lundi 28 septembre 2015

Instants propices, 1855 - Patrik Ourednik

Instants propices, 1855 - Patrik Ourednik 




Dans les œuvres des philosophes comme dans celles des savants, on trouve toujours le même désir de démunir le lecteur de son libre arbitre au nom de telle ou telle idole, de le déposséder de sa liberté propre au nom d’une liberté plus souveraine. Non, madame, quoique je concède avoir trouvé dans les livres des pensées, des inspirations, des embryons de mes opinions futures, je n’y ai jamais trouvé le mode d’emploi du bonheur. La science et la philosophie ne peuvent conduire à la liberté. La liberté est fruit de la passion, non de la raison ; la passion est don de la nature, non de la civilisation. La liberté naît de notre innocence, que la science nous a prise.

L’instruction a-t-elle jamais rendu l’homme plus humain ? Meilleur, plus réceptif, plus perspicace ? La pire ignorance ne consiste-t-elle pas en lambeaux de savoirs dénués de signification, passés au crible de telle ou telle institution, Église, Etat, révolution, monarchie, timocratie, démocratie ? L’instruction obligatoire est le plus sûr moyen d’accroître les rangs des imbéciles. N’obligez personne à aller à l’école ; il y viendra seul ou il s’en passera. Ne donnez pas de droits obligatoires aux gens. Ne leur donnez ni droits ni devoirs. Donnez-leur la liberté.

La classe ouvrière n’est qu’une nouvelle idole, le prolétariat un fruit rabougri issu de la haine, de la vindicte et du manque d’imagination, une spore de pensée bourgeoise dont elle cherche prétendument à se dégager. Son programme ? La dictature des uns au détriment des autres. Les communistes ne font que poursuivre la tâche des puritains. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous, ouvriers contre bourgeois, avant-garde contre arrière- garde, croyants contre impies, robustes contre malingres, obéissants contre récalcitrants. Aux côtés des nationalistes et des puritains, les communistes sont les ennemis les plus acharnés du genre humain et la plus grande menace du siècle nouveau ; je remercie la nature de n’avoir pas à y séjourner longuement. Croyez-en mes paroles : tôt ou tard les uns et les autres se mettront à s’entretuer, car Us ont le même but, détruire l’homme au nom de l'organisation de l’humanité, au nom d’un nouvel arrangement, d’un ordre final. Babeuf ! Blanqui ! Autrefois la haine de l’homme était l'expression d’une haine de l’humanité. Aujourd’hui nous sommes plus progressistes : une haine nouvelle a vu le jour, une haine par amour de l’humanité. Le bonheur n’est plus un droit, mais un devoir - c’est ce que nous enseignent les communistes. Tu ne veux pas être heureux avec nous ? Meurs ! Dieu, le peuple, l’humanité - tous les êtres inférieurs ont le désir de servir ; tout, sauf la liberté. L’homme libre est impénétrable ; il pourrait refuser nos services. Tu ne veux pas de mes services ? Meurs !
Je sais que même parmi les anarchistes, beaucoup conçoivent aujourd’hui la haine comme une expression plus vivante, plus juste et plus grandiose d’amour de la vie, jugent que l’amour de la liberté ne va pas sans la haine de ceux qui la confisquent. Je n’ai jamais partagé ce point de vue : la liberté de la société passe par la liberté de l’individu ; je ne crois pas que l’on puisse obtenir la liberté au prix de crimes, fut-ce pour éliminer les tyrans.

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