Le monde selon Garp – John Irving
Dans ce monde à l'esprit pourri, pensait-elle, une femme ne saurait être que l'épouse ou la putain d'un homme - du moins ne tarde-t-elle pas à devenir l'une ou l'autre. Si une femme ne correspond à aucune des deux catégories, tout le monde s'efforce alors de lui faire croire qu'elle n'est pas tout à fait normale.
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Pour Garp, rien ne constituait une distraction. Dès le début, il donna l’impression de croire qu’une tâche ardue l’attendait. (« Les écrivains ne lisent pas pour leur plaisir », écrivit Garp par la suite, en parlant de lui-même.) À croire qu’avant même de savoir qu’il serait écrivain, ou de savoir ce qu’il voulait être, il ne faisait rien « pour s’amuser ».
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Jenny avait brusquement accéléré son rythme de travail ; elle avait enfin trouvé la première phrase qui bouillonnait en elle depuis la nuit ou elle avait débattu de la concupiscence avec Garp et Charlotte, une vielle phrase, en fait, surgie de sa vie d’antan, et ce fut par cette phrase qu’elle commença pour de bon le livre qui devait la rendre célèbre.
“Dans ce monde à l’esprit sordide, écrivit Jenny,une femme est toujours soit l’épouse soit la putain d’un homme - ou en passe de devenir l’une ou l’autre, et vite.” La phrase donnait un ton au livre, ce qui alors lui avait fait défaut ; Jenny découvrit que, lorsqu’elle eut achevé cette phrase, une sorte d’aura parut soudain illuminer son autobiographie, soudant du même coup les fragments disparates de sa vie - à la façon dont le brouillard enveloppe un paysage tourmenté, ou dont la chaleur envahit peu à peu toutes les pièce d’une grande maison. Cette phrase en inspira d’autres de même facture, et Jenny les tissa comme elle aurait pu tisser une trame lumineuse et éclatante dans une tapisserie informe et dépourvue de thème apparent. “Je voulais travailler et je voulais vivre seule, écrivit-elle. Cela me rendit, sexuellement parlant, suspecte.”
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Cette lettre cingla Garp comme une gifle ; rarement il avait eu le sentiment d'être à ce point incompris. Pourquoi les gens s'obstinaient ils à prétendre qu'on ne pouvait être à la fois « comique » et « sérieux » ? Il semblait à Garp que la plupart des gens confondaient solennité et modération, sérieux et gravité. A croire qu'il suffisait d'avoir l'air sérieux pour l’être. Vraisemblablement, les autres animaux de la création ne pouvaient se moquer d'eux mêmes ; et Garp croyait que le rire était inséparable de la compassion, dont le besoin se faisait de plus en plus sentir. Il avait eu, après tout, une enfance dépourvue d'humour – et aussi de la moindre piété –, ce qui expliquait peut être que, maintenant, il prenait la comédie plus au sérieux que beaucoup d’autres.
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