Les schizophrènes - Racamier
3. De la folie dans la schizophrénie
Où l'on voit que folie n'est pas encore psychose
Or, c’est un de ses meilleurs travaux que Searles (1959-1965) a consacré à décrire, dans ses techniques et ses motifs, l’effort de rendre l’autre fou — définissant cet effort comme « ce qui tend à activer différents secteurs de la personnalité en opposition l’un contre l’autre ». Précisons, quant à nous, cette définition beaucoup trop vague : pour rendre fou, il faut activer chez l’autre des tendances inconciliables sans qu’elles puissent ni se disjoindre ni se rencontrer : nous verrons plus tard que telle est au juste la définition clinique du paradoxe.
Il décrit différentes méthodes :
— faire rapidement alterner chez l’autre excitation et frustration (sexuelle ou autre);
— engager l’autre avec force et simultanément dans des registres relationnels tout à fait hétérogènes et incompatibles entre eux (comme cette schizophrène jolie, qui entraîne vigoureusement l’analyste dans une haute discussion philosophique, tout en affichant des poses érotiques peu résistibles);
— changer imprévisiblement d’humeur ou de « longueur d’onde affective » (comme cette mère qui sort du temple dans l’extase et aussitôt après jette un vase à la tête de son fils — et celui-ci plus tard, quand on lui parlera de sa mère, protestera qu’il n’en a pas une seule, mais une foule).
On le voit : les stratégies de la folie font perdre confiance au moi dans la perception qu’il a des autres et de soi. Nous verrons bientôt que le processus est encore plus complexe, car perception et fantasme sont concernés du même coup.
Réussie ou non, l’imposition de la folie ressortit à différents motifs : équivalent de meurtre; expulsion dans autrui de quelque chose au-dedans de soi qui est trop pesant, ou ressenti comme fou; quête de l’âme-sœur pour apaiser un sentiment de solitude; révélation d’une folie latente obscurément pressentie chez l’autre; et, par-dessus tout, lutte contre l’autonomie de l’autre, et préservation d’une relation "symbiotique" .
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4. Omnipotence omnipotence créatrice
Où l'on voit le travail du vide éviter la perte du réel
d’une omnipotence inanitaire
Si vous rencontrez un schizophrène pendant des années, il vous arrivera plus d’une fois de vous trouver saisi par une action psychique d’une espèce très particulière, et parfois d’une force irrésistible. Face à lui, vous vous sentirez insidieusement effleuré, gagné puis envahi par un sentiment d’insignifiance. Il vous semblera que non seulement vos paroles, mais votre pensée, et enfin toute votre personne sont non seulement dénuées de sens, mais vidées de signifiance. Il ne reste de vous qu’une coquille emplie de vide. Ce n’est pas là l’impression la plus agréable qu’on puisse éprouver, et nous verrons un peu plus loin que d’ordinaire on s’en défend farouchement : tout vaut mieux qu’une telle plénitude de vacuité.
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Elle est menée par le regard et par les propos; elle est insidieuse et térébrante; c’est comme un laser qui viderait la substance de l’objet, ne laissant de lui qu’une dépouille; ainsi voit-on parfois des troncs d’arbres rongés par dedans : debout, mais vidés. Il n’est pas inutile de remarquer que cette inanisation vise moins à détruire l’objet qu’à juste le vider de sens et d’intérêt.
Ce qu’on décrit là se distingue donc de l’investissement micropsique de l’objet, tel qu’on le voit dans la manie, et se distingue aussi bien du désintérêt par désinvestissement, tel qu’il s’observe chez les déprimés, qui en souffrent; de l’inanité, bien au contraire, c’est l’objet qui souffre, tandis que triomphe le sujet qui l’impose — mais on verra bientôt que la formule se complique.
L’inanité n’est pas exactement ce déni d’existence, ce retrait d’investissement ou cette destruction fantasmatique, et vécue, de l’objet, que l’on connaît par Freud, ou par M. Klein. D’ailleurs le déni complet fait le vide tout autour de son objet, comme fait le refoulement en attirant à lui les représentations connexes, tandis que l’inanisation attaque l’objet « à cœur ».
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On voit par là que, paradoxalement, l’inanité est pour le malade une façon de préserver l’objet; de le surmonter absolument ; de l’isoler, et enfin de l’avoir exclusivement à soi.
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5. De deux ou trois réalités
Où l'on voit le schizophrène aux prises avec l'impossible choix entre son monde et son Moi
C’est ainsi, on le sait, que les schizophrènes sont organisés — et souvent avec succès — pour que rien ne change en eux ni autour d’eux, tant ils éprouvent d'angoisse devant quelque changement que ce soit, qui non seulement compromettrait leur système économique, mais les exposerait à la dissolution narcissique.
Il va de soi qu’à leurs yeux le psychanalyste est détestable pour les changements qu’il ne promet pas mais que, pire, il promeut (cf. Searles, 1961-1965).
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L’objet, pour un psychotique, voilà donc l’ennemi. Il est ennemi parce qu’il existe : le danger pour un psychotique est bien d’être aspiré par et dans l’objet — aspiré, donc absorbé. Que l'objet devienne dangereux de par les projections qui lui sont envoyées, nous le savons ; mais un danger plus radical est tapi sous ces péripéties importantes : l’objet est ennemi du seul fait j d’être investi.
S’il est haïssable et haï, c’est parce qu’il est aimé. De là, pour l’essentiel, cette confusion que font si souvent les psychotiques entre l’amour et la haine — une confusion qui n’est pas à confondre avec de l’authentique ambivalence.
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Le combat avec le réel, c’est la grande affaire des schizophrènes; pas plus qu’ils n’en supportent l’attrait, ils n’en supportent l’absence. Peu conformes aux idées reçues, on exposera deux modalités d’organisation de leur rapport au réel et à l’objet.
1. L’engrènement est la première. — Chacun sait que vivant comme des machines, ils projettent à cette image celle de leur corps (Tausk). Machine est également leur objet. Le psychotique et son objet : machine et machine aux rouages engrenés. Les vicissitudes de l’identification projective illustrent une évidence : il n’arrive rien au sujet qui n’arrive à l’objet, et vice versa. Ce fonctionnement se traduit par un vécu d’intrusion. Intrusion de l’objet, intrusion par l’objet se suivent, s’enchaînent et parfois s’entremêlent. Avec les schizophrènes, nous entrons dans un monde d’intrusion réciproque. (Il en est de même avec les caractères paranoïdes.)
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Délirer dans le réel
On se souvient du couple complémentaire que nous avons vu se mettre à l’œuvre entre l’utilisation surréalitaire (narcissiquement perversive) d’un objet réel, et le recours également surréalitaire à une néoformation délirante. C’était, disions-nous, l’un ou l’autre; c’était en fait l’un puis l’autre; et enfin c’était l’un avec l’autre. Ce dernier modèle est le mieux illustré par les relations du schizophrène avec sa mère. Dans certains cas, remarquables en ce qu’ils sont à cheval sur les deux méthodes, un délire se crée, mais au lieu d’instaurer une néo-réalité et d’inventer sa coquille, il se glisse comme un bernard-l’ermite et se tapit dans le tissu d’une réalité objectivement présente; c’est ce que j’appelle délirer dans le réel. Je ne désigne pas ainsi les délires interprétatifs : toute interprétation est une construction, surtout quand elle déraille. Mais je pense à ceux qui délirent dans des objets bien réels, de telle sorte que les contours de leur délire se confondent avec « l’hôte » où il se loge et qu’il faut une observation exercée pour l’apercevoir et le cerner.
Ce sont des délires intimes et discrets : murmures de délire infiltrés dans les choses.
Deux cas : l'objet de contenance délirante est «extérieur, il peut consister dans une machine, qui diffèrent de celle de Nathalie en ce qu'elle est concrète — mais qu’elle se dérobe, cette machine, et le patient fera un accès aigu, dépressif ou délirant.
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6. De la séduction narcissique
Où l'on démontre que 1 + 1 = 1 = infini
8. Schizophrénie et paradoxalité
Où l'voit les schizophrènes donner une réponse inédite à la question de Hamlet
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