mercredi 7 octobre 2015

Le livre du philosophe - Nietzsche



Le livre du philosophe - Nietzsche

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Il faut établir la proposition : nous ne vivons que grâce à des illusions — notre conscience effleure la surface. Bien des choses échappent à notre regard. Il n’est pas non plus à craindre que l’homme se connaisse jamais totalement, qu’il pénètre à tout instant toutes les lois des forces du levier, de la mécanique, toutes les formules de l’architecture, de la chimie, qui sont utiles à la vie. Mais il est bien possible que le schème entier en devienne connu. Cela ne change presque rien à notre vie. Pour elle il n’y a, dans tout cela, que des formules désignant des forces absolument inconnaissables.
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Nous vivons assurément, grâce au caractère superficiel de notre intellect, dans une illusion perpétuelle nous avons donc besoin, pour vivre, de l’art à chaque instant. Notre œil nous retient aux formes. Mais si nous sommes nous-mêmes ceux qui avons éduqué graduellement cet œil, nous voyons aussi régner en nous-mêmes une force artiste. Nous voyons même dans la nature des mécanismes contraires au savoir absolu : le philosophe reconnaît le langage de la nature et dit : « Nous avons besoin de l’art » et « il ne nous faut qu’une partie du savoir ».
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Le fait d’imiter est le contraire du fait de connaître en ce sens que précisément le fait de connaître ne veut faire valoir aucune transposition mais veut maintenir l’impression sans métaphore et sans conséquences. A cet usage, l’impression est pétrifiée : elle est prise et marquée par les concepts, puis tuée, dépouillée et momifiée et conservée sous forme de concept.
Or il n'y a pas d'expression « intrinsèque » et pas de connaissance intrinsèque sans métaphore. Mais l'illusion à ce sujet persiste, c'est-à-dire la croyance à une vérité de l’impression sensorielle. Les métaphores les plus habituelles, celles qui sont usuelles, ont maintenant valeur de vérités et de mesure pour les plus rares. Seule gouverne ici en soi la différence entre coutume et nouveauté, fréquence et rareté.
Le fait de connaître est seulement le fait de travailler sur les métaphores les plus agréées, c'est donc une façon d’imiter qui n'est plus sentie comme imitation. Il ne peut donc naturellement pas pénétrer dans le royaume de la vérité.
Le pathos de l’instinct de vérité présuppose l'observation que les différents univers métaphoriques sont désunis et se combattent, par exemple le rêve, le mensonge, etc., contre la manière de voir habituelle et usuelle : l'une est plus rare, l'autre plus fréquente. Ainsi l’usage combat l’exception, le réglementaire contre l'inhabituel. De là vient que le respect de la réalité quotidienne passe avant le monde du rêve.
Or ce qui est rare et inhabituel est ce qui a le plus de charme — le mensonge est ressenti comme séduction. Poésie.

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