Tao-tö king – Lao Tseu
II
Tout le monde sait que la beauté est belle.
Voilà ce qui fait sa laideur.
Tout le monde sait que le bien est bien.
Voilà ce qui fait son imperfection.
L’être et le néant s’engendrent l’un l’autre.
Le facile et le difficile se parfont.
Le long et le court se forment l’un par l’autre,
Le haut et le bas se touchent.
La voix et le son s’harmonisent.
L’avant et l’après se suivent.
C’est pourquoi le saint adopte
la tactique de non-agir
et pratique l’enseignement sans parole.
Tous les êtres du monde surgissent
sans qu’il en soit l’auteur.
Il produit sans s’approprier.
Il agit sans rien attendre.
Son œuvre accomplie, il ne s’y attache pas.
Puisqu’il ne s’y attache pas,
son œuvre ne passera pas.
XIX
Renonce à la sagesse, répudie la connaissance,
le peuple en tirera un centuple profit.
Renonce à l’humanité, répudie la justice,
le peuple reviendra à la piété filiale
et à l’amour paternel.
Renonce à la technique et son profit,
les voleurs et les bandits disparaîtront.
Si ces trois préceptes ne suffisent pas,
ordonne ce qui suit :
discerne le simple et étreins le naturel,
réduis ton égoïsme et refrène tes désirs.
XX
Quiconque renonce à l'étude
n’aura plus de soucis.
Quelle est la différence
entre le oui et le non?
Quelle est la différence
entre la beauté et la laideur?
On ne peut pas ne pas redouter
ce que les autres redoutent,
car toute étude est immense
et sans fin.
Tout le monde s’exalte comme s’il festoyait
au cours d’un grand sacrifice
ou comme s’il montait sur les terrasses
du printemps.
Moi seul je reste calmement
sans faire aucun signe
comme un nouveau-né
qui ne sait pas encore sourire.
Pareil à quelque chose qui se suspend dans l'air
je suis comme quelqu’un qui n’a pas
d’endroit où se fixer.
Tout le monde a son superflu,
moi seul je parais démuni.
Mon esprit est celui d’un ignorant
parce qu’il est très lent.
Tout le monde est clairvoyant,
moi seul suis dans l’obscurité.
Tout le monde a l’esprit perspicace,
moi seul ai l’esprit confus.
Qui flotte comme la mer,
souffle sans arrêt comme le vent.
Tout le monde a son but précis,
moi seul ai l’esprit obtus
comme un paysan.
Moi seul je diffère des autres hommes
parce que je tiens pour précieux de
« téter la Mère ».
XXIX
Qui cherche à façonner le monde,
je vois, n'y réussira pas.
Le monde, vase sacré, ne peut être façonné.
Qui le façonne le détruira.
Qui le retient le perdra.
Tantôt les êtres vont de l'avant,
tantôt ils suivent,
tantôt ils soufflent légèrement,
tantôt ils soufflent fort,
tantôt ils sont vigoureux,
tantôt ils sont débiles,
tantôt ils prennent assise,
tantôt ils tombent.
C’est pourquoi le saint évite tout excès,
tout luxe et toute licence.
LIV
Ce qui est bien planté ne peut être arraché,
ce qui est bien étreint ne peut se dégager.
C’est ainsi que les fils et les petits-fils
ne cesseront jamais de faire leurs offrandes
et leurs sacrifices.
Cultivée en soi-même
sa vertu sera authentique ;
cultivée dans sa famille,
elle s’enrichira;
cultivée dans son pays,
elle grandira; cultivée dans l’État,
elle sera florissante;
cultivée dans le monde,
elle deviendra universelle.
Ainsi on observe l’autre personne
d’après sa propre personne;
les familles d’après sa famille;
les pays d’après son pays;
les États d’après son État; l
e monde d’après ce monde.
Comment sais-je que le monde va ainsi?
Par tout ce qui vient d’être dit.
LVI
Celui qui sait ne parle pas,
celui qui parle ne sait pas.
Bloque toute ouverture,
ferme toute porte,
émousse tout tranchant,
dénoue tout écheveau,
fusionne toutes les lumières,
unifie toutes les poussières,
c’est là l’identité obscure.
Tu ne peux approcher du Tao
non plus que t’en éloigner;
lui porter bénéfice
non plus que préjudice;
lui conférer honneur
non plus que déshonneur.
C’est pourquoi il est en si haute estime
dans le monde.
LXIV
Ce qui est en repos est facile à maintenir.
Ce qui n’est point éclos est facile à prévenir.
Ce qui est fragile et facile à briser.
Ce qui est menu est facile à disperser.
Préviens le mal avant qu’il ne soit.
Mets de l’ordre avant que n’éclate le désordre.
Cet arbre qui remplit tes bras
est né d’un germe infime.
Cette tour avec ses neuf étages vient
de l’entassement des mottes de terre.
Le voyage de mille lieues
commence par un pas.
Qui agit échoue.
Qui retient perd.
Le saint n’agit pas et n’échoue pas ;
il ne retient rien et ne perd donc rien.
Souvent un homme qui entreprend une affaire
échoue juste au moment de réussir.
Quiconque demeure aussi prudent au terme
qu’au début n’échouera pas dans son entreprise.
Ainsi le saint désire le non-désir.
Il n’apprécie pas les biens difficiles
à acquérir.
Il apprend à désapprendre.
Il se détourne des excès communs
à tous les hommes.
Il facilite la spontanéité
de tous les êtres,
sans oser agir sur eux.
LXVII
Tout le monde dit que ma doctrine
est grande et ne ressemble à aucune autre.
C’est parce qu’elle est grande
qu’elle ne ressemble à aucune autre,
car si elle s’était mise à ressembler
à quelque autre,
il y a longtemps qu’elle serait mince.
J’ai trois trésors que je détiens
et auxquels je m’attache :
le premier est amour,
le deuxième est économie,
le troisième est humilité.
Aimant, je puis être courageux,
économe, je puis être généreux,
n’osant pas être le premier dans le monde,
je puis devenir le chef des grands dignitaires.
Quiconque est courageux sans amour,
généreux sans économie
et chef sans humilité, celui-là est voué à la mort.
Qui se bat par amour triomphe,
qui se défend par amour tient ferme,
le ciel le secourt et le protège avec amour.
LXXXI
Les paroles vraies ne sont pas agréables ;
les paroles agréables ne sont pas vraies.
Un homme de bien ne discute pas,
l'homme qui discute n’agit pas pour le bien.
Celui qui sait n’est pas un érudit.
Un érudit n’est pas celui qui sait.
Le saint ne réserve rien :
en agissant pour autrui, il possède davantage ;
en donnant à autrui, il multiplie
davantage encore sa richesse.
La voie du ciel consiste à avantager sans nuire.
La voie du saint consiste à agir sans rien disputer
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