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dimanche 30 mars 2025

Antigone - Jean Anouilh

 

Antigone - Jean Anouilh

Le chœur :

Et puis, surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir ; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à crier, - pas à gémir, non, pas à se plaindre, - à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore.

Le garde :

Moi, je ne connais que la consigne. Ce que vous aviez à faire là, je ne veux pas le savoir. Tout le monde a des escuses, tout le monde a quelque chose à objecter. S'il fallait écouter les gens, s'il fallait essayer de comprendre, on serait propres.

Antigone :

Oui, j'aime Hémon. J'aime un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi. Mais si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure, si Hémon ne doit plus pâlir quand je pâlis, s'il ne doit plus me croire morte quand je suis en retard de cinq minutes, s'il ne doit plus se sentir seul au monde et me détester quand je ris sans qu'il sache pourquoi, s'il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s'il doit appendre à dire « oui », lui aussi, alors je n'aime plus Hémon.

Antigone :

Vous me dégoûtez tous, avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu'ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n'est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, -et que ce soit entier- ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d'un petit morceau si j'ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd'hui et que cela soit aussi beau que quand j'étais petite -ou mourir.

Créon :

 Je les ai fait coucher l'un près de l'autre, enfin ! Ils sont lavés, maintenant, reposés. Ils sont seulement un peu pâles, mais si calmes. Deux amants au lendemain de la première nuit. Ils ont fini, eux.

mardi 21 janvier 2025

Le roi se meurt - Ionesco

 Le roi se meurt - Ionesco

 

MARGUERITE, à Juliette

[...] Vous allez lui communiquer vos larmes. Cela s'attrape.

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MARIE

Ce n'est qu'un roi, ce n'est qu'un homme.

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MARIE

Tout le monde est le premier à mourir.

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JULIETTE

La vie n'est pas belle.

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 MARGUERITE

Les mensonges de la vie, les vieux sophismes! Nous les connaissons. Elle a toujours été là, présente, dès le premier jour, dès le germe. Elle est la pousse qui grandit, la fleur qui s'épanouit, le seul fruit.


LE ROI Je me vois. Derrière toute chose, je suis. Plus que moi partout. Je suis la terre, je suis le ciel, je suis le vent, je suis le feu. Suis-je dans tous les miroirs ou bien suis-je le miroir de tout?


lundi 20 janvier 2025

Baal - Bertolt Brecht

 Baal - Bertolt Brecht

LE TROISIÈME : Je lui ai demandé, quand il râlait déjà de l'arrière-gorge : A quoi penses-tu ? Je veux toujours savoir ce qu'on pense alors. Là, il a dit : j'écoute encore la plui. Mon dos est devenu de la chair de poule. J'écoute encore la pluie, disait-il.

dimanche 21 juillet 2024

Hier - Hugo von Hofmannsthal

Hier - Hugo von Hofmannsthal

SCÈNE PREMIÈRE

ANDREA

Et quand bien même !  Je n'en demande pas les raisons ! 

Le flot de nos sensations trouve une porte derrière elle :

Impuissants ont les actes, vides les paroles :

Sonder les raisons rend la sensation insupportable,

Et tout ce que nous sentons vraiment est indicible...

Ce n'est pas ce que je pense, ce que je crois, entends ou vois,

Qui me lie à toi, mais ton charme envoûtant, le fait d'être près de toi...

Et même si tu me trompas, si tu me trahissais mon amour, 

Tu resterais encore pour moi celle que tu es !

 ARLETTE

Prends garde, cette croyance est dangereuse !

ANDREA

Oh non, seulement belle et audacieuse, enivrante, loyale !

C'est là une eau qui balaye les entraves de notre esprit,

Les scrupules qui le freinent, les remords qui l'affligent,

La menace de mille châtiment immérités

Qui nous pousse à mentir alors que nous ne ressentons plus rien;

Cette croyance nous apprend à considérer comme juste et sage

Ce que nous faisons d'ordinaire sans lui donner de nom...

Plus bas.

La vie, ce n'est que l'errance muette de millions d'êtres

Qui vont leur chemin dans se comprendre,

Et si par hasard deux regards se rencontrent,

Chacun ne voit que soi dans les yeux de l’autre.

ARLETTE

Et que sont-ils, ceux que nous appelons nos amis ?

ANDREA

Ceux en qui nous connaissons plus clairement notre Moi,

... Si je ses fermenter en mois une volonté sans mesure,

Celle de chevaucher ! l'envie d'un galop furieux, infernal... 

[...]

 ANDREA

Dois-tu sans cesse gâter le jour présent avec le souvenir d'hier ?

Devrai-je toujours entendre tinter la chaîne 

A jamais rivée à ton pied, et qui t’entrave,

Quand, pour ma part, j'ai mille fois brisé la mienne !

Hier, un crépuscule livide planait autour de nous,

Et notre âme s'en allait rêver jusqu'au Nil vert ;

Des lumières imprécises autour de nous flottaient,

Et des nuages pâles passaient avec nostalgie dans le ciel ...

Mais un abîme nous sépare de tout cela : sept heures!

Ce jour d'hier s'est évanoui pour toujours !

[...]

Mets aujourd'hui ta robe jaune, au tissu riche et lourd,

Et prends des roses rouges sombres, ardentes et soyeuses...

Si tu pouvais te déprendre du jour d'hier,

Cesser de prêter l'oreille à l'appel creux de ce mort !

Laisse les forces changeantes du jour présent,

Ses plaisirs, ses souffrances, murmurer dans ton âme !

Oublie ce qui fut, que nul ne peut comprendre :

Hier ment, aujourd'hui seul est vrai !

Laisse-toi emporter au gré de chaque instant,

C'est là le moyen de demeurer fidèles à toi-même

 SCÈNE TROISIÈME

 

ANDREA

Comprends-moi bien : tu en décideras toi-même !

N'est-il pas souvent bon de fuir ce que l'on a souvent recherché ?

Notre humeur, nos forces, ne varient-elles donc jamais ?

Toute passion ne connaît-elle pas l'éveil et la mort ?

Qui nous a enseigné à donner le nom d'"âme"

A la réunion de milles vies présentes côte à côte ?

Pourquoi l'ancien devrait-il être bon, mauvais ce qui est nouveau ?

Qui a le droit d'exiger la fidélité ? Qui peut la promettre ?

[...]

Je veux le libre jeu de mes libres instincts,

Sans se lier à rien - pas même à ton style !

FORTUNIO

Pourquoi tant de mots pour dire cette chose simple :

Tu ne portes pas tes états d'âme, tu te laisses porter par eux.


ANDREA

Mais "se laisser porter" ainsi, n'est-ce pas encore agir ?

N'est-il pas sage de changer volontairement 

Puisque notre destin nous contraint à changer ?

D'éprouver de nouvelles jouissances avec des sens nouveaux

Quand les anciennes ont perdu leur charme ?

De s'arracher à l'hier, de tout la force de notre liberté,

Au lieu d'appeler fidélité ce qui n'est que faiblesse ?

 

SCÈNE QUATRIÈME

ANDREA

[...]

Chaque mouvement nous pousse à nous illusionner un peu plus !

C'est là ce que nous faisons tous chaque jour,

Et bien d'autres choses encore, inestimables, indicibles !

Monotone est le bien, sans saveur, sans couleur,

Le mensonge seul est d'une inépuisable richesse !

Et il n'est rien de plus méprisable sur terre

Que de tromper sottement, d'être trompé sottement !

SCÈNE HUITIÈME

FANTASIO

Cela éveille ne moi des pensées difficiles à élucider.

Il me semble avoir fait l'expérience d'une chose sainte.

Tout à fait comme quand des paroles prononcées chaque jour

Surgissent soudain, lumineuses, dans notre âme,

Et que, se dégagent de leur gangue de vulgarité.

Leur sens prend vie et s'éveille pleinement en nous !

 

ANDREA

continue

 

FANTASIO

 Toujours autour de nous règne une demi-nuit.

Nous marchons sur des perles que recouvre la poussière du chemin

Tant qu'un rayon du hasard n'en a pas réveillé l'éclat.

La plupart des hommes ont seulement traversé la vie,

Peuple exsangue de contempteurs du présent

Qui cheminent comme des fantômes entre les générations,

Parmi l'ardent et vif éclat de toutes les couleurs,

Parmi le grand et saint effroi de toutes les tempêtes,

Sourds qui entendent, aveugles qui voient,

Perdus dans une vie dépourvue de sens :

Et parfois, rarement, s'approche d'eux ce qu'ils nomment la Grâce,

A laquelle nous aspirons comme à la plus haute faveur

Que dispensent le savoir suprême et le grand art.

Car il y a pour eux, dans la sainteté et la pureté, le m^me salut

Que nous trouvons, nous, dans l'unité de la vie.

 

SCÈNE NEUVIÈME

ANDREA, voyant que Fantasio se tourne vers le jardin, hésitant

Fantasio, reste mon cher : c'est à toi de répondre,

Ami fidèle, à la question que je cherche à formuler.

Tu dis que tu as faut de ton art cette expérience...

 Avec lenteur, cherchant ses mots

Que, parfois, des paroles prononcées chaque jour

Surgissent soudain lumineuses, dans notre âme,

Et que, se dégagent de leur gangue de vulgarité,

Leur sens prend vie et s'éveille pleinement en nous ?


FANTASIO

En effet. Mais l'obtenir n'est pas en notre pouvoir.


ANDREA, comme précédemment

Ce n'est pas ce que je veux dire. Mais ne peut-il arriver

Que l'ancien nous apparaisse soudain sous un jour nouveau ?

Et ne peut-il se faire que, tels des enfants trop précoces,

 Nous ignorions ce que nous sommes, en le voyant pourtant,

Et que, prenant la pose, nous jouions les désenchantés,

Pour plus tard, plus tard seulement, le payer de vraies souffrances !

 

FANTASIO

Cela aussi : car ce que nous appelons l'expérience

Est fait de ce que nous apprenons au contact d'autrui 

 

ANDREA

Alors, est-il permis de s'en remettre au hasard,

A l'illumination soudaine qui nous traverse comme un éclair ?

 

FANTASIO

Nous devons nous abandonner au hasard

Parce que nous ne saisissons jamais les causes !

Car ce qui nous aide et nous alimente est bel et bien hasard,

Et hasard, pur hasard, tout ce qui nous est accordé !


ANDREA, à mi-voix

Ô l'éclair qui me l'a montré maintenant comme alors,

Sur le bateau... dans la tempête... appuyé contre sa poitrine,

Et ce front... ce front qui sait, qui s'incline...

 Qu'est ce qui est conscient ? Qu'est-ce qui est inconscient ?

Seul l'instant a conscience de lui-même,

Et nul savoir ne s'étend au devant de nous ni en arrière !

Et tout homme est l'esclave de l'instant,

Et seuls le Maintenant, l'Aujourd'hui, l'Ici sont légitimes !

Cela vaut pour moi... cela ne vaut pas moins pour elle,

Mais je crois bien, étrangement, que je n'y avais jamais pensé...

Un silence

Ne peut-tu donc deviner ce qui me tourmente ? 


FANTASIO,  désireux de le ménager, mais sachant de quoi il retourne

La volonté de garder la foi alors que la foi te fait défaut.

Ce qui t'enchaine encore est une crainte illusoire,

Nous refusons de voir ce qui est mort à jamais :

Ce qui longtemps nous entoura doucement de sa grâce familière,

Quoique cela ne nous appartienne plus, nous l'envions à la tombe.

 

ANDREA

 Ce qui longtemps nous entoura doucement de sa grâce familière...

C'est là de l'habitude, donc aussi un mensonge

Qui doucement altère la grâce des traits familiers.

Oui, voici l'image qui exprime ce que j'éprouve :

Des yeux privés du soyeux bandeau auquel ils étaient accoutumés,

Éblouis par la lumière aveuglante de la réalité.

Un Aujourd'hui dans joie, un Hier dépourvu de fard !

Une existence sans voile, exposée aux douleurs,

Tourmentée par la lumière, blessée par le moindre bruit !

Ah, que reviennent vite me réconforter, dans cet embarras,

Les états d'âme puissants des moments de transition :

        Avec une douloureuse nervosité

Mieux vaudrait dans ce cas ne plus voir l'autre,

Ne pas être obligé de le sentir vivre près de nous paisiblement....

Alors qu'en nous-même les sentiments meurent,

Et que notre âme tremble délicatement, douloureusement....

Oui, nous ne pourrons plus supporter d'entendre la voix de cet être,

Un sourire de lui suffirait à nous plonger dans un cruel égarement.

Et seule la fin, seule une fin rapide

Étouffera les tourments que nous cause un tel changement ! 

---

SCÈNE DIXIÈME

ANDREA

Je sais, Arlette, que tu me trompes !

Tu me trompes comme une putain, avec une lâcheté innommable.

C'en est presque ridicule et pourtant pitoyable !

            Un silence

A ce qui s'est passé ici, à cet acte banal et vulgaire,

Je puis concéder une justification sans grâce ni couleur,

Une saveur, quoique inconcevablement insipide...

Mais comprendre : je voudrais seulement pour le comprendre.

        Un silence

    Feignant le mépris

Ce n'est pas ta faute si je souffre à présent,

Tu n'es pas responsable de cette folie stupide...

Je n'ai pas de raison de t'en vouloir ne de te fuir...

Tu ne m'as pas fait de mal, alors que tu le pouvais !

    Après un silence, avec une violence croissante

Tu n'as nullement besoin de le dissimuler ni de la déplorer,

Tu dois seulement me dire... tout me dire... entièrement :

Il n'y a qu'une chose, je le crains, que je ne pourrais comprendre :

Pourquoi lui, pourquoi justement lui...

 

ARLETTE

Allons, cesse. Je vais te le dire.


ANDREA, reculant

Non - pas encore ! Il me semble que je ne le supporterai pas.

Il me semble ne pas avoir maintenant le droit d'entendre tes paroles.

Je vois clairement ce qu'il en est. Il ne faut pas me troubler.

Je devrais te frapper, je devrais hurler,

Laisser le sang me séduire, m'aveugler... non, non ! non :

Ce serait là m'illusionner, mentir, falsifier

Ma sensation lucide, froide et pénétrante.

    Un silence

    Méchamment et douloureusement

Pourtant, quand ma pensée se sera repue

De tous les détails de ta trahison,

Ta nature profonde m'apparaitra sous un nouveau  jour,

Embellie, source pour moi d'une douce et cruelle jouissance.

Et la sourde douleur qui me torture aujourd'hui

Fera mes délices dans mon souvenir...

Toutes ces heures où je n'éprouvais rien

Alors même que tes bras trompeurs m'enlaçaient,

Je m'imaginais les avoir traversés en tremblant,

Transfigurés par les larmes de lucidité ou de pitié.

Parle, maintenant ; car voici qu'une certitude m'envahit : je sais

Quelles étendues sans  limite déparent les êtres !

Dans quelle terrible solitude nos âmes se livrent à leurs pensées !

Parle : quoi que tu puisse dire, tu ne me blesseras pas.

Dis : quand fût la première fois ? comment cela s'est-il passé ?

T'es tu offerte à lui, ou bien t'a-t-il séduite ?

ARLETTE

La première fois ? Il n'y en a pas eu de deuxième.

C'est hier seulement ...

[...]

ARLETTE

C'était tout cela. Et pourtant je ne puis le comprendre.

Cela semble si étranger, si inconcevablement lointain.

Oui, il y avait ce que tu dis, mais pas seulement.

Il faut qu'il y ait eu davantage, bien davantage.

Un je ne sais quoi que je ne retrouve pas aujourd'hui,

Un envoutement qu'aujourd'hui je ne puis expliquer.

Et plus tu m'interroge, plus cela me devient obscur,

Il me semble être séparée d'hier par un abîme,

Et je me vois moi-même comme une étrangère... -

        cachant son visage dans ses mains

Et ne m'ordonne pas de nommer ce que je ne comprends pas !

Pardonne, pardonne ce jour d'hier, permets que je demeure,

Laisse couler sur cet hier des nuits, passer des jours....


ANDREA, apaisé, d'un ton grave

Ce jour d'hier ne fait qu'un avec ton être

Et tu ne peux ni l'effacer, ni l'oublier :

il est, aussi longtemps que nous savons qu'il fut..

Et moi, il faudrait que je le serre dans mes bras chaque jour,

Que je l'absorbe en respirant le parfum de ta chevelure !

Aujourd'hui, hier - ce sont là des mots vides.

Ce qui fut une fois demeure vivant pour l'éternité.

    Un silence

    Avec une sérénité affectée

Nous allons nous quitter paisiblement

Et peut-être nous reverrons-nous paisiblement.

Et que tu m'aie trompé, que tu aies trahi mon amour,

Il n'en restera pas même une souffrance.

Mais il est une chose que je ne te pardonnerai jamais :

D'avoir détruit le chaud, le lumineux reflet

Dont se parait pour moi le temps désormais enfui.

    Éclatant soudain

En ce temps-là, de l'avoir voué au dégoût !

    Il lui fait signe de s'en aller. Elle sort lentement par la porte de droit. Il la luit longuement du regard. Sa voix tremble et lutte contre les larmes qui montent

Je les comprends si bien, les femmes infidèles...

Comme si je voyais au-dedans de leur âme.

Je lis dans leurs yeux le désir de s'abandonner,

De goûter en tremblant une jouissance inconnue, interdite...

Le désir de jouer, le désir de se mettre elles-mêmes en jeu,

Le désir de victoire et d'ivresse, celui de tromper et de blesser...

Je vois leur sourire et 

    Hésitant

            Les larmes, les sottes larmes, 

La quête mystérieuse, le désir qui ne connaît pas de répit...

Je sens ce qui les pousse à des décisions insensées, comment

Elles ferment les yeux et ne peuvent s'empêcher de faire souffrir,

Comment elles enterrent chaque Hier au nom de chaque Aujourd'hui,

Et ne comprennent pas, quand elles ont donné la mort.

    Les larmes étouffent sa voix.


Rideau

mercredi 9 août 2023

Roberto Zucco - Bernard-Marie Koltès

 Roberto Zucco - Bernard-Marie Koltès

 

DEUXIEME GARDIEN:

Je n'entends rien parce qu'il n'y a rien à entendre et je ne vois rien parce qu'il n'y a rien à voir. Notre présence ici est inutile, c'est pour cela qu'on finit toujours par s'engueuler. Inutile, complètement; les fusils, les sirènes muettes, nos yeux ouverts alors qu'à cette heure tout le monde a les yeux fermés. Je trouve inutile d'avoir les yeux ouverts à ne fixer rien, et les oreilles tendues à ne guetter rien; alors qu'à cette heure nos oreilles devraient écouter le bruit de notre univers intérieur et nos yeux contempler nos pays intérieurs. est-ce que tu crois à l'univers intérieur?

---

ZUCCO – Je suis un garçon normal et raisonnable, monsieur. Je ne me suis jamais fait remarquer.
M’auriez-vous remarqué si je ne m’étais pas assis à côté de vous ? J’ai toujours pensé que la meilleure
manière de vivre tranquille était d’être aussi transparent qu’une vitre, comme un caméléon sur la pierre,
passer à travers les murs, n’avoir ni couleur ni odeur ; que le regard des gens vous traverse et voie les gens derrière vous, comme si vous n’étiez pas là. C’est une rude tâche d’être transparent ; c’est un
métier ; c’est un ancien, très ancien rêve d’être invisible. Je ne suis pas un héros. Les héros sont des
criminels. Il n’y a pas de héros dont les habits ne soient trempés de sang, et le sang est la seule chose au
monde qui ne puisse pas passer inaperçue. C’est la chose la plus visible du monde. Quand tout sera
détruit, qu’un brouillard de fin du monde recouvrira la terre, il restera toujours les habits trempés de sang des héros. Moi, j’ai fait des études, j’ai été un bon élève. On ne revient pas en arrière quand on a pris l’habitude d’être un bon élève. Je suis inscrit à l’université. Sur les bancs de la Sorbonne, ma place est réservée, parmi d’autres bons élèves au milieu desquels je ne me fais pas remarquer. Je vous jure qu’il faut être un bon élève, discret et invisible, pour être à la Sorbonne. Ce n’est pas une de ces universités de banlieue où sont les voyous et ceux qui se prennent pour des héros. Les couloirs de mon université sont silencieux et traversés par des ombres dont on n’entend même pas les pas.Dès demain je retournerai suivre mon cours de linguistique. C’est le jour, demain, du cours de linguistique.J’y serai, invisible parmi les invisibles, silencieux et attentif dans l’épais brouillard de la vie ordinaire. Rien ne pourrait changer le cours des choses, monsieur. Je suis comme un train qui traverse tranquillement une prairie et que rien ne pourrait faire dérailler. Je suis comme un hippopotame enfoncé dans la vase et qui se déplace très lentement et que rien ne pourrait détourner du chemin ni du rythme qu’il a décidé de prendre.

 

mercredi 17 mars 2021

L'homme et la masse - Ernst Toller

 L'homme et la masse - Ernst Toller (mis en scène)


La scène reste obscure.

CHŒUR DES MASSES : (comme venant de loin) Nous, éternellement emprisonnés, 

Engouffrés entre les murs des maisons.

Nous, livrés

Au mécanisme de systèmes qui nous narguent.

Nous, sans visage dans une nuit de larmes.

Nous, éternellement séparés de nos mères.

Des profondeurs des usines, nous crions :

Quand vivrons-nous l’amour ?

Quand créerons-nous une œuvre ?

A quand notre délivrance ?

La scène s ’éclaire. Grande salle.