Le miroir des âmes simples et anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir - Marguerite Porete
XI
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Raison
Eh, pour Dieu d’amour, que dites-vous ? Vous dites que cette Ame n’a point de volonté ?
Amour
Hé, sans faille, non ; car tout ce que veut cette Ame en son consentement, c’est ce que Dieu veut qu elle veuille et elle le veut pour accomplir la volonté de Dieu et non pas la sienne ; et ce vouloir, elle ne peut le vouloir d’elle-meme, mais c’est le vouloir de Dieu qui le veut en elle : d’où il ressort que cette Ame n’a point de volonté sans la volonté de Dieu qui lui fait vouloir tout ce qu’elle doit vouloir.
XXI
Amour répond à l'argument de Raison sur ce que dit ce livre que ces Ames prennent congé des Vertus
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Amour
Je suis Dieu, car Amour est Dieu et Dieu est Amour, et cette Ame est Dieu par condition d’Amour, et je suis Dieu par nature divine et cette Ame l’est par droiture d’Amour1. Ainsi cette précieuse amie de moi est-elle instruite et conduite par moi sans elle, car elle est transformée en moi et se nourrit de moi.
LV
Comment Amour répond aux questions de Raison Amour
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L’Ame
Serfs, ils le sont en vérité, mais ils n’en savent rien. Ils sont semblables à la chouette qui estime qu’il n’est plus bel oiseau des bois que ses chouetteaux.
Il en va pareillement de ceux qui vivent en perpétuel état de désir. Car ils estiment et croient qu’il n’est pas d’état meilleur que l’état de désir dans lequel ils demeurent et veulent demeurer; aussi périssent-ils en chemin et de la suffisance même que désir et volonté leur donnent.
LXI
Amour parle ici des sept états de l’Ame
Amour
J ai dit qu’il est sept états, tous plus élevés d’entendement les uns que les autres, sans comparaison ; car, comme il y a autant à dire d’une goutte d’eau par rapport à la mer tout entière, qui est fort grande, autant y a-t-il à dire du premier état de grâce par rapport au second, et ainsi de suite, sans comparaison. Il n’est toutefois pas si grand état, parmi les quatre premiers, où l’Ame ne vive en très grande servitude ; mais le cinquième est en la liberté de la charité, car il est débarrassé de toutes choses ; et le sixième est glorieux, car l’ouverture du doux mouvement de gloire, que donne le gentil Loin-près, n’est autre chose qu’une apparence que Dieu veut que l’Ame ait de sa gloire même, quelle possédera sans fin. Et c’est pourquoi, par bonté, il lui montre au sixième état ce qui est du septième. Cette manifestation provient du septième état qui la communique au sixième. Et elle est donnée si vite que celle-là même à qui elle est accordée n’a, de ce don qui lui est fait, nul sentiment.
L’Ame
Quelle merveille est-ce là ? Si je m’en apercevais avant que ce don ne me soit accordé, je serais moi-même ce qu’est ce donné par la bonté de Dieu qui me le donnerait sans fin si mon corps avait abandonné mon âme1.
LXXIII
Comment il faut que l'esprit meure afin qu'il perde sa volonté
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Amour
Parce que l'esprit est tout plein de volonté spirituelle et que nul ne peut vivre de vie divine aussi longtemps qu’il a volonté, ni avoir satisfaction s'il n'a perdu volonté. Et l'esprit n'est pas parfaitement mort tant qu’il n'a pas perdu le sentiment de son amour et que sa volonté n’est pas morte, laquelle lui donnait vie, et c'est dans cet abandon que le vouloir se trouve plein de la satisfaction du plaisir divin. Et en cette mort croît la vie supérieure qui toujours est libre ou glorieuse.