Anthologie de la poésie russe
CONDRAT RILEEV 1795-1826
Les décembristes prévoyaient plusieurs années de préparation avant un soulèvement militaire, mais la mort subite d’Alexandre les incita i agir immédiatement. Riléev devient l’âme de ce complot. Sa poésie enflamme ses compagnons de lutte. Il est à croire qu’en se décidant pour l'action immédiate, les décembristes savaient qu’ils allaient presque certainement à la mort et Riléev pressent que sacrifice préparera la future de la Russie.
ALEXANDRE POUCHKINE 1799-1837
Après l’écrasement de l’insurrection décembriste, la pendaison de cinq de ses chefs, dont le poète Riléev, et la déportation au bagne de Sibérie de cent vingt autres, Nicolas Ier, n’ayant pas de preuves de la participation de Pouchkine au complot, fit comparaître le poète, amené par un gendarme au palais impérial. Il lui promit, comme une grâce, qu’il serait désormais personnellement le censeur de ses écrits.
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Vers 1830, il écrit Poltava et Le Cavalier d’airain. En prose paraissent La Fille du capitaine, La Dame de pique et enfin Eugène Onéguine, roman en vers, "encyclopédie de la vie russe" , comme le disait Bélinski. Trois caractères principaux apparaissent ici : Onéguine. Lenski et Tatiana. Esprit aux vastes horizons, enfermé dans les limites étroites de la vie de son inonde, ne trouvant aucun idéal, aucune raison de vivre, Onéguine devient indifférent et sceptique; son âme est ravagée. Soumis aux jugés mondains d’un faux sens de l’honneur, il accepte l’absurde provocation en duel de son ami d'hier, le jeune poète Lenski, un romantique enthousiaste, une âme pure et chevaleresque; mais dans le milieu qui l’entoure, ne perdrait-il pas bientôt ses qualités, se demande , Pouchkine. Lenski est tué en pleine jeunesse dans ce duel semblable en tous points à celui où devait périr Pouchkine lui-même.
Le personnage de Tatiana se détache dans toute sa pureté morale, sa
spontanéité, son horreur du mensonge. Ce caractère exceptionnel se révèle
dans deux passages principaux ; la lettre passionnée adressée à Onéguine qui elle avait cru reconnaître son idéal, et le monologue de la fin où elle condamne la vanité de la mascarade mondaine à laquelle l’astreignent ses nouveaux devoirs.
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Dans les débuts des années 30, Pouchkine écrit entre autres des courtes Le Chevalier avare où il analyse avec une grande le pouvoir de l’argent; Mozart et Salieri où le vrai et pur et opposé à la jalousie d’un médiocre; L’hôte de pierre où il montre Don Juan, habile séducteur, certes, mais aussi un amoureux prêt à sacrifier sa vie à sa passion.
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Aleko dort... des rêves sombres
Se présentent à son esprit,
Il tend son bras dans la pénombre
Et se réveille avec un cri.
Auprès de lui la couche est vide,
Car son amie est loin... Livide,
Il épie en vain, mais tout dort...
Quelle fièvre a saisi son corps!
Un soupçon effrayant le hante;
Il se lève et quitte la tente,
Autour des chariots cherchant,
Mais tout repose dans les champs.
A peine brillent les étoiles,
De brumes la lune se voile,
Mais sur la rosée, incertains,
Des pas ont marqué le chemin.
Il suit cette trace fatale,
Bientôt une pierre tombale
Devant lui paraît, et voici
Que d’un pressentiment saisi,
En s’arrêtant Aleko tremble
Il voit comme en un rêve... ensemble,
Très proches deux ombres, soudain
Au-dessus du tombeau voisin.
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Eugène Onéguine
Mais quel que soit pour moi le sort,
Que sa flèche me frappe à mort,.
Ou passe au loin sans me blesser,
Veiller, dormir, tout est tracé...
ALEXANDRE ODOÏÉVSKI 1802-1839
Réponse à la missive de Pouchkine
Brisée, ma voix n’a pu chanter
Jusqu’à la fin mon chant sur terre;
Bientôt, vêtu d’éternité,
Aux deux, je pourrai le parfaire,
Sans avoir vu de mon flambeau
Mourir la flamme généreuse.
Une pierre lourde et rugueuse
S’appesantit sur mon tombeau
Et sur mon crâne sans idées,
Cachant à mes contemporains
Que trop tôt m’a glissé des mains
Cette lyre à peine accordée,
Et qu’ainsi je n’ai pu chanter
L’ordre du monde et sa beauté.
THEODORE TUTCHEV 1803-1873
Il exprime puissamment l'opposition du " moi " et du " chaos " qui le guette et l'attire, l'opposition fatale des amants dans leur amour comme dans un duel passionné, et la fuite de ses souvenirs les plus chers.
SILENTIUM
Dissimule dans le silence
Tes sentiments, tes espérances;
Qu’ils montent et plongent sans bruit,
Étoiles brillant dans la nuit;
Que ton âme, dans son mystère,
Les admire et sache se taire!
Ton cœur, tu ne peux l'exprimer,
Et qui te comprendrait jamais?
Pour d’autres que sont-ils, tes songes?
La pensée dite est un mensonge.
Ne trouble pas, en les creusant,
Les sources... Bois en te taisant!
Apprends à vivre dans toi-même,
En ton coeur tu caches des gemmes.
Un monde est dans ses profondeurs,
Plein de chansons et de lueurs
Qu’étouffent les bruits, les lumières...
Vois, écoute et sache te taire !
1830
Je me souviens... Je me rappelle
Ces temps, ces lieux chers à mon coeur...
Le jour baissait... J’étais près d’elle
Au bord du Danube en rumeur.
Sur la hauteur, majestueuses,
Les ruines d’un noble nid...
Appuyée à leur dur granit,
Tu semblais une fée heureuse
Et ton pied d’enfant effleurait,
Léger, la pierre séculaire;
Le soleil quittait à regret
Ta silhouette jeune et claire.
Très doucement jouait le vent
Avec ta robe, à son passage
Sur tes épaules répandant
Quelques fleurs d’un pommier sauvage
Tu voyais s’assombrir au ciel
De nuages multicolores;
Le fleuve en ses bords irréels
Chantait d’une voix plus sonore.
Insouciant, battait ton coeur;
L’ombre de la vie éphémère,
Parmi ces dernières lueurs,
Passait sur nous, tendre et légère.
Mars 1836
MICHEL LERMONTOV 1814-1841
Les deux chefs-d’œuvre de Lermontov sont Le Démon et Le Novice. Héritier du Lucifer de Milton et du Méphistophélès de Goethe, le Démon souffre et voudrait enfreindre son fatal destin. Ame haute et téméraire, voyant triompher l’injustice dans le monde, il s’est révolté contre le Créateur, mais le mal auquel il s’est voué l’a déçu.
Nitchevo (ce n’est rien)