EXCAVATION
Dans une ardeur de quelque chose,
Je divague en moi, je cherche,
Je m’abîme tout entier, en vain, bredouille,
Et mon âme égarée jamais ne se repose.
Avec rien, je me décide à créer :
Je brandis l’épée, moi, lumière harmonieuse
Et géniale flamme qui se risque en tout
Par la seule force de rêver...
Mais la victoire fauve se dissipe sur le champ...
Et cendres, rien que des cendres, à la place du feu...
— Où est mon existence, si je n’existe en moi ?
Un faux cimetière sans ossements,
Des nuits d’amour sans lèvres écrasées —
Tout autre spasme, début ou fin...
Paris, le 3 mai 1913.
DISPERSION
Je me suis perdu en moi
Parce que j’étais labyrinthe,
Et aujourd’hui, en moi,
Je ne sens plus que nostalgies.
J’ai traversé ma vie,
Astre fou qui rêvait.
Dans la fièvre du dépassement,
Je n’ai pris garde à ma vie...
C’est toujours hier pour moi,
Je suis sans aujourd’hui ni lendemain :
Le temps qui déserte les autres,
Devenant hier, s’abat sur moi.
(Le Dimanche de Paris
Me rappelle le disparu *
Qui ressentait, bouleversé,
Les Dimanches de Paris :
Car un dimanche est famille,
Bien-être, simplicité,
Et ceux qui côtoient la beauté
Ne connaissent ni bien-être ni famille).
Pauvre garçon plein de désirs...
Toi, tu étais quelqu’un !
C’est bien pourquoi
Tu as sombré en tes désirs...
Le grand oiseau doré
Déploya ses ailes vers les deux,
Puis les replia, satisfait
De se voir gagner les deux.
Comme on pleure un amant,
Je me pleure moi-même :
J’ai été l’amant inconstant
Qui s’est trahi lui-même.
Je ne sens pas l’espace que j’enserre
Ni les traits que je projette :
Si je me vois dans un miroir, j’erre —
Et ne me retrouve pas dans ce que je projette.
Je reviens en moi-même,
Mais, rien ne me parle, rien !
J’ai l’âme ensevelie,
Racornie en moi-même.
Je n’ai pas perdu mon âme,
Perdue, je l’ai gardée,
Ainsi, de la vie, je pleure
La mort de mon âme.
Avec mélancolie je me rappelle
Une douce compagne
Que de ma vie je n’ai jamais vue...
Mais dont je me souviens
La bouche dorée,
Le corps blême,
Par un souffle perdu
Dans l’après-midi dorée.
(J’ai la profonde nostalgie
De ce que jamais je n’ai enlacé.
Hélas, quelles nostalgies,
Ces rêves que je n’ai pas rêvés !...)
Et je sens que ma mort —
Ma dispersion totale —
Existe là-bas, au nord,
Dans une grande capitale.
Je vois ma dernière heure
Tracée, volutes de fumée,
Et, tout entier azur-agonie,
En ombre et ailleurs je m’efface.
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Châteaux démantelés,
Lions ailés sans crinière...
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Paris, mai 1913