le, mélancolique,
et dis : mon souvenir n’a pas péri,
il est au monde un cœur où je survis.

5-1-1830

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