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mercredi 6 août 2025

Presque riens - Abdellatif Laâbi

 Presque riens - Abdellatif Laâbi

 À contre-courant, je dis que c’est le vécu qui fonde et autorise la poésie. Le vécu et ses brûlures au fer rouge, ses éblouissements, ses chemins qui s’inventent en marchant et ses impasses, ses doutes confinant à la paralysie, ses passages à vide, ses états d’extrême faiblesse et de force insoupçonnée, d’abandon magnifique quand l’amour prend les rênes, d’affliction que rien ne peut adoucir face à l’enfance qu’on assassine, aux femmes qu’on annihile, aux pays et à leurs peuples que l’on renvoie à l’âge de pierre.

À contre-courant, je dis que la poésie qui ne fait pas battre le cœur m’agresse et me chagrine.

La poésie qui n’aiguise pas en moi la faculté de l’intuition m’indiffère.

La poésie qui ne me rend pas « voyant », selon l’expression d’un jeune poète de la fin du xix ème siècle, eh bien je m’en passe !

La poésie qui ne m’est pas « doux guide » et maître exigeant, je m’en écarte.

La poésie qui ne me fait pas mal tout en me faisant du bien m’est étrangère.

La poésie sans l’archet du musicien et la palette du peintre n’est que ruine de l’âme.

Et puis, comme je l’ai écrit récemment dans un livre qui lui est entièrement consacré :

La poésie est invincible.

---

 MOINS DIRE
Pour dire moins

il est recommandé de vivre plus et ne concevoir - n’écrire —

qu’en cas de trop-plein

Mais une fois que le texte est là

il faudra enlever la moitié des mots

les pollués

les éteints

les creux

les larbins de l’arnaque et du mensonge

Idem des idées

les prétentieuses

les étouffantes

les noires sans fond

les roses

sans odeur et sans saveur

Cela sans oublier le quart du remplissage

que représentent les points

virgules

tirets

parenthèses

et autres conventions typographiques

Vêtu de sa presque nudité 

troublant de simplicité 

le joyau discret 

ainsi obtenu

aura alors quelque chance 

de dire le moins 

le percutant 

le brûlant

l'irradiant 

l’irrécusable 

l’irrévocable 

le rarissime 

l’inespéré 

 

vendredi 18 juillet 2025

Audre Lorde - New York

Audre Lorde - New York

Contrechant, Anthologie de poésie, editions les prouesses, 2023

I


Comment écrire le changement

comme des dessous publicitaires usés

avec une conserve vidée des significations d’hier

avec les noms d’hier ?

À quoi joue l’oiseau-nous qui a perdu ses je?

Il ne reste rien de beau dans les rues de cette ville.

j’en suis venue à croire à la mort et au renouveau par le feu.

Au-delà des interrogations sur les obligations du sang

sur ce qui fait que ce devrait être mon époque ou celle de mes enfants

qui verra trembler cette ville triste    pour renaître peut-être

noircie à nouveau mais déterminée cette fois;

lassée de cet éternel temps du passé des affirmations

et des répétitions des trips narcissiques dans un soi incomplet

là où il y a deux ans être fière sonnait comme une promesse maintenant

c’est l’heure des fruits et toutes les souffrances sont stériles

seuls les enfants poussent;

(...)

II

Je me cache derrière les immeubles et les métros

dans des ruelles fluorescentes        et regarde tandis que les flammes

arpentent l’autel de cet empire

font rage dans les veines de ce pot puant sacrificiel

étalé sur la côte est d’un continent fou

conçu dans le crépuscule psychique

de meurtriers et de pèlerins qui puent l’argent

et les cauchemars             et trop de gens inutiles

qui ne veulent ni se pousser ni mourir

qui ne peuvent pas plier         même devant les vents

de leur propre préservation même sous le poids

de leurs propres haines

Qui ne peuvent ni corriger ni concevoir

ni même apprendre à partager         leurs propres visions

qui posent des bombes dans des églises et réduisent les enfants en mortier

transforment des abats de plastique         et du métal et la chair

de leurs ennemis

en temples de métro aux heures de pointe 

où des prêtres obscènes 

se doigtent et s’adorent en secret.

Ils croient prier quand ils s'accroupissent

pour chier des galets de fric            moulés comme le cerveau de leurs

parents - 

eux qui existent            pour devenir poussière            pour exister à nouveau

plus bruts et plus enflés

et sans jamais céder ni espace

ni souffle ni énergie de leur magot privé,

Je n'ai pas besoin de faire la guerre ou la paix

avec ces diacres prétentieux et meurtriers

qui refusent de reconnaître leur rôle

dans cette alliance qui régit nos vies

et en sont venus à craindre et mépriser

jusqu’à leurs propres enfants ;

mais je nous condamne moi

et mes amours passées et présentes

et les enthousiasmes heureux de tous mes enfants

à cette ville sans raison ni futur

sans espoir pour qu’on nous éprouve

comme on éprouve l’acier neuf

avant de nous confier à l’abattoir.
J'arpente les membres faiblissants

de New York ma dernière maison délaissée

et il ne reste plus rien à sauver dans cette ville

que des voix lointaines et ténues comme des échos

d’enfants autrefois beaux.

Poésies complètes - Mario de Sà-Carneiro


EXCAVATION


Dans une ardeur de quelque chose,

Je divague en moi, je cherche,

Je m’abîme tout entier, en vain, bredouille,

Et mon âme égarée jamais ne se repose.



Avec rien, je me décide à créer :

Je brandis l’épée, moi, lumière harmonieuse 

Et géniale flamme qui se risque en tout 

Par la seule force de rêver...


Mais la victoire fauve se dissipe sur le champ...

Et cendres, rien que des cendres, à la place du feu... 

— Où est mon existence, si je n’existe en moi ?
 

 

Un faux cimetière sans ossements,

Des nuits d’amour sans lèvres écrasées — 

Tout autre spasme, début ou fin...
 

Paris, le 3 mai 1913.


DISPERSION


Je me suis perdu en moi 

Parce que j’étais labyrinthe,

Et aujourd’hui, en moi,

Je ne sens plus que nostalgies.



J’ai traversé ma vie,

Astre fou qui rêvait.

Dans la fièvre du dépassement,

Je n’ai pris garde à ma vie...



C’est toujours hier pour moi,

Je suis sans aujourd’hui ni lendemain : 

Le temps qui déserte les autres, 

Devenant hier, s’abat sur moi.

 

(Le Dimanche de Paris 

Me rappelle le disparu *

Qui ressentait, bouleversé,

Les Dimanches de Paris :

 

Car un dimanche est famille,

Bien-être, simplicité,

Et ceux qui côtoient la beauté 

Ne connaissent ni bien-être ni famille).

 

Pauvre garçon plein de désirs...

Toi, tu étais quelqu’un !

C’est bien pourquoi

Tu as sombré en tes désirs...

 

Le grand oiseau doré 

Déploya ses ailes vers les deux,

Puis les replia, satisfait 

De se voir gagner les deux.

 

Comme on pleure un amant,

Je me pleure moi-même :

J’ai été l’amant inconstant 

Qui s’est trahi lui-même.

 

Je ne sens pas l’espace que j’enserre 

Ni les traits que je projette :

Si je me vois dans un miroir, j’erre —

Et ne me retrouve pas dans ce que je projette.

 

Je reviens en moi-même,

Mais, rien ne me parle, rien !

J’ai l’âme ensevelie,

Racornie en moi-même.


Je n’ai pas perdu mon âme, 

Perdue, je l’ai gardée,

Ainsi, de la vie, je pleure 

La mort de mon âme.

 

Avec mélancolie je me rappelle 

Une douce compagne 

Que de ma vie je n’ai jamais vue... 

Mais dont je me souviens

 

La bouche dorée,

Le corps blême,

Par un souffle perdu 

Dans l’après-midi dorée.
 

(J’ai la profonde nostalgie 

De ce que jamais je n’ai enlacé. 

Hélas, quelles nostalgies,

Ces rêves que je n’ai pas rêvés !...)

 

Et je sens que ma mort —

Ma dispersion totale —

Existe là-bas, au nord,

Dans une grande capitale.

 

Je vois ma dernière heure 

Tracée, volutes de fumée,

Et, tout entier azur-agonie,

En ombre et ailleurs je m’efface.

..................................

Châteaux démantelés, 

Lions ailés sans crinière...

............................ 

 

Paris, mai 1913 

Galaxies - Haroldo de Campo

Galaxies - Haroldo de Campo

 et ici je commence et ici je me Iance et ici J'avance ce commencement

et je relance et j'y pense quand on vit sous l'espèce du voyage ce n'est

pas le voyage qui compte mais le commencement du et pour ça je mesure et

l'épure s'épure et je m'élance écrire millepages mille-et-une pages pour en

finir avec en commencer avec l'écriture en finircommencer avec l'écriture

et donc je recommence j'y reprends ma chance et j'avance écrire sur l'écriture

est le futur de l'écriture je surécris suresclave dans les mille-et-une-

nuits les mille-et-une pages ou une page dans une nuit ce qui se ressemble

s'assemble pages et nuits se miment s'ensoimêment où le bout c'est le début

où écrire sur l'écrire c'est non-écrire sur nul-écrire et pour ça je commence

je démence pour le décommencement et je change et dérange un livre où tout

serait fortuit et forcé où tout serait non et tout serait selon un livre-nombril

du-monde un monde-nombril-du-livre un livre de voyage où le voyage est le livre

l'être du livre est le voyage et pour ça je dépars car l'art c'est le départ

et je tourne et je détourne car à mon tour je me double et je mesure ma remesure

un livre est le contenu du livre et chaque page d'un livre est le contenu du

llivre et chaque ligne de chaque page et chaque mot de chaque ligne est

le contenu du mot de la ligne de la page du livre un livre essaie le livre

tout livre est un livre en essai d'un essai d'un livre d'essais c'est pourquoi

le boutdébut débute et aboutit but à but au début et la fin à l'affût s'affine

la lin qui raflinit file et faufile le fil de la fin au fur que je mesure

et à mesure que j'effile et où ça finit ça recommence et sans cesse j'y pense

à la vitesse du vent et j'y reviens par un fil qui frétille et il y a

mille-et-un récits dans un mince débris de récit c'est pourquoi je le nie

et au récit ne me fie et je ne chante ni raconte et le non-chant me décompte

et pourtant je l'entonne œt envers du conte qui peut être honte qui peut être

comble qui peut être conte ça dépend de la chance ça dépend d'une nuance

ça dépend de l'aisance et pourtant ça dépend et rien et rouille et rien du tout

et égout et égal et aiguille et vétille et nib et nibergue et niberte et nif

et pasdutout et nullement et cil de nihil et plus jamais de nulla res somme toute

peut être total peut être sommation sommesommaire de tout en somme au sommet

d'une moisson qui rayonne et m'étonne c'est pourquoi je la sème et voici mon élan

que j'avance en écho écho d'un essor que je déclos moi l'oiseau de l'écho

du vol en écho de l'oiseau de l'écho dans l'acte de le déclore l'oiseau creux

de l'écho qui prend son vol dans le clos de l'os et ici et ailleurs et de

ce côté-ci ou de ce côté-là ou là-bas ou là-haut ou partout ou nulle part ou

au-delà ou en arrière ou en allant ou auparavant ou après coup ou à coup sûr

à plat je commence aux prises je commence de plain-pied je commence au rebours

je commence par le mince commencement que la griffe du récit ne me ronge et

j'y plonge ne me nuit et tant pis car dans l'os creux du vol je ne connais que

le vol et mon nœud je Je file sans avoir jeu ni lieu où le voyage est merveille

est tournesol voyage de merveille est éveil du mirage où la miette I’aigrette

la fête est merveille est vanille est vanesse est vermeil d'étincelle est

lettrine d'orfèvre est lunule du mystère et je décompte les fées et je racompte

jeudi 24 avril 2025

Je mourrai sans avoir rendu tous les coups - Fabien Thevenot

Je mourrai sans avoir rendu tous les coups - Fabien Thevenot

 

tellement de livres lus
que je pensais avoir oubliés
qui ressurgissent un jour
illuminent
appuient une théorie
confirment une intuition
consolident une idée
au moment où
on s'y attend 
le moins
 
----
la question 
qui revient tout le temps
dans la bouche
de ceux qui n'ont pas de bibliothèque
à ceux qui ont une bibliothèque
 
tu les as
tous
lus
?

mardi 22 avril 2025

Au jardin de l'infante - Albert Samain

 Au jardin de l'infante - Albert Samain

 

Vague et noyée au fond du brouillard hiémal,
Mon âme est un manoir dont les vitres sont closes. 
Ce soir, l’ennui visqueux suinte au long des choses, 
Et je titube au mur obscur de l’animal.
 
Ma pensée ivre, avec ses contours obsédants, 
S’affole et tombe ainsi qu’une danseuse soûle ;
Et je sens plus amer, à regarder la foule,
Le dégoût d’exister qui me remonte aux dents.



Un lugubre hibou tournoie en mon front vide ;
Mon cœur sous les rameaux d’un silence torpide 
S’endort comme un marais violâtre et fiévreux.
 
Et toujours, à travers mes yeux, vitres bizarres, 
Je vois — vers l’Orient étouffant et cuivreux — 
Des cités d’or nager dans des couchants barbares.



II est d’étranges soirs, où les fleurs ont une âme,
Où dans l’air énervé flotte du repentir,
Où sur la vague lente et lourde d’un soupir 
Le cœur le plus secret aux lèvres vient mourir.
Il est d’étranges soirs, où les fleurs ont une âme,
Et, ces soirs-là, je vais tendre comme une femme.

Il est de clairs matins, de roses se coiffant,
Où l’âme a des gaîtés d’eaux vives dans les roches, 
Où le cœur est un ciel de Pâques plein de cloches, 
Où la chair est sans taché et l’esprit sans reproches. 
Il est de clairs matins, de roses se coiffant,
Ces matins-là, je vais joyeux comme un enfant.




Il est de mornes jours, où las de se connaître 
Le cœur, vieux de mille ans, s’assied sur son butin, 
Où le plus cher passé semble un décor déteint 
Où s’agite un minable et vague cabotin.
Il est de mornes jours, las du poids de connaître,
Et, ces jours-là, je vais courbé comme un ancêtre.

Il est des nuits de doute, où l’angoisse vous tord,
Où l’âme, au bout de la spirale descendue,
Pâle et sur l’infini terrible suspendue.
Sent le vent de l’abîme, et recule éperdue !
Il est des nuits de doute, où l’angoisse vous tord,
Et, ces nuits-là, je suis dans l’ombre comme un mort.

Poésies - Hans Magnus Enzensberger

 Poésies - Hans Magnus Enzensberger

 

Les semble-morts


Les semble-morts attendent devant les guichets des trusts, 
comateux, ils attendent, des deux poumons fumant, 
devant les poids et mesures et les bureaux de placement. 
Leur morne et blême jubilation se déploie 
tout au long des grilles de guichets sans nombre 
tel un gigantesque journal dans le vent.

Comme ils dodelinent de la tête avec ensemble! 
Comme ils sont braves et bien en rang! et quelle 
dextérité pour manier les cartes perforées, 
les chèques et les billets de confession!
Dans des porte-documents transportent 
leurs cheveux coupés ras, et chacun d’eux 
dans ses deux bas garde en réserve 
dix doigts de pied.

Outre cela mangent et de leurs dix doigts
de semble-morts dépècent des carcasses de charogne,
et la nuit, pour calmer les sinistres clameurs de leurs entrejambes,
se multiplient, aux heures de fermeture des guichets,
engendrant de semble-morts témoins,
qu’au matin ils déclarent, en rejetant la fumée
de leurs comateuses bouches, aux
préposés-aux-déclarations,
afin qu’on ne les enterre pas. 

Mais qui leur donne pommes et baisers?
Qui donc les éveille» qui leur donne malgré tout
des immortelles» qui décrasse leurs bronches
de ces croûtes de suie, qui les dépouille
de leurs journaux, qui sème un peu d’ardeur
sur leurs bouches gloutonnes, qui brosse la cendre de leurs
qui balaye la peur de leurs paires d'yeux pâles, cheveux,
qui leur fait des cadeaux, qui délie, ravit, oint de chrême,
qui éveille les semble-morts d'entre les morts,
et qui les absout?

Devant les guichets des banques ils attendent,
sous des avalanches de journaux et de bulletins de vote,
ils attendent sous un ciel où, comme en un cinéma de banlieue,
alternent l'ombre et la lumière,
comme entre le grand film et les actualités,
comme entre le champ de bataille et la morgue,
ils attendent devant les guichets des décès, ils attendent
les semble-morts leur certificat de décès,
expulsant la fumée de leurs braves poumons incolores,
et tout en pataugeant dans leur morne jubilation,
ils attendent, séparés, l’heure de la séparation.

A l’aveuglette
 
La victoire
sera l’affaire de ceux qui voient
les borgnes
l’ont prise en main
pris le pouvoir
et fait l’aveugle roi

près de la frontière verrouillée 
des policiers qui jouent à colin-maillard 
de temps en temps attrapent un oculiste 
recherché pour activités 
antigouvernementales

l’ensemble des autorités porte 
un petit emplâtre noir 
sur l’œil droit
au bureau des objets trouvés traînent 
déposées par des chiens d’aveugles 
limettes et loupes sans propriétaires

de jeunes astronomes zélés
se font mettre des yeux de verre
des parents qui voient loin
enseignent au bon moment à leurs enfants
l’art de loucher progressivement
l'ennemi passe en fraude l’eau boriquée 
pour la conjonctive de ses agents 
cependant que de respectables citoyens 
considérant les circonstances 
n’en croient pas leurs yeux 
se jettent poivre et sel à la tête 
tâtent en larmoyant tout ce qu’il faut voir 
et apprennent le braille

le roi aurait déclaré récemment 
qu’il voit l’avenir d’un œil confiant


Moi, le Président et les castors
 
Tremble la guêpe dans l’ambre 
et dans le vacarme des engins.
Les selles du Président sont 
normalisées. Les cerises 
ignorent son nom.
Dans les kolkhozes les bœufs 
rêvent de haut trèfle 
et non des faux frais 
graissés au sang
non plus que des intérêts sur les cendres.

La création ne nous porte plus 
aucun intérêt. A jamais 
dégoûtés de nous muets 
dronte zibeline albatros.
Des castors la patience 
finira par prendre fin. Nous seuls 
jusqu’au bout souillés 
de télégrammes, demeurons, 
changeant de mot de passe 
de meurtre en meurtre : 
hache de pierre ou cobalt.

Tous deux inoffensifs
nous nous faisons : insomniaque
le Président entre deux piqûres,
et moi pelant une pomme 
dans ma paisible maison, 
comme si le crime n’existait pas :
nous sommes déjà oubliés.

Bibliographie
 
Ceci est écrit pour toi.
Circonvolutions sous l’écorce, 
Vibre-écriture sous les tempes, 
chemins de fourmis.

Ce n’est pas de l’Art.

Circuit imprimé,
communisme,
polypeptide,
primevères électroniques,
alouettes à programmation cybernétique.

Prends et lis 
vieux suicidé.

Manifestes génétiques, 
permutations, trilles.
Tout cristal un chef-d’œuvre.
Fabriquer des yeux de libellule
ce n’est pas de l’Art,
plus simple de construire des empires.

Cette ortie
pourrait être signée par Proust : 
système réactif du deuxième degré 
ultrastable.

Quand ce livre arrivera entre tes mains 
peut-être pour le lire 
fera-t-il déjà trop noir.

Si les libellules peuvent 
se passer de nous 
nous n’en savons rien.
Mais c’est probable.

Jette donc le livre 
et lis.

Tableau d'ombres
 
Je peins la neige 
je m’acharne 
à peindre à plomb 
avec un gros pinceau 
sur cette page blanche 
la neige

je peins la terre 
je peins l’ombre 
de la terre la nuit 
je ne dors pas 
je peins 
toute la nuit

la neige tombe à plomb 
et s’acharne 
sur ce que je peins 
une grande ombre 
tombe
sur mon tableau d’ombres

sur cette ombre 
je m’acharne à peindre 
avec le gros pinceau 
de la nuit
mon ombre minuscule. 


Ombrage
 
Les ombres piétinent 
mon ombre 
les combats d'autrefois 
sont des combats pour rire 
les femmes d’autrefois 
des ombres-femmes 
le ciel un ciel sombre 
d’autrefois
ombres sont mes années

jadis toute proche 
caresse ou menace 
aujourd’hui telle une ombre 
derrière moi
cris et murmures d’autrefois 
le vent les ombre 
et derrière moi les visages 
couleur d'ombre

ombres sont mes nuits
couleur de morelle noire 
ombres sont mes œuvres

et moi aussi je suis une ombre 
projeté vers l'avenir 
par d'autres ombres
vers d’autres nuits 
d’autres visages 
de nouvelles œuvres

ombres sont mes œuvres

dimanche 30 mars 2025

Baudelaire mon cœur mis à nu

 

Baudelaire mon cœur mis à nu

De la vaporisation et de la centralisation du moi. Tout est là.

Ivresse littéraire ; souvenir des lectures.

On peut fonder des empires glorieux sur le crime, et de nobles religions sur l’imposture.

Presque toute notre vie est employée à des curiosités niaises. En revanche, il y a des choses qui devraient exciter la curiosité des hommes au plus haut degré, et qui, à en juger par leur train de vie ordinaire, ne leur en inspirent aucune.

Cruauté et volupté, sensations identiques, comme l’extrême chaud et l’extrême froid.

En somme, devant l’histoire et devant le peuple français, la grande gloire de Napoléon III aura été de prouver que le premier venu peut, en s’emparant du télégraphe et de l’Imprimerie nationale, gouverner une grande nation.

Plus l’homme cultive les arts, moins il bande.

L’homme d’esprit, celui qui ne s’accordera jamais avec personne, doit s’appliquer à aimer la conversation des imbéciles et la lecture des mauvais livres. Il en tirera des jouissances amères qui compenseront largement sa fatigue.

Tout journal, de la première ligne à la dernière, n’est qu’un tissu d’horreurs. Guerres, crimes, vols, impudicités, tortures, crimes des princes, crimes des nations, crimes des particuliers, une ivresse d’atrocité universelle.

Et c’est de ce dégoûtant apéritif que l’homme civilisé accompagne son repas de chaque matin. Tout, en ce monde, sue le crime : le journal, la muraille et le visage de l’homme.

Je ne comprends pas qu’une main pure puisse toucher un journal sans une convulsion de dégoût.

Poésie - Lautréamont

 Poésie - Lautréamont

poésie 1
 
La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute ; le doute est le commencement du désespoir ; le désespoir est le commencement cruel des différents degrés de la méchanceté. Pour vous en convaincre, lisez la Confession d’un enfant du siècle.
 
poésie 2
La poésie doit être faite par tous. Non par un.
Rien n’est faux qui soit vrai ; rien n’est vrai qui soit faux. Tout est le contraire de songe, de mensonge.