jeudi 22 octobre 2015

Sentiments élégiaques américains - Gregory Corso

Sentiments élégiaques américains - Gregory Corso



ÉCRIT SUR LES MARCHES DE PUERTO RICO HARLEM

Il y a une vérité qui limite l’homme
Une vérité qui l’empêche d’aller plus loin
Le monde change
Le monde sait qu'il change
Lourde est la tristesse du jour
Les vieux ont un air de ruine
Les jeunes méprennent leur destin dans cet air
C’est la vérité
Mais ce n’est pas toute la vérité
La vie a un sens
Et je ne connais pas ce sens
Même quand je pensais quelle n’avait pas de sens
J’espérais je priais je cherchais un sens
Tout n’était pas que gambades poétiques
Il avait des dettes à payer
Appelant la Mort et Dieu
J’avais une envie sauvage de Les empoigner
La Mort se révéla insensée sans la Vie
Oui le monde change
Mais la Mort reste la même
Elle arrache l’homme à la Vie
Le seul sens qu’il connaisse
Et d’habitude c’est une triste affaire
Cette Mort
J’avais de l’innocence j’avais du sérieux
J'avais de l’humour qui m’ont sauvé de la philosophie amateur
Je suis capable de contredire ce que je crois
Je suis capable je suis capable
Car je veux connaître le sens de tout
Cependant assis comme une fêlure
Me lamentant : Oh quelle responsabilité
Pèse sur toi, Gregory
La Mort et Dieu
Dur dur c'est dur

J’ai appris que la vie n’était pas un rêve
J’ai appris que la vérité trompe
L’Homme n’est pas Dieu
La vie est un siècle
La Mort un instant

POUR CEUX QUI SE SUICIDENT
Il vaudrait mieux être en vie dans un univers de mort
Que mort dans un univers de vie ;
ils se ment parce qu’ils craignent la mort ;
seuls les amants de la vie sont dignes de mourir —


ECRlT LA VEILLE DE MON 32e ANNIVERSAIRE
un poème lent, réfléchi et spontané

J'ai 32 ans
et enfin je fais mon âge, sinon plus.
Est-ce un bon visage, ce qui n’est plus un visage de gosse ?
Il a l’air plus gras. Et mes cheveux,
ils ne frisent plus. Mon nez est-il gros ?
Les lèvres sont les mêmes
Et les yeux, ah, les yeux sont de mieux en mieux.
32 et pas de femme, pas de gosse, pas de souffrances-gosse,
            mais j’ai tout le temps.
Je ne fais plus le con.
Et à cause de cela je dois me laisser dire par mes soi-disant amis :
«Tu as changé. Autrefois tu étais si fou, si génial. »
Ils ne se sentent pas à l’aise quand je suis sérieux.
Qu’ils aillent à Radio City Music Hall.
32 ; j’ai vu toute l’Europe, j’ai rencontré des millions de gens ;
fus magnifique pour certains, horrible pour d’autres.
Je me souviens de ma 31e année quand j’ai gueulé :
«Et dire que je vais peut-être encore en avoir pour 31 ans ! »
Cet anniversaire-ci c’est différent.
Je sens que je veux être sage avec des cheveux blancs dans une
[vaste bibliothèque,
            dans un fauteuil profond près d’une cheminée.
Encore une année de plus où je n’ai pas volé.
8 ans déjà que je n’ai rien volé
Je ne vole plus!
Mais je mens encore parfois,
et je suis toujours effronté quoique honteux quand il s’agit
            de demander de l’argent.
32 ans et quatre drôles durs tristes mauvais merveilleux
livres de poèmes
— le monde me doit un million de dollars.

Je pense que j’ai eu 32 ans vraiment bizarres.
Et ce n’est pas de ma faute, vraiment.
Pas de choix entre deux chemins ; s’il y en avait eu,
je suis sûr que je les aurais choisis tous les deux.
J’aime à penser que la chance a voulu que je sonne la cloche.
L’indice se trouve, peut-être, dans ma déclaration, aucunement
[ébranlée :
«Je suis un bon exemple qu’il y a une chose appelée âme. »
 J’aime la poésie parce qu’elle me fait aimer
et me présente la vie.
Et de tous les feux qui meurent en moi,
il y en a un qui brûle comme un soleil ;
il n’éclaire peut-être pas ma vie personnelle,
mon association avec les gens,
ou ma conduite envers la société,
mais il m’assure que mon âme a une ombre.


SENTIMENTS ÉLÉGIAQUES AMÉRICAINS
A la chère mémoire de Jack Kerouac

1

Si inséparables toi et l’Amérique que tu voyais mais qui n’était
jamais là à voir ; toi et l’Amérique, comme l’arbre et le sol, vous êtes un et identiques ; et cependant ce que vous ressemblez à un palmier en Oregon... mort avant de fleurir, pareil à la neige polaire franchissant le Miami —
Combien ce que tu étais ou espérais être, et que l’Amérique
n'était pas, l’Amérique que tu voyais et cependant ne pouvais pas voir
Si semblable et cependant si diffèrent de la terre dont tu
 provenais ; tu étais debout sur l’Amérique pareil à un arbre sans racines et à coque plate ; pour l’écureuil il n’y avait nul divorce entre le sol et l’arbre... jusqu’à ce qu’il ne vît aucun gland tomber, alors il sut qu’il n’y avait pas de mariage entre les deux ; si stérile, si inutile, la triste artificialité de la nature ; pas surprenant que l’aube ait cessé d’être une joie... car à quoi bon la terre et le soleil quand l’arbre au milieu n’est bon à rien... la trinité inséparable, une fois découpée, devient une mortalité froide, stérile, sans sens et trois fois marquée dans son horrible amputation... O boucher, la côte de porc n’est pas le porc — L’Américain aliéné en Amérique est un tronc amer ; et même cette élégie, cher Jack, aura son arbre charcuté, un arbre abattu et défait, qui la contiendra — pas surprenant qu’aucune bonne nouvelle ne puisse être écrite sur une aussi mauvaise nouvelle —
Si étranger le domicile naturel, aïe, aïe, et 1 arbre meurt quand
la terre est étrangère, froide, asservie — Les vents ne savent pas souffler la graine du séquoia où nul n était auparavant ; nul palmier n’est soufflé vers l’Oregon, si sage le vent — Sages aussi ceux qui envoient le prophète... connaissant la fertilité de l’endroit désigné où telle prophétie doit être annoncée et répandue — le semeur de blé ne sème pas dans les champs de canne à sucre ; car celui qui a envoyé la voix a également envoyé l'oreille. Et si le petit Lichtenstein, et non l’Amérique, était le destinataire... sûrement alors nous aurions les langues du Lichtenstein —
C'était moins notre découverte de l’Amérique que l’Amérique
découvrant sa voix en nous ; beaucoup ont parlé à l’Amérique comme si l’Amérique leur appartenait par droit de propriété par droit légal acquis législativement par coups d’État matérialistes de richesses accumulées et d’héritages ; comme le citoyen de la société se croit le propriétaire de celle-ci, et ce qu’il fait de soi-même il le fait de l’Amérique et ainsi quand il parle de l’Amérique il parle de lui-même, et bien souvent untel est dûment choisi pour représenter ce qu’il représente... l’ego infernal d’une certaine Amérique
Ainsi plus d’un patriote parle affectueusement de lui-même
quand il parle de l’Amérique, et ne pas l’apprécier c’est ne pas apprécier l’Amérique, et vice versa
La langue de la vérité est la vraie langue de l’Amérique, et ne
pouvait être trouvée dans les Daily Heralds dont la voix était une voix contrôlée, méchamment opiniâtre et dirigée vers les jobards
Pas surprenant que nous nous soyons retrouvés déracinés... car
nous sommes devenus les racines elles-mêmes — le mensonge ne peut jamais prendre racine et y pousser sans une vérité de soleil et ainsi produire le fruit de la vérité.
Hélas, Jack, on dirait que je ne peux pas te requiémer sans
réquimer l'Amérique, et ça c’est un requiem dont je ne présumerai pas, car aussi longtemps que je vis il n’y aura pas de requiem pour moi
Car bien que l’arbre renaît, uniquement quand
l'arbre meurt pour toujours et qu’aucun arbre ne renaît... mourra aussi la terre
A toi les yeux qui ont vu, le cœur qui a senti, la voix qui a chanté
et pleuré ; et aussi longtemps que vivra l’Amérique, bien que ton vieux corps de Kerouac soit mort, tu vivras... car vraiment notre temps fut un temps de prophétie sans la mort pour conséquence... car vraiment après nous est venu le temps des assassins, et qui doutera de tes dernières paroles « Après moi... le déluge »
Ah, mais si c'était une affaire de saisons je ne douterais pas du
retour de l’arbre, car à quoi bon le sol sur lequel nous sommes debout lui-même incapable d’être debout —  aïe, l’arbre tombera dans le temps des saisons, car ainsi le veut la nature, c’est pourquoi Je sol, le bas, la lente mais sûre décomposition, jusqu’à ce que l’arbre lui- même devienne le sol où jadis il se dressait : cependant le sol tombe... ah, et alors ? cela par nature reste sans réponse, car il n’y a pas de sol où tomber et atterrir, pas d’en bas, pas d’en haut, pas de directions, et dans quelle composition, si composition il y a, va sa décomposition ?
Nous sommes venus annoncer l’esprit humain au nom de la beauté et de la
vérité ; et maintenant cet esprit hurle au nom de la nature l’imbalance horrifique de toutes les choses naturelles... l’insaisissable nature prise au piège ! comme un oiseau dans la main, subjuguée et planifiée dans les voies non évolutionnelles de l’expérimentation et de la technique
Ou bien que l’arbre ait pris racine dans la terre la terre est
retournée et dans ce vomi forcé est dégueulé l’implacable miasme des arbres de la mort fossilisés le bitume vieux de millions d’années et la graisse d’un âge dinosaurien mort et passé le tout ramené de nouveau à la surface et forcé à rôder à travers le ciel que nous respirons dans les ruées effrénées de la pollution
Quel espoir pour cette Amérique incarnée en toi, ô mon ami,
quand le même alcool qui a désincarné ton frère peau- rouge de son Amérique, t’a désincarné — un complot pour se saisir de leurs terres, nous le savons — quel complot cependant pour se saisir de la terre insaisissable de l’esprit d’un homme ? Ton Amérique visionnaire fut impossible pour la non-vision — car quand sont fermés les volets des fenêtres de l’esprit, ce qui fut persiste néanmoins... les yeux de l’esprit voient toujours
Aïe l’Amérique si incarnée en toi, y prenant si définitivement
racine, est l’incarnation vivante de toute l’humanité, jeune et libre
Et bien que le grand arbre rédempteur fleurisse, pas encore
complètement, pas encore absolument certain, il y a les obscurantistes, tristes et vieux, qui aimeraient qu’il tombe ; ils coupent et hachent et scient... afin d’être sûrs que rien de complet rien de jeune et de libre ne reste debout
En vérité quand des arbres comme la jeunesse... quand ceux-là
seront abattus, et ne se lèveront plus pour retomber, alors tombera la terre, alors viendra le déluge défaire le tout, le tout et pour toujours, pareil à un vent soufflant de nulle part à nulle part.
2
«Tes mains si pareilles aux mains de Clark Gable... » (conversation
Mexico 1956) — Mains si fortes et brûlées par le soleil mexicain, occupées avec l’Amérique, mains qui — je le savais — allaient la construire, qui allaient protéger et soigner
Tu parlais toujours Amérique, et l’Amérique pour moi ce
fut toujours l'histoire, le général Wolfe couché par terre  dans sa brillante tunique rouge abattu par une tunique bleue suspendu dans la salle de classe à côté du père de notre pays dont la région du cœur était peinte couleur de nuages... oui, notre histoire était une histoire américaine, une histoire avec un avenir, sûrement ;
Toujours il nous fallait un Whitman, un espérant, une Amérique,
cette Amérique toujours une Amérique à venir, jamais une Amérique qu’on pourrait chanter, mais toujours une Amérique vers laquelle on pourrait chanter avec espoir
Nous n’avions qu’une Amérique avec son passé et nous-mêmes,
l’Amérique de maintenant, et oh la manière dont nous contemplions ce passé ! Et oh quel mensonge que cette salle de classe ! La Guerre Révolutionnaire... on n’avait droit qu’à Washington, Revere, Henry, Hamilton, Jefferson et Franklin... jamais à Nat Bacon, Sam Adams, Paine... et la liberté ? pas pour se libérer cette guerre, ils avaient la liberté, c’étaient les gens les plus libres de leur temps ; c’était pour ne pas perdre cette liberté qu’ils ont pris les armes — et cependant, et cependant, la saison qui nous fit éclore sur la scène n’était pas vraiment libre ; y a-t-il liberté aujourd’hui ? pas si vous écoutez ce que raconte l’Indien, le Noir, le jeune —
Et au commencement quand liberté émit tout ce qu’on entendait
; y en avait pas beaucoup pour les sorcières de Salem; et ce grand exalteur de la liberté, Franklin, payait une prime de 100 dollars pour chaque scalp d’enfant sauvage de l’indépendance naturelle ; Pitt Jr. obtint la plus grande partie de la Ville de l’Amour Fraternel par une supercherie si outrageuse qu’elle remplit le coeur confiant de son frère rouge d’une tortueuse méfiance ; et si ignorant de la liberté le sage Jefferson Propriétaire des perdants noirs de la liberté ; pour les déclareurs de l’indépendance la déclarer seulement pour une partie c’était déclarer la guerre civile
La justice quoi un homme épris de liberté a
besoin d espérer ; et la justice fut ce qu'on trouva de plus important ; un diadème pour la vie américaine sur lequel le couple propriété privée-Dieu pouvait s’établir ;
Ce que les pauvres indigènes américains ont souffert
 de l’établissement rigoureux de ces deux piliers de la liberté !
De la justice est issu un Dieu variable, de Dieu est issue une justice dictée
«Les chemins du Seigneur conduisent à la liberté», dit saint
Paul... mais un homme a besoin de liberté, et non de Dieu, pour être capable de suivre les chemins de Dieu
La justice du droit de propriété n’est pas justifiable pour ceux à
qui la terre par droit des premiers venus appartient collectivement ;
Celui qui vend la terre des hommes à un seul homme vend
le pont de Brooklyn
La seconde cause la plus importante de la mort des hommes...
est l’acquisition de propriété
Nulle vie américaine ne vaut un lopin de terre américaine... si
DÉFENSE D’ENTRER chiens de garde ne vous l’apprennent pas, les fusils le feront Alors, doux chercheur, quelle Amérique cherchais-tu au juste ?
Sache qu’aujourd’hui il y a des millions d’Américains à la recherche de l’Amérique... sache que même avec tous ces produits chimiques qui écarquillent les yeux — ils ne voient que plus ce qui n’est pas là Certains trouvent l’Amérique dans de lourdes chansons en pierre, d’autres dans les brouillards de la révolution
Tous la trouvent dans leurs cœurs... et oh ce qu’elle serre le cœur
Non pas qu'ils soient tellement emprisonnés dans une vieille et
insupportable Amérique... plutôt l’Amérique emprisonnée en eux — qui détruit et obscurcit l’esprit
Une Amérique pas vue, rêvée, tremblements incertains,
crève le cœur, émet de mauvaises vibrations cosmiques et autres
On peut lire le mépris dans leurs jeunes yeux tristes... et
            entre-temps les prisons deviennent des salons de coiffure, et l'armée l’a toujours été
Mais ils sont incapables de raser l’ouragan de leurs yeux
Pense à Moïse, nul prophète n’a jamais atteint les terres rêvées...
ah mais tes yeux sont morts... ni l’Amérique au-delà de ta dernière colline rêvée suspendue réelle

3

Si semblables nos cœurs et le temps et la mort, et notre Amérique
dehors et dans nos cœurs insatiables mais débordants d’alléluias de poésie et d’espoir
Nous savions si bien sentir chaque aube, les oh et les ah de chacune
des peines et faiblesses retentissaient de l’Atlantique au Pacifique à la recherche de n’importe quelle joie solide jamais là maintenant à jamais grise
Oui l’Amérique l’Amérique sans tache et jamais révolutionnée
pour la liberté à jamais libre en nous — sans frontières et sans histoire, nous l’Amérique, nous les pères de cette Amérique, l’Amérique que tu as ensemencée à la Johnny Appleseed, l'Amérique que j’ai proclamée, une Amérique pas là, une Amérique qui sera bientôt
le prophète influence l’État, et l’État influence le prophète —
Qu’est-ce qui t’est arrivé, mon ami, qu’est-ce qui est arrivé à l’Amérique, et nous savons ce qui est arrivé à l’Amérique — la tache... les taches,
Oh et cependant quand on demande ce qui t’est arrivé
je réponds « Ce qui est arrivé à l’Amérique lui est arrivé - les deux étaient inséparables ». La voix est à la parole ce que le vent est au ciel...
Et maintenant cette voix n'est plus, et maintenant cette parole
est os, et l'Amérique est en partance, la planète désossée
Un homme peut avoir tout désire chez lui mais
n'avoir rien devant la porte -- pour un homme sensible, un homme poète, un tel dehors ne sert qu'à faire de son chez-soi un endroit où se pendre.
Et nous, doux ami, nous avons toujours ramené l’Amérique
chez nous — et jamais comme du linge sale, malgré toutes ses taches
Et par la grande porte, amoureusement serrée dans nos cœurs ;
nous nous sommes assis et lui avons conté nos rêves de beauté pleins de l’espoir quelle quitterait nos maisons toute belle
Et qu’est-il arrivé à notre rêve de belle Amérique, Jack ?
Te semblait-elle belle, sonnait-elle de même, dans son bleu
froid et électrique, cette Amérique vomissante qui empestait ta maison, ton bon cerveau, cette Amérique fausse et irréelle, cette caricature de l’Amérique, cette Amérique branchée sur prise murale... un gallon de whisky désespéré par jour il t’a fallu pour pouvoir regarder cette Amérique dans ses yeux désincarnés
Et elle ne t’a pas vu, ne t’a jamais vu, car ce que tu voyais
n’était pas là, ce que tu voyais c’était cette laugh-in, et toute l’Amérique se marrait chez elle, cette Amérique t’a ramené chez toi, tout ce dehors reconduit à la maison, tout ce rien ramené nulle part, pas surprenant que tu aies été seul, que tu sois mort vide et triste et solitaire, toi, visage et voix réelle... pris devant le visage et la voix fausse — et cela est devenu réel et, toi, faussé,
Oh la terrible fragilité des choses
« Qu’est-ce qui lui est arrivé ? » « Qu’est-ce qui t’est arrivé ? »
mort lui est arrivée ; une vie escroquée est arrivée ;  Dieu maladif est arrivé ; un rêve cauchemardisé ;une jeunesse militarisée ; une armée massacrée ; le père veut manger le fils, le fils nourrit son pied, mais le père ne prend pas son pied
Et toi, Jack, pauvre Jack, tu as regardé mourir ton père, mourir
ton Amérique, mourir Dieu, mourir ton corps, mourir mourir mourir ; et aujourd’hui les pères regardent leurs fils mourir, et leurs fils regardent mourir des bébés, pourquoi ? Pourquoi ? Si souvent tous les deux nous nous sommes demandé POURQUOI ?
Oh la triste triste honte de tout cela

Toi rien qu’une décennie de Kerouac, mais toute une vie dans
ce dix Kerouac !
Rien ne t’est arrivé qui ne soit arrivé ; rien n’est resté inexaucé,
t’as cerclé un cercle complet, et ce qui arrive à l'Amérique ne t’arrive plus à toi, car ce qui arrive à. la conscience du pays arrive à la voix de cette conscience et la voix est morte mais le pays survit pour oublier ce qu’il a entendu et la parole ne laisse aucun os derrière elle
Et la parole ainsi que le pays de chair et de terre souffrent
de la même maladie, la même mort... et meurt la voix avant la chair, et le vent souffle un silence mort dessus la terre mourante, et la terre laissera son os derrière elle, et rien de vent ne roulera le soupir, sauf le silence, que l’oreille de Dieu n'entendra même pas
Aïe, ce qui t’est arrivé, cher ami, ami compatissant,
est ce qui arrive à tous et à toute chose sur cette planète, cette planète bruyante et tristement désespérée à laquelle manque vraiment une voix... irrécupérable comme le vent... partie, et qui maintenant chassera les terribles miasmes de l’âme-chair-de-terre de l’Amérique malade, malade et mourante
Quand tu as pris la route cherchant l’Amérique tu n'as trouvé
que ce que tu y mis et un homme qui cherche de l’or trouve la seule Amérique qu’il y ait à trouver ; et son investissement et celui d’un poète... identiques quand survient le crash, et le crash est là, mais les fenêtres sont bloquées, ne sont pas faites pour sauter ; personne n’est jamais tombé de l’enfer

4

En enfer les anges chantent aussi
Et ils chantaient pour voir de nouveau
Ceux qui suivirent le premier porteur du Christ
quittèrent l’enfer et virent un monde nouveau
mais ils sont arrivés avec fusils et bibles
et sous peu leur nouvelle colonie vieillit
et de nouveau l’enfer régna
Je fus ton Archange Gabriel
Et je posai la Croix du Seigneur des Anges
sur toi... là
la veille d’un nouveau monde à explorer
Et tu fus projeté sur le vieux jour s’assombrissant
un garçon-Christ beat... porteur de la douce rondeur des choses soutenant que l’âme était ronde et non carrée
Et bientôt... derrière toi
commencèrent à suivre
les enfants des fleurs

            North Beach, San Francisco 1969

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