Le contemplateur solitaire - Ernst Junger
Le corpis espagnol
Toute œuvre d'art est passagère, et la gloire de l'artiste s'abolit comme toute autre. Le jour viendra où Homère, lui aussi, ne sera plus cité. La grandeur de l'artiste est de servir, et la gloire de l'oeuvre est de renvoyer à un principe étranger. Ce principe est dissimulé dans le temps, mais agit comme le sel marin, qui donne goût aux mets et les conserves.
Si l'œuvre survit et charme les générations successives au milieu des changements de temps, cela vient de ce que l'artiste a accompli un sacrifice devant l'image voilée du monde, et que ce sacrifice a été exaucé. Sa gloire est d'avoir, pour l'amour d'une vérité entrevue, supporté la faim et la soif, renoncé à l'or et aux honneurs, quitté la maison de son maître. Avoir connu le monde à nouveau, dans toute sa beauté, et l'avoir trouvé virginal - c'était sa tâche et son salaire, et cela survit en l'oeuvre, comme une lumière qui s'efface lentement.
N'était cette vérité entre'aperçue, l'oeuvre resterait un bref jeu de couleurs sur le voile de Maya, le poème ne serait qu'un airain sonore, le tableau une tâche de couleur sur une aile de papillon, la statue un bloc de pierre inanimé. Mais la vision confuse et l'humilité prodigue d'elle-même ont suffi, l'oeuvre eût-elle pris naissance sur une île désertz, ou été peinte sur un rideau que déjà les flammes dévoraient.
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