Semences – Novalis
(Ed. Allia)
Etudes sur Hemsterhuis
22. Dès qu’il commence à penser, l’homme attribue chaque affection à une autre affection.
/ Chaque pensée est du point de vue de son fondement - un philosophème. Car cela signifie contempler une pensée en grand, en sa relation avec le Tout, dont elle est une partie./
Ainsi il transmet le concept de cause, qu’il lui faut ajouter à chaque effet, à seule fin d’expliquer un être qui lui est extérieur - sans compter que d’un autre point de vue il est convaincu d’être le seul à s’affecter lui-même - cette conviction, en dépit de son évidence, reste toutefois incompréhensible d’un point de vue supérieur et inférieur, c’est-à-dire pour l’entendement simple - c’est pourquoi le philosophe se voit ici, en toute lucidité, juger de façon limitée. Du point de vue du simple jugement, il y a donc un Non-Moi. Ce qui incite mystérieusement la faculté de juger à expliquer ce qu’il y a d’éternellement inexplicable sur cette voie s’en tient là, malgré l’explication du philosophe, et doit même pour la stabilité de l’intelligence demeurer ainsi de toute éternité.
A cause de cela, l’homme se sent passif à l’échelle du simple jugement.
Nous ne nous comprendrons nous-mêmes par conséquent jamais totalement - mais nous ferons et pourrons faire bien plus que de nous comprendre.
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L’organe du toucher a trois sortes de sensations.
1) Impénétrabilité.
2) Chaleur.
3) Contact agréable.
L’organe de l’ouïe de la même manière - trois :
1) La mesure.
2) Le son.
3) L’harmonie.
L’organe de la vue aussi :
1) Contour - limite.
2) Couleur.
3) Beauté.
L’organe moral pareillement :
1) Motif de désir ou de mouvement.
2) Devoir.
3) Vertu.
Les quatre derniers genres de ces 4 organes ont une parenté particulière, de même leurs sensations contraires.
Un page de fragments
54. L’acte authentiquement philosophique est de se donner la mort ; tel est le commencement réel de toute philosophie, tous les besoins du jeune philosophe tendent vers ce point, et cet acte seul correspond aux conditions et aux caractéristiques de l'action transcendantale.
Développement plus poussé de cette idée suprêmement intéressante.
Pollen
6. Nous ne pourrons jamais totalement nous comprendra mais nous ferons et pourrons faire bien plus que de nous comprendre.
14. La vie est le commencement de la mort. La vie est à cause de la mort. La mort est à la fois fin et commencement, séparation et rapport intime à soi. La réduction s’accomplit par la mort.
28. La plus importante tâche de la culture est de maîtriser son soi transcendantal, d’être en même temps le moi de son moi. D’autant moins surprenant est le manque complet de sens et d’intelligence pour l’autre. Sans une parfaite compréhension de soi-même, on n’apprendra jamais à comprendre véritablement les autres.
29. L’humour est une manière adoptée arbitrairement. L’arbitraire est ce qu’il y a de piquant en la matière : l’humour est le résultat d’un libre mélange entre le conditionné et l’inconditionné. Par l’humour, ce qui est proprement conditionné devient en général intéressant et reçoit une valeur objective.
77- Notre vie quotidienne est composée de besognes continues et répétitives. Ce cycle d’habitudes n’est qu’un moyen en vue d’un moyen supérieur, en vue de notre existence terrestre en général, qui est un mélange d’espèces variées.
Les philistins ne vivent qu’une vie ordinaire. Le moyen supérieur semble leur fin ultime. Ils font tout en fonction de la vie terrestre, semble-t-il, et c’est ce qui ressort de leurs propres paroles. Ils ne mélangent de la poésie qu’en cas de nécessité, parce qu’ils ont été une fois habitués à une certaine interruption du cours ordinaire de la vie. En règle générale, cette interruption réussit tous les sept jours, et l’on pourrait la qualifier de fièvre poétique septième. Dimanche, le travail s’arrête, ils vivent un peu mieux que d’habitude, et cette ivresse dominicale s'achève dans un sommeil plus profond que d’habitude ; c’est pourquoi lundi, tout prend un cours si excitant. Leurs parties déplaisir** doivent être conventionnelles, habituelles et à la mode, mais ils travaillent aussi leur plaisir, comme toute chose, péniblement et dans les formes.
Le philistin atteint le plus haut degré de son existence poétique lors d’un voyage, d’un mariage, d’un baptême, et à l’église. Ici ses désirs les plus intelligents sont libérés et souvent surmontés.
Leur prétendue religion agit simplement comme un opium: excitante, étourdissante, apaisant les souffrances delà faiblesse. Leurs prières du matin et du soir leur sont nécessaires comme le petit-déjeuner et le dîner. Ils ne peuvent plu* s’en passer. Le philistin rustre se représente les joies célestes sous les traits d’une kermesse, d’un mariage, d’un voyage °ü d’un bal : le plus sublime imagine le ciel comme une église somptueuse, avec de la belle musique, force pompe, avec des chaises pour le parterre occupé par le pauvre peuple, et des chapelles et des églises à balcon pour les plus nobles.
Les pires d’entre eux sont les philistins révolutionnaires, parmi lesquels on compte également la lie des têtes progressistes, la race** cupide.
L’égoïsme grossier est le nécessaire résultat d’une pauvre limitation. La sensation présente est la plus vive et la plus haute d’un être misérable. Il ne connaît rien de supérieur à celle-ci. Pas étonnant que l’intelligence dressée par forcé** par des relations extérieures ne soit que l’esclave rusé d’un maître sans éclat, n’ayant d’autre objet de réflexion et d’autre préoccupation que ses plaisirs.
114- L’art d’écrire des livres n’est pas encore inventé. Mais il est sur le point de l’être. Des fragments de ce genre sont des semences littéraires. Il peut bien s’y trouver de nombreuses graines seches: qu’importe, tant qu’une seule éclôt!
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Ce serait vraiment magnifique si l’actuel roi était réellement convaincu que l’on pourrait ainsi faire le bonheur fugace d’un joueur, déterminé par une grandeur aussi variable que l’imbécillité, par le manque de routine*', et la j finesse** de ses compagnons de jeu. En étant trompé, on apprend la tromperie, et à quel point la chance tourne vite, le maître devient alors l’élève de son élève. Seuls, un homme de droit et un Etat de droit font un bonheur durable. A quoi me servent toutes les richesses si elles m’empêchent de prendre un cheval vif et de parcourir plus vite le monde? Un amour non égoïste dans le cœur, et ses maximes en tête, telle est l’unique base éternelle de toute liaison authentique et indestructible; et qu'est la corporation d’Etat sinon un mariage?
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Poéticismes
31. < La poésie élève chaque singularité en la rattachant étroitement à tout le reste - et quand la philosophie, en légiférant, prépare tout d’abord le monde à l’influence efficace des idées, la poésie est en somme la clef de la philosophie, son but et sa signification. Car la poésie forme la belle société - la famille du monde - la belle structure de l’univers.
Tout comme la philosophie accroît, par le système et l’Etat, les forces de l’individu en les reliant à celles de l’humanité et de l’univers, faisant du tout l’organe de l’individu, et de l’individu l’organe du tout - il en va de même pour la poésie à l’égard de la vie. L’individu vit dans le tout et le tout dans l’individu. Par la poésie, se développent la plus haute sympathie et la coactivité, la plus intime communion entre le fini et l’infini. >
84. Tout sentiment agréable est une friction - tout sentiment agréable stimule l’âme en vue d’une collaboration positive.
105- Le monde doit être romantisé. C’est ainsi que l’on retrouvera le sens originel. Romantiser n’est qu’une potentialisation qualitative]. Le soi inférieur en cette opération est identifié à un soi meilleur. Nous sommes nous-mêmes une telle série de puissances qualitatives. Cette opération est encore totalement inconnue. Lorsque je donne à l’ordinaire un sens élevé, au commun un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini l’apparence de l’infini, alors je le romantise - L’opération s’inverse pour le plus haut, l’inconnu, le mystique, l’infini - elle est logarithmisée par cette liaison -Elle reçoit une expression courante. Philosophie romantique Lingua romana. Alternance d’élévation et d’abaissement.
176 -le Jugement Dernier est la synthèse de la vie actuelle et de la mort (de la vie apres la mort).
Fragments ou tâches intellectuelles
194. La sieste** du royaume des esprits est le monde des fleurs. En Inde, les hommes dorment encore, et leur rêve sacré est un jardin rempli de sucre et de lait.
212. Le roman traite de la vie - il représente la vie. Il ne serait qu’un mime par rapport au poète. Il contient souvent des événements d’une mascarade - un événement masqué avec des personnes masquées. Qu’on ôte les j masques - et voici des événements connus - des personnes connues. Le roman, comme tel, ne contient aucun résultat déterminé - il n’est pas l’image et le fait d’une proposition. Il est l’exécution intuitive - la réalisation d’une idée. Mais une idée ne se laisse pas saisir en une proposition. Une idée est une série infinie de propositions - une grandeur irrationnelle - (musicalement) non posable - incommensurable. (Toute irrationalité ne serait-elle pas relative?) On peut toutefois établir la loi de son progrès - et c’est d’après celle-ci que l’on peut critiquer un roman.
Anecdotes
226. Le peintre utilise seulement une langue de signes infiniment plus complexe que celle du musicien - le peintre peint en vérité avec ses yeux - Son art est l’art de voir avec régularité et beauté. Voir est ici une activité totalement active — entièrement formatrice Son tableau n’est que son chiffre - son expression — son outil de reproduction. Que l’on compare la note à ce chiffre artificiel. Le musicien devrait plutôt opposer au tableau du peintre les nombreux mouvements des doigts, des pieds et de la bouche. Le musicien entend d’une manière proprement active - il entend du dedans vers le dehors . A vrai dire, cet usage inversé des sens est un mystère pour la plupart des hommes, mais chaque artiste en aura plus ou moins conscience. Chaque homme, à un degré infime, est presque déjà artiste - Il voit en vérité du dedans vers le dehors et pas le contraire - il sent du dedans vers le dehors et pas le contraire. La différence principale réside en ceci que l’artiste a animé en ses organes le germe d’une rie autoformatrice - a accru leur excitabilité pour l’esprit et peut par conséquent faire jaillir des idées au dehors à volonté, sans sollicitation externe - et utiliser ses organes comme des instruments de modification volontaire du monde réel - En revanche, chez le non-artiste, les organes ne répondent qu’à une sollicitation extérieure, ce qui paraît prouver que l’esprit, comme la matière inerte, est soumis ou se soumet à une des lois fondamentales de la mécanique, présupposant à tout changement une cause extérieure, l’action et son contraire devant chaque fois s’équilibrer. Heureusement, on sait du moins que cette relation mécanique n’est pas naturelle à l’esprit et que, comme ' toute non-naturalité spirituelle, elle est temporelle.
Toutefois, chez l’homme le plus ordinaire, l’esprit ne suit pas totalement les lois de la mécanique - aussi pourrait-on développer en chacun cette disposition supérieure et cette capacité propre à l’organe.
237. 'Le monde des livres n’est en fait que la caricature du monde réel. Tous deux jaillissent de la même source - toutefois celui-là apparaît dans un milieu plus libre et plus mobile - c’est pourquoi toutes les couleurs y sont plus vives - moins en demi-teinte - les mouvements plus vivaces - et donc les contours plus frappants - l’expression hyperbolique. Celui-là n’apparaît que fragmentairement - celui-ci comme un Tout. Voilà pourquoi le premier est davantage poétique - plus spirituel - plus intéressant - plus pittoresque - mais également non vrai - non philosophique - non éthique. La plupart des hommes et des savants n’ont de même qu’un aperçu livresque - un aperçu fragmentaire du monde réel - qui souffre des mêmes insuffisances que le monde des livres, mais jouit aussi des mêmes avantages. Plusieurs livres ne sont également que des présentations de ces aperçus isolés et fragmentaires du monde réel. Davantage sur la relation du monde des livres (du monde littéraire) avec le monde réel.
238. *La plupart des hommes ignorent à quel point ils sont réellement intéressants et à quel point ils disent des choses réellement intéressantes. Une véritable présentation de ce qu’ils sont - une annotation et une évaluation de leurs propos les étonneraient beaucoup et les aideraient à découvrir en eux-mêmes un monde entièrement neuf.
•Les écrivains sont aussi unilatéraux que tous les artistes d’un seul genre - mais seulement encore plus obstinés. Parmi les écrivains de profession, on trouve justement un nombre remarquablement restreint d’hommes libéraux - en particulier, quand ils n’ont pas d’autre mode de subsistance que l’écriture. Vivre de l’écriture est une entreprise elle-même très risquée pour la véritable formation de l’esprit et pour la liberté.
249. ‘Le peintre a d’une certaine manière déjà en son pouvoir l’œil le musicien, l’oreille - le poète, l’imagination - l’organe du langage et la sensation - ou même plusieurs organes en même temps - dont il concentre les effets sur l’organe du langage ou qu’il dirige sur la main - (le philosophe a en son pouvoir l’organe absolu) - et le poète agit grâce à eux de manière volontaire et représente à volonté le monde des esprits - Le génie n’est autre que l’esprit utilisant activement des organes - Jusqu’à présent nous n’avons eu qu’un génie individuel - mais l’esprit doit devenir totalement génie.
253- L’art se décompose, si l'on veut, en art réel /efficace, parfait, accompli au moyen des organes externes (conducteur) - et en art imaginé J retenu en cours de route dans les organes internes (isolé dans les organes internes, en tant qu’isolant) et seulement efficace par ceux-ci. Ce dernier an se nomme science, au sens le plus large du terme.
Tous deux se divisent en sections principales - en un an déterminé par des objets, ou déjà orienté vers d’autres fonctions centrales des sens, déterminé, fini, limité, médiatisé par des concepts - et en un art indéterminé, libre, immédiat, originel, non-déduit, cyclique, beau, autonome, réalisant de pures idées, animé par de pures idées.
Celui-là n’est qu’un moyen en vue d’une fin - celui-ci, une fin en soi, une activité libératrice de l’esprit, l'esprit jouissant de soi.
Les savants exercent la science, au sens le plus large du terme — ce sont des maîtres de l’art déterminé - et les philosophes — des maîtres de l’art indéterminé - et libre.
Les artisans exercent l’art par excellence, ou l’art (externe) ; réel — ce sont des maîtres de la partie déterminée - et les artistes par excellence sont des maîtres de la classe libre, il Le savant atteint le maximum dans sa science, par la suprême simplification * * des règles et donc de la matière - S’il peut déduire toutes les règles déterminées d’une seule règle déterminée - et réduire toutes les fins déterminées à une seule fin, etc., il a alors conduit sa science à son plus haut stade de perfection. Le savant encyclopédique qui accomplit cela à l’échelle de toutes les sciences déterminée - et qui ainsi transforme toutes les sciences déterminées en une seule science déterminée est le savant à son maximum. On pourrait qualifier l’art déterminé de science, au sens strict du terme. < Même chose avec le philosopher. >
On peut qualifier la philosophie d’art libre et imaginé, lx philosophe qui transforme dans sa philosophie tous les philosophâmes singuliers en un seul philosophème - et qui peut faire de tous les individus un seul individu, atteint le summum de sa philosophie. Il atteint le summum d’un philosopher, lorsqu’il réunit toutes les philosophies en une seule philosophie.
Même chose avec l’artisan et l’artiste.
296*Le poète authentique est omniscient - il est un vrai monde en petit.
Remarques mêlées
76. Notre vie quotidienne est composée de besognes continues et répétitives. Ce cycle d’habitudes n’est qu’un moyen en vue d’un moyen supérieur, en vue de notre existence terrestre en général - qui est un mélange d’espèces variées.
Les philistins ne vivent qu’une vie ordinaire. Le moyen supérieur semble leur fin ultime. Ils font tout en fonction de la vie terrestre, semble-t-il, et c’est ce qui ressort de leurs propres paroles. Ils ne mélangent de la poésie qu’en cas de nécessité parce qu’ils ont été une fois habitués à une certaine interruption du cours ordinaire de la vie. En règle générale, cette interruption réussit tous les sept jours - et l’on pourrait la qualifier de fièvre poétique septième. Dimanche, le travail s’arrête - ils vivent un peu mieux que d’habitude, et cette ivresse dominicale s’achève dans un sommeil plus profond que d’habitude ; c’est pourquoi lundi, tout prend un cours si excitant. Leurs parties de plaisir** doivent être conventionnelles, habituelles et à la mode — mais ils travaillent aussi leur plaisir, comme toute chose, péniblement et dans les formes. Le philistin atteint le plus haut degré de son existence poétique lors d’un voyage, d’un mariage, d’un baptême, et à l’église. Ici ses désirs les plus intelligents sont libérés et souvent surmontés.
Leur prétendue religion agit simplement comme un opium - excitante - étourdissante - apaisant les souffrances de la faiblesse. Leurs prières du matin et du soir leur sont nécessaires comme le petit-déjeuner et le dîner. Us ne peuvent plus s’en passer. Le philistin rustre se représente les joies célestes sous les traits d’une kermesse - d’un mariage - d’un voyage ou d’un bal. Le plus sublime - imagine le ciel comme une église somptueuse — avec de la belle musique, force pompe - avec des chaises pour le parterre occupé par le pauvre peuple, et des chapelles et des églises à balcon pour les plus nobles.
Les pires d’entre eux sont les philistins révolutionnaires, parmi lesquels on compte également la lie des têtes progressistes, la race** cupide.
L’égoïsme grossier est le nécessaire résultat d’une pauvre limitation. La sensation présente est la plus vive et la plus haute d’un être misérable. Il ne connaît rien de supérieur à celle-ci - Pas étonnant que l’intelligence dressée par force** par des relations extérieures - ne soit que l’esclave rusé d’un maître sans éclat, n’ayant d’autre objet de réflexion et d’autre préoccupation que ses plaisirs. [77.]
14. La vie est le commencement de la mort. La vie est à cause de la mort. La mort est à la fois fin et commencement, séparation et rapport intime à soi. La réduction s’accomplit par la mort.
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