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mercredi 9 août 2023

Roberto Zucco - Bernard-Marie Koltès

 Roberto Zucco - Bernard-Marie Koltès

 

DEUXIEME GARDIEN:

Je n'entends rien parce qu'il n'y a rien à entendre et je ne vois rien parce qu'il n'y a rien à voir. Notre présence ici est inutile, c'est pour cela qu'on finit toujours par s'engueuler. Inutile, complètement; les fusils, les sirènes muettes, nos yeux ouverts alors qu'à cette heure tout le monde a les yeux fermés. Je trouve inutile d'avoir les yeux ouverts à ne fixer rien, et les oreilles tendues à ne guetter rien; alors qu'à cette heure nos oreilles devraient écouter le bruit de notre univers intérieur et nos yeux contempler nos pays intérieurs. est-ce que tu crois à l'univers intérieur?

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ZUCCO – Je suis un garçon normal et raisonnable, monsieur. Je ne me suis jamais fait remarquer.
M’auriez-vous remarqué si je ne m’étais pas assis à côté de vous ? J’ai toujours pensé que la meilleure
manière de vivre tranquille était d’être aussi transparent qu’une vitre, comme un caméléon sur la pierre,
passer à travers les murs, n’avoir ni couleur ni odeur ; que le regard des gens vous traverse et voie les gens derrière vous, comme si vous n’étiez pas là. C’est une rude tâche d’être transparent ; c’est un
métier ; c’est un ancien, très ancien rêve d’être invisible. Je ne suis pas un héros. Les héros sont des
criminels. Il n’y a pas de héros dont les habits ne soient trempés de sang, et le sang est la seule chose au
monde qui ne puisse pas passer inaperçue. C’est la chose la plus visible du monde. Quand tout sera
détruit, qu’un brouillard de fin du monde recouvrira la terre, il restera toujours les habits trempés de sang des héros. Moi, j’ai fait des études, j’ai été un bon élève. On ne revient pas en arrière quand on a pris l’habitude d’être un bon élève. Je suis inscrit à l’université. Sur les bancs de la Sorbonne, ma place est réservée, parmi d’autres bons élèves au milieu desquels je ne me fais pas remarquer. Je vous jure qu’il faut être un bon élève, discret et invisible, pour être à la Sorbonne. Ce n’est pas une de ces universités de banlieue où sont les voyous et ceux qui se prennent pour des héros. Les couloirs de mon université sont silencieux et traversés par des ombres dont on n’entend même pas les pas.Dès demain je retournerai suivre mon cours de linguistique. C’est le jour, demain, du cours de linguistique.J’y serai, invisible parmi les invisibles, silencieux et attentif dans l’épais brouillard de la vie ordinaire. Rien ne pourrait changer le cours des choses, monsieur. Je suis comme un train qui traverse tranquillement une prairie et que rien ne pourrait faire dérailler. Je suis comme un hippopotame enfoncé dans la vase et qui se déplace très lentement et que rien ne pourrait détourner du chemin ni du rythme qu’il a décidé de prendre.

 

dimanche 26 juillet 2020

La nuit juste avant les forêts – Bernard-Marie Koltès


La nuit juste avant les forêts – Bernard-Marie Koltès


[…] mais j’ai couru, couru, couru, pour que cette fois, tourné le coin, je ne me trouve pas dans une rue vide de toi, pour que cette fois je ne retrouve pas seulement la pluie, la pluie, la pluie, pour que cette fois je te retrouve toi, […] un syndicat à l’échelle internationale – c’est très important, l’échelle internationale (je t’expliquerai, moi-même, c’est dur pour bien tout comprendre), – mais pas de politique, seulement de la défense, moi, je suis fait pour la défense, et alors là, je me donnerai à plein, je serai celui qui exécute, dans mon syndicat international pour la défense des loulous pas bien forts, […] qu’est-ce qu’on connaît de quelqu’un si on ne sait pas comment elle respire après avoir baisé, si elle garde les yeux ouverts ou fermés, si on n’écoute pas, longtemps, le bruit et le temps qu’elle met pour une respiration, où elle pose son visage et comment il est maintenant, plus le temps est long où elle respire et que tu l’écoutes, sans bouger, respirer, plus tu connais tout d’elle, […].