dimanche 13 septembre 2015

Histoire et conscience de classe - Georg Lukacs



 Histoire et conscience de classe - Georg Lukacs

PRÉFACE
DE LA PRÉSENTE ÉDITION Kostas AXELOS.

En 1911, il publie, en allemand et en signant Georg von L.ukàcs, L'âme et les formes ; cette collection d'essais - où figure aussi le très important essai sur La métaphysique de la tragédie -attira l'attention de Thomas Mann. Dans la Montagne Magique celui-ci fit figurer Lukàcs sous le nom de Naphta et Lukàcs consacra plus tard un livre à Thomas Mann (1949). En 1916 Georg Lukàcs publie, toujours en allemand, La Théorie du roman.

Le souci majeur de Lukàcs, c'est la réification, dans le monde bourgeois et capitaliste; c'est-à-dire ce qui transforme les êtres et les choses en res, ontologiquement, humainement et pratiquement vides de toute essence, de tout sens vivifiant. La réification métamorphose tout ce qui est et se produit en marchandise, fait sombrer tout dans une pseudo-objectivité rationaliste ou dans une pseudo-subjectivité idéaliste. Le monde, produit de l'activité humaine, totalité engendrée par la production humaine, et tous les phénomènes auxquels nous avons à faire, deviennent hostiles, étrangers. Ce que Hegel avait saisi comme devenir de l'aliénation et que Marx a analysé tantôt comme phénomène de l'aliénation, tantôt comme fétichisme de la marchandise, devient chez Lukàcs la réification. Le monde bourgeois et capitaliste pousse la réification à son paroxysme; la classe prolétarienne peut et doit y mettre fin, définitivement; et l'instrument puissant de la suppression de la réification, c'est le Parti. Ainsi, pense Lukàcs, dans Histoire et conscience de classe du moins.

L'impureté de la langue frappe constamment le lecteur attentif et a fortiori le traducteur. Sans aucun doute, l'auteur se veut dialecticien et dialecticien très dialectique. La dialectique - à supposer que quelqu'un sache ce qu'elle est - nous renvoie toutefois au logos qui, en tant que pensée -et - langage, ne cesse de poser ses questions à la praxis. Le logos est dialogue, dialogue entre la pensée « et » les choses, « dialogue » entre les êtres parlants ; et toute réponse renvoie à la question. Traduire, c'est poursuivre un dialogue. Le langage de Lukàcs se veut si dialectique qu'il n'évite ni pléonasmes, ni imprécisions ; son élan ne s'arrête pas devant, pendant et après les longues phrases et périphrases, parfois trop longues pour ce qu'elles peuvent vouloir dire. Les interférences interférentes ne l'effrayent guère. La logique grammaticale et syntaxique est souvent malmenée. Si le langage actuel est, lui aussi, réifié, et s'il faut dépasser cette réification ontologique, il est nécessaire pour cela de commencer à parler et à penser autrement, d'ouvrir d'autres possibilités à la parole.

------------ 

HISTOIRE ET CONSCIENCE DE CLASSE - GEORG LUKACS


AVANT-PROPOS

Car il s'agit - et c'est la conviction fondamentale de ces pages - de comprendre correctement l'essence de la méthode de Marx et de l'appliquer correctement, et nullement de la« corriger » en quelque sens que ce soit.

L'avertissement de Marx de ne pas traiter Hegel comme un « chien crevé » est resté lettre morte, même pour beaucoup de bons marxistes.

QU'EST-CE QUE
LE MARXISME ORTHODOXE ?

L'orthodoxie en matière de marxisme se réfère bien au contraire et exclusivement à la méthode. Elle implique la conviction scientifique qu'avec le marxisme dialectique a été trouvée la méthode de recherche juste, que cette méthode ne peut être développée, perfectionnée et approfondie que dans le sens de ses fondateurs ; mais que toutes les tentatives pour la dépasser ou l' « améliorer » n'ont conduit qu'à la trivialiser, en faire un éclectisme - et devaient nécessairement conduire à cela.

I
La dialectique matérialiste est une dialectique révolutionnaire.

II s'agit ici du problème de la théorie et de la praxis et pas seulement dans le sens où Marx l'entendait dans sa première critique hegelienne, lorsqu'il disait que « la théorie devient force matérielle dès qu'elle saisit les masses » .

Marx a, dans le même écrit, clairement exprimé les conditions de possibilité d'un tel rapport entre la théorie et la praxis : « Il ne suffit pas que la pensée tende vers la réalité, la réalité elle-même doit tendre vers la pensée » 2; et dans un écrit antérieur : « Il apparaîtra alors que depuis longtemps le monde possède le rêve d'une chose dont il faut seulement posséder la conscience pour la posséder réellement ».

II
Le caractère spécieux d'une telle méthode, réside en ceci que le développement même du capitalisme tend à produire une structure de la société qui va au devant de tels procédés de pensée ; mais nous avons, justement ici et à cause de cela, besoin de la méthode dialectique, pour ne pas succomber à l'illusion sociale ainsi produite, pour pouvoir, derrière cette illusion, entrevoir l'essence.

LA RÉIFICATION
ET LA CONSCIENCE
DU PROLÉTARIAT

LE PHÉNOMÈNE DE LA RÉIFICATION

1

L'essence de la structure marchande a déjà été souvent soulignée ; elle repose sur le fait qu'un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d'une chose et, de cette façon, d'une « objectivité illusoire » qui, par son système de lois propre, rigoureux, entièrement clos et rationnel en apparence, dissimule toute trace de son essence fondamentale - la relation entre hommes. Combien cette problématique est devenue centrale pour la théorie économique elle-même, quelles conséquences l'abandon de ce point de départ méthodologique a entraînées pour les conceptions économiques du marxisme vulgaire, c'est ce qui ne sera pas étudié ici. L'attention sera seulement attirée - en présupposant les analyses économiques de Marx - sur les problèmes fondamentaux qui résultent du caractère fétichiste de la marchandise comme forme d'objectivité, d'une part, et du comportement du sujet qui lui est coordonné, d'autre part, problèmes dont seule la compréhension nous permet une vue claire des problèmes idéologiques du capitalisme et de son déclin.

Mais il S'agit ici de savoir dans quelle mesure le trafic marchand et ses conséquences structurelles sont capables d'influencer toute la vie, extérieure comme intérieure, de la société.

Dans toute son organisation, la production elle-même a pour but la valeur d'usage et non pas la valeur d'échange ; et ce n'est que parce qu'elle dépasse la quantité nécessaire à la consommation que les valeurs d'usage cessent ici d'être des valeurs d'usage pour devenir des moyens d'échange, des marchandises. D'autre part, elles ne deviennent marchandises que dans le cadre de la valeur d'usage immédiate, bien que polarisées de telle façon que les marchandises à échanger doivent être des, valeurs d'usage pour les deux possesseurs, et chacune valeur d'usage pour celui qui ne la possède pas.

Avec la décomposition moderne « psychologique » du processus du travail (système de Taylor), cette mécanisation rationnelle pénètre jusqu'à l' « âme » du travailleur : même ses propriétés psychologiques sont séparées de l'ensemble de sa personnalité et sont objectivées par rapport à celle-ci, pour pouvoir être intégrées à des systèmes spéciaux rationnels et ramenées au concept calculateur.

L'homme n'apparaît, ni objectivement ni dans son comportement à L'égard du processus du travail, comme le véritable porteur de ce processus, il est incorporé comme partie mécanisée dans un système mécanique qu'il trouve devant lui, achevé et fonctionnant dans une totale indépendance par rapport à lui, aux lois duquel il doit se soumettre.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire