lundi 28 septembre 2015

Mes bibliothèques - Varlam Chalamov

 Mes bibliothèques - Varlam Chalamov



Pendant bien des années, j'ai essayé d'apprendre à travailler en bibliothèque, et je n'ai jamais réussi. Se plonger profondément dans un livre au point de tout oublier, ce n'est pas difficile. Mais ce n'est possible qu'avec des romans ou des nouvelles, pas lorsque l'ouvrage consulté doit faire l'objet d'une étude, d'une analyse, d'une réflexion. L'atmosphère des bibliothèques publiques nuit à la concentration très particulière qui est alors nécessaire. La Bibliothèque Lénine à Moscou, avec sa salle d'études, ne fait pas exception à la règle. Le mieux, le plus profitable, c'est de lire chez soi, sans personne autour, seul à seul avec son livre. Lire en présence d’autrui m’a toujours été désagréable, j'ai presque bonté, c’est encore plus gênant que d’écrire une lettre intime à la poste, on voudrait se mettre a l'abri, on a peur de se laisser aller... Et si quelqu'un lisait ce que l'on a écrit?
N'est-ce pas troublant? Comme si la lecture était un vice secret. D'ailleurs dans quelle famille de notre ville n’était- ce pas considéré comme un vice secret?

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Maïakovski considérait les bibliothécaires comme les agents actifs de l'inculture et de l'ignorance. Selon lui, ce sont des gens qui ne Usent pas, qui n'aiment pas les livres ni la poésie.

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Stéphan Zweig dit que les livres sont «un monde disparate et dangereux». Nul ne contestera la justesse de cette définition. J'ajouterai que les livres, c'est aussi un monde qui ne nous trahit jamais. Notre âge nous dicte nos goûts, il limite et focalise notre perception. Selon les différentes époques de notre vie, nous cherchons et nous trouvons des choses différentes dans le même roman. Je sais très précisément ce que je cherchais dans Mont-Oriol de Maupassant à dix ans, à quinze, à vingt, à quarante et à cinquante ans.
Nous devenons adultes en prenant conscience de l'incomparable grandeur de Pouchkine. Ce n'est qu'à la maturité que nous distinguons la véritable et modeste place qu'occupent Zola et Balzac. Il arrive que nous nous trompions sur des livres. Nous lisons des milliers de pages imprimées qui ne méritent pas tout ce temps perdu.
Les livres sont des êtres vivants. Ils peuvent nous décevoir, nous distraire. Il y a dans la vie de tout homme cultivé un livre qui a joué un grand rôle dans son destin. Bien souvent, ce n'est pas du tout l’œuvre d'un génie, ce n'est qu'un livre ordinaire d'un auteur moyen. Pour deux générations de Russes, ce fut Le Taon de Voynich. Pour moi, le livre qui marqua mon destin fut le roman de Ropchine Ce qui n'arriva jamais, que j'ai lu en 1918. Aujourd'hui encore, j'en sais par cœur bien des passages.

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