Gaspard de la Nuit – Aloysius Bertrand
J’aime Dijon comme l’enfant, la nourrice dont il a sucé le lait, comme le poète, la jouvencelle qui a initié son cœur. — Enfance et poésie ! Que l’une est éphémère et que l’autre est trompeuse! L’enfance est un papillon qui se hâte de brûler ses blanches ailes aux flammes de la jeunesse, et la poésie est semblable à l’amandier : ses fleurs sont parfumées et ses fruits sont amers.
A UN BIBLIOPHILE
Mes enfants, il n'y a plus de chevaliers que dans les livres.
Contes d’une grand’mère à ses petits- enfants.
Pourquoi restaurer les histoires vermoulues et poudreuses du moyen âge, lorsque la chevalerie s’en est allée pour toujours, accompagnée des concerts de ses ménestrels, des enchantements de ses fées, et de la gloire de ses preux ?
Qu’importent à ce siècle incrédule nos merveilleuses légendes, Saint-Georges rompant une lance contre Charles VII au tournoi de Luçon, le Paraclet descendant, à la vue de tous, sur le concile de Trente assemblé, et le juif errant abordant, près de la cité de Langres, l’évêque Gotzelin, pour lui raconter la passion de notre-seigneur ?
Les trois sciences du chevalier sont aujourd’hui méprisées. Nul n’est plus curieux d’apprendre quel âge a le gerfaut qu’on chaperonne, de quelles pièces le bâtard écartèle son écu, et à quelle heure de la nuit Mars entre en conjonction avec Vénus.
Toute tradition de guerre et d’amour s’oublie, et mes fables n’auraient pas même le sort de la complainte de Geneviève de Brabant, dont le colporteur d’images ne sait plus le commencement, et n’a jamais su la fin !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire