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vendredi 18 juillet 2025

Poésies complètes - Mario de Sà-Carneiro


EXCAVATION


Dans une ardeur de quelque chose,

Je divague en moi, je cherche,

Je m’abîme tout entier, en vain, bredouille,

Et mon âme égarée jamais ne se repose.



Avec rien, je me décide à créer :

Je brandis l’épée, moi, lumière harmonieuse 

Et géniale flamme qui se risque en tout 

Par la seule force de rêver...


Mais la victoire fauve se dissipe sur le champ...

Et cendres, rien que des cendres, à la place du feu... 

— Où est mon existence, si je n’existe en moi ?
 

 

Un faux cimetière sans ossements,

Des nuits d’amour sans lèvres écrasées — 

Tout autre spasme, début ou fin...
 

Paris, le 3 mai 1913.


DISPERSION


Je me suis perdu en moi 

Parce que j’étais labyrinthe,

Et aujourd’hui, en moi,

Je ne sens plus que nostalgies.



J’ai traversé ma vie,

Astre fou qui rêvait.

Dans la fièvre du dépassement,

Je n’ai pris garde à ma vie...



C’est toujours hier pour moi,

Je suis sans aujourd’hui ni lendemain : 

Le temps qui déserte les autres, 

Devenant hier, s’abat sur moi.

 

(Le Dimanche de Paris 

Me rappelle le disparu *

Qui ressentait, bouleversé,

Les Dimanches de Paris :

 

Car un dimanche est famille,

Bien-être, simplicité,

Et ceux qui côtoient la beauté 

Ne connaissent ni bien-être ni famille).

 

Pauvre garçon plein de désirs...

Toi, tu étais quelqu’un !

C’est bien pourquoi

Tu as sombré en tes désirs...

 

Le grand oiseau doré 

Déploya ses ailes vers les deux,

Puis les replia, satisfait 

De se voir gagner les deux.

 

Comme on pleure un amant,

Je me pleure moi-même :

J’ai été l’amant inconstant 

Qui s’est trahi lui-même.

 

Je ne sens pas l’espace que j’enserre 

Ni les traits que je projette :

Si je me vois dans un miroir, j’erre —

Et ne me retrouve pas dans ce que je projette.

 

Je reviens en moi-même,

Mais, rien ne me parle, rien !

J’ai l’âme ensevelie,

Racornie en moi-même.


Je n’ai pas perdu mon âme, 

Perdue, je l’ai gardée,

Ainsi, de la vie, je pleure 

La mort de mon âme.

 

Avec mélancolie je me rappelle 

Une douce compagne 

Que de ma vie je n’ai jamais vue... 

Mais dont je me souviens

 

La bouche dorée,

Le corps blême,

Par un souffle perdu 

Dans l’après-midi dorée.
 

(J’ai la profonde nostalgie 

De ce que jamais je n’ai enlacé. 

Hélas, quelles nostalgies,

Ces rêves que je n’ai pas rêvés !...)

 

Et je sens que ma mort —

Ma dispersion totale —

Existe là-bas, au nord,

Dans une grande capitale.

 

Je vois ma dernière heure 

Tracée, volutes de fumée,

Et, tout entier azur-agonie,

En ombre et ailleurs je m’efface.

..................................

Châteaux démantelés, 

Lions ailés sans crinière...

............................ 

 

Paris, mai 1913