Sardine
dorée / solitudes – bob kaufman
Yeux-reflets des cygnes
enfin vides...
Elle est partie dans les
cavernes-formes de marbre
GRIS
Elle est partie dans les
camions bleus peints en secret
Elle est partie dans les
feuilles d’impôts publiques Elle est partie dans les dossiers municipaux
infestés
de cadavres
Elle est partie dans les
tourbillons tranquilles creu
sant ses bras
Elle est partie dans
l’obscure considération d’événe
ments oubliés
Elle est partie dans les
statistiques insensibles métro
politaines
Elle est partie dans le
silence vers le silence Elle est partie dans les souliers les chaussettes les
tissus noirs
Elle est partie chevauchant
le vide entraînant les
ASPECTS DE L’IMPERCEPTIBLE
Chevauchée trophée les
gagnants attendent
DANS LES SALONS.
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TEQUILA JAZZ
Pique la lumière
Les gens s’allument
Et vous
Êtes-vous allumé ?
Qui est là tapi dans mon Cœur ?
Un quelconque oiseau blessé
Caché dans les hautes herbes
Qui barricadent mon cœur ?
Ailes invisibles du jazz
Battant puisant swinguant
Emportez-moi emportez-moi
La saloperie du monde m’asphyxie
Mon cœur secret
Slappant avec ce jazz inouï.
Minces mélancoliques cordes
Encerclent mon cou
Pendu avec
Les soupirs tequila
Pendu, mec,
Pendu.
(C. P./M. B.)
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SOLEIL
Soleil, Créateur de Soleils,
Soleil, qui fabriques des Hommes,
Mes yeux m’abandonnent,
Impatient de Te voir
Je touche de la pierre.
Pour l’unique désir de Te
Connaître
Si je pouvais te connaître
Si je pouvais t’envisager
Si je pouvais comprendre
Abaisse sur moi tes yeux
Soleil Lune, Jour, Nuit,
Printemps, Hiver,
Ne sont pas créés en vain.
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POUR HART CRANE
[…]
Ils vous tuent Crâne... vous êtes électrocuté au
petit déjeuner
dans les cuisines des chambres à gaz...
Ils sont soulagés Crâne... vous êtes parti,
emmenant vos réa
lités avec vous...
Ils vous renient Crâne... vous êtes vraiment mort
; mais nous
savons Crâne que vous ne l’avez jamais été...
Ils vous vivent Crâne... SUR LE PONT.
(C. P./M. B.)
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MOI AUSSI, JE SAIS CE QUE JE NE SUIS PAS
Non, je ne suis pas la mort, désirs sadiques sacrés chantant
sur des potences pralinées.
Non, je ne suis pas l' empreinte de créoles meurtriers cachés
dans les bayous de papier-crêpe.
Non, je ne suis pas les cris d’un inventeur assassiné verrouillé
dans sa machine incendiée.
Non, je ne suis pas le souffle court d’un cambrioleur sénile
du Caire chaussé de plomb.
Non, je ne suis pas le fruit d’un été indien d’accordeurs de
pianos nègres gantés de mousseline.
Non, je ne suis pas le vacarme des sénateurs à deux coups
dans le hall sacro-saint de menthe poivrée,
Non, je ne suis pas les espoirs partis en fumée des ostéo
pathes cyniques trafiquants d’os illégaux.
Non, je ne suis pas la malédiction pechblende des suicidés
indiens en bonnets d’eau flambée.
Non, je ne suis pas les soupirs savon en poudre des laveurs
de vitres impotents en pantalons d’atmosphère.
Non, je ne suis pas les baisers d’un habitué du soleil tubard
souriant à travers ses lèvres de rayonne.
Non, je ne suis pas les idées loqueteuses d’un philosophe
ébréché immergées dans son cerveau de granit.
Non, je ne suis pas le cri d’un héron d’améthyste, pierre ailée
fuyant les balles de batiste.
Non, je ne suis pas la piqûre d’une abeille névrosée, frustrée
dans les jardins de gaze.
Non, je ne suis pas le carillon d’une cloche muette sans bat
tant dans la gloire flétrie.
Non, je ne suis pas la détonation d’un canon silencieux
impuissant entre les mains pacifistes.
Non, je ne suis pas le cor d’un chasseur blessé, seul dans la
forêt d’os.
Non, je ne suis pas les yeux des hiboux nourrissons couvant
la nuit sans toit.
Non, je ne suis pas le sifflement des putains de la Havane
avec des urnes funéraires urbaines.
Non, je ne suis pas le hurlement des enfants bantous courbés
sous le fouet.
Non, je ne suis pas le chuchotement des arbres africains,
téléphones feuillus du Congo.
Non, je ne suis pas Ventre de Plomb du Blues, échappé des
prisons-guitares.
Non, je ne suis pas quelque chose que je ne suis pas.
(C. R/M. B.)
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CAMUS : JE VEUX SAVOIR
[…]
Camus, je veux savoir, est-ce que le goût acide du verre cassé
adoucit la langue lacérée, séchée
Camus, je veux savoir, est-ce que le goût aigre de promesse
non tenue s échappe de la bouche qui meurt er des
yeux et des lèvres
Camus, je veux savoir, est-ce que le sang libéré bouillonne
vers le sol torride des Mers Rouges microscopiques
Camus, je veux savoir, est-ce que le phare cyclope illumine
les gouffres doublés de nerfs, désirs finals
Camus, je veux savoir, est-ce que le magot secret des ques
tions non résolues réclame les solutions ultimes
Camus, je veux savoir, est-ce que l’œil du temps cligne, anti
cipation des saisons reprises et enrichies
Camus, je veux savoir, est-ce que l’écharde de quartz resen-
sualise le clash de la chair sur le chrome et l’os
Camus, je veux savoir, est-ce que la lance aigrie de la mort,
c’est le désir renié, crucifixion enfouie
Camus, je veux savoir, est-ce que le jus spirituel s échappe
aussi lentement que le sang Sahara des fils de prophètes
Camus, je veux savoir, est-ce que cela reflète la Cierge arabe
empalée sur la bouteille de bière d un jeune soldat
[…]
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MANIFESTE ABOMUNISTE
Les abomunistes ne joignent
que leurs mains ou leurs
JAMBES, OU L’ÉQUIVALENT.
Les ABOMUNISTES CRACHENT DE
L'ANTI-POÉSIE POUR DES
MOTIFS POÉTIQUES ET FRINKENT
Les ABOMUNISTES NE REGARDENT
PAS LES TABLEAUX PEINTS
PAR LES PRÉSIDENTS ET LES
PREMIERS MINISTRES AU
CHÔMAGE.
En temps de PÉRIL NATIONAL,
LES ABOMUNISTES, EN TANT
QU’AMÉRICAINS CONSCIENTS,
RESTENT PRÊTS À SE SOÛ
LER À MORT POUR LEUR PAYS.
LES ABOMUNISTES NE SENTENT PAS LA DOULEUR, MÊME
SI
ELLE FAIT TRÈS MAL.
LES ABOMUNISTES N’UTILISENT
PAS L’EXPRESSION « VIEUX JEU »
SAUF POUR PARLER À DES «
VIEUX JEUX ».
Les ABOMUNISTES NE LISENT
LES JOURNAUX QUE POUR S’AS
SURER DE LEUR ABOMINUBILITÉ.
LES ABOMUNISTES NE PORTENT JAMAIS SUR EUX PLUS DE
CIN
QUANTE DOLLARS DE DETTES.
Les abomunistes pensent que
la solution au problème
DU FANATISME RELIGIEUX EST D’AVOIR UN CANDIDAT
CATHOLIQUE POUR LA PRÉSIDENCE ET UN CANDIDAT
PROTESTANT POUR LA PAPAUTÉ.
Les abomunistes n’écrivent
pas pour de l’argent ; ILS
ÉCRIVENT L’ARGENT MÊME.
Les abomunistes ne croient
en leurs rêves que lors
qu’ils SE SONT RÉALISÉS.
Les enfants abomunistes
doivent être élevés abomuni-
blement.
Les poètes abomunistes,
persuadés que la nouvelle
forme littéraire dite «
EMPREINTE-PÉDESTRE » A
libéré l’artiste de
restrictions démodées, telles
QUE : LA CAPACITÉ DE LIRE ET D’ÉCRIRE, OU LE
DÉSIR DE
COMMUNIQUER, DOIVENT ÊTRE PRÊTS À LIRE LEURS
ŒUVRES DANS LES COLLÈGES DE DENTISTERIE, LES
ÉCOLES D’EMBAUMAGE, LES FOYERS POUR MÈRES CÉLIBA
TAIRES, LES FOYERS POUR MÈRES MARIÉES, LES ASILES
DE
FOUS, LES CANTINES DE L’USO, LES JARDINS
D’ENFANTS,
ET LES PRISONS D’ÉTAT. LES ABOMUNISTES NE TRANSI
GENT JAMAIS AVEC LEUR PHILOSOPHIE RÉJECTIONNA1RE.
Les ABOMUNISTES REJETTENT
TOUT SAUF LES BONHOMMES
DE NEIGE.
(J-F.)
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