SECTION I. PAPIERS CLASSÉS
I. ORDRE
2-227 Ordre par
dialogues.
Que
dois-je faire. Je ne vois partout qu'obscurités. Croirai-je que je ne suis
rien? Croirai-je que je suis dieu ?
7-248 Lettre qui
marque l'utilité des preuves. Par la Machine.
La
foi est différente de la preuve. L'une est humaine et l'autre est un don de
Dieu.
10-167 Les
misères de la vie humaine ont fondé tout cela. Comme ils ont vu cela ils ont
pris le divertissement.
II VANITÉ
13-133 Deux
visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier font rire ensemble
par leur ressemblance.
24-127 Condition
de l'homme. Inconstance, ennui, inquiétude.
28-436
Faiblesse.
Nous
sommes incapables et de vrai et de bien.
33-374 Ce qui
m'étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonné de sa
faiblesse.
On
agit sérieusement et chacun suit sa condition, non pas parce qu'il est bon en
effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savait
certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure et
par une plaisante humilité on croit que c'est sa faute et non pas celle de
l'art qu'on se vante toujours d'avoir.
39-141 Les
hommes s'occupent à suivre une balle et un lièvre : c'est le plaisir même des
rois.
44-82
Imagination
C'est
cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté,
et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours, car elle serait règle
infaillible de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge. Encore Mais,
étant le plus souvent fausse elle ne donne aucune marque de sa qualité marquant
du même caractère le vrai et le faux. Je ne parle pas des fous, je parle des
plus sages, et c'est parmi eux que l'imagination a le grand droit de persuader
les hommes. La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses.
Cette superbe
puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer,
pour montrer
combien
elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a
ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres.
Elle fait croire, douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait
sentir. Elle a ses fous et ses sages.
S'ils
avaient la véritable justice, et si les médecins avaient le vrai art de guérir
ils n'auraient que faire de bonnets carrés
L'imagination
dispose de tout; elle fait la beauté, la justice et le bonheur qui est le. tout
du monde.
S'ils
y arrivent ils en écachent la pointe et appuient tout autour plus sur le faux
que sur le vrai.
45-83
Les sens abusent la raison par de fausses apparences.
47-172 Nous ne
nous tenons jamais au temps présent.
Nous
le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige, et s'il nous est agréable nous
regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et
pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps
où nous n'avons aucune assurance d'arriver.
Que
chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes occupées au passé ou à
l'avenir.
Ainsi
nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et, nous disposant toujours
à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
48-366
L'esprit de ce souverain juge du monde n'est pas si indépendant qu'il ne soit
sujet à être troublé par le premier tintamarre qui se fait autour de lui.
III. MISÈRE
60-
De
cette confusion arrive que l'un dit que l'essence de la justice est l'autorité
du législateur, l'autre la commodité du souverain, l'autre la coutume présente,
et c'est le plus sûr.
66-326
Injustice.
Il
est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n'y
obéit qu'à cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il faut lui dire en
même temps qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois, comme il faut obéir aux
supérieurs non pas parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs.
70-165bis Si
notre condition était véritablement heureuse il ne faudrait pas nous divertir
d'y penser.
72-66
Il faut se connaître soi-même. Quand cela ne servirait pas à trouver le vrai
cela au moins sert à régler sa vie, et il n'y a rien de plus juste.
73-110
Le sentiment de la fausseté des plaisirs présents et l'ignorance de la vanité
des plaisirs absents cause l'inconstance.
75-389 L'Ecclésiaste
montre que l'homme sans Dieu est dans l'ignorance de tout et dans un malheur
inévitable, car c'est être malheureux que de vouloir et ne pouvoir. Or il veut
être heureux et assuré de quelque vérité. Et cependant il ne peut ni savoir ni
ne désirer point de savoir. Il ne peut même douter.
77-152 Orgueil.
Curiosité
n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler,
autrement on ne voyagerait pas sur la mer pour ne jamais en rien dire et pour
le seul plaisir de voir, sans espérance d'en jamais communiquer.
78-126
Description de l'homme. Dépendance, désir d'indépendance, besoins.
79-128 L'ennui qu'on a
de quitter les occupations où l'on s'est attaché. Un homme vit avec plaisir en
son ménage; qu'il voie une femme qui lui plaise, qu'il joue 5 ou 6 jours avec
plaisir, le voilà misérable s'il retourne à sa première occupation. Rien n'est
plus ordinaire que cela.
V. RAISONS DES
EFFETS
83-327
Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle qui est le
vrai siège de l'homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent, la
première est la pure ignorance naturelle Où se trouvent tous les hommes en
naissant, l'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui ayant
parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir trouvent qu'ils ne savent rien
et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis, mais c'est
une ignorance savante qui se connaît
92-335 Raison
des effets.
Il est donc vrai de dire que tout le monde est dans
l'illusion, car encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le
sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n'est pas. La
vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent.
Il est vrai qu'il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la
naissance est un avantage effectif, etc.
103-298 +
Justice, force.
La
justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique.
VI. GRANDEUR
113-348 Roseau
pensant.
Ce
n'est point de l'espace que je dois chercher ma dignité, mais c'est du
règlement de ma pensée. Je n'aurai point d'avantage en possédant des terres.
Par l'espace l'univers me comprend et m'engloutit comme un point : par la
pensée je le comprends.
118-402 Grandeur de l'homme dans sa
concupiscence même, d'en avoir su tirer un règlement admirable et en avoir fait
un tableau de charité.
VII.
CONTRARIÉTÉS
119-423
Contrariétés. Après avoir montré la bassesse et la grandeur de l'homme. Que
l'homme maintenant s'estime son prix. Qu'il s'aime, car il y
a en lui une nature capable de bien; mais qu'il n'aime pas pour cela les
bassesses qui y sont. Qu'il se méprise, parce que cette capacité est vide; mais
qu'il ne méprise pas pour cela cette capacité naturelle. Qu'il se haïsse, qu'il
s'aime : il a en lui la capacité de connaître la vérité et d'être heureux; mais
il n'a point de vérité, ou constante, ou satisfaisante.
122-416 APR.
Grandeur et Misère.
En
un mot l'homme connaît qu'il est misérable. Il est donc misérable puisqu'il
l'est, mais il est bien grand puisqu'il le connaît.
124-125
Contrariétés.
L'homme est
naturellement crédule, incrédule, timide, téméraire.
127-415 La nature de l'homme se considère en deux
manières, l'une selon la fin, et alors il est grand et incomparable; l'autre
selon la multitude, comme on juge de la nature du cheval et du chien par la
multitude, d'y voir la course et animum arcendi, et alors l'homme est abject et
vil.
131-
Quelle
chimère est-ce donc que l'homme? quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos,
quel sujet de contradictions, quel prodige? Juge de toutes choses, imbécile ver
de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et
rebut de l'univers.
VIII.
DIVERTISSEMENT
132-170
Divertissement - Si l'homme était heureux il le serait d'autant plus qu'il
serait moins diverti, comme les saints et Dieu. Oui; mais n'est-ce pas être
heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement?
133-168
Divertissement.
Les
hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés,
pour se rendre heureux, de n'y point penser.
136-139
Divertissement.
j'ai
dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de
ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.
s'il
est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus
malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit.
(L'unique
bien des hommes consiste donc à être divertis de penser à leur condition ou par
une occupation qui les en détourne, ou par quelque passion agréable et nouvelle
qui les occupe, ou par le jeu, la chasse, quelque spectacle attachant, et enfin
par ce qu'on appelle divertissement.)
De
là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands
emplois sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur, ni
qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner
au jeu, ou dans le lièvre qu'on court; on n'en voudrait pas s'il était offert.
Raison
pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.
Et
c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce
qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de
plaisirs.
Ainsi
s'écoule toute la vie; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et
si on les a surmontés le repos devient insupportable par l'ennui qu'il
engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte.
B. Ainsi
l'homme est si malheureux qu'il s'ennuierait même sans aucune cause d'ennui par
l'état propre de sa complexion. Et il est si vain, qu'étant plein de mille
causes essentielles d'ennui, la moindre chose comme un billard et une balle
qu'il pousse, suffisent pour le divertir.
Un
amusement languissant et sans passion l'ennuiera. Il faut qu'il s'y échauffe,
et qu'il se pipe lui-même en s'imaginant qu'il serait heureux de gagner ce
qu'il ne voudrait pas qu'on lui donnât à condition de ne point jouer, afin
qu'il se forme un sujet de passion et qu'il excite sur cela son désir, sa
colère, sa crainte pour cet objet qu'il s'est formé comme les enfants qui
s'effraient du visage qu'ils ont barbouillé.
L'homme,
quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire
entrer en quelque divertissement le voilà heureux pendant ce temps-là, et
l'homme quelqu'heureux qu'il soit s'il n'est diverti et occupé par quelque
passion ou quelque amusement, qui empêche l'ennui de se répandre, sera bientôt
chagrin et malheureux. Sans divertissement il n'y a point de joie; avec le
divertissement il n'y a point de tristesse.
139-143
Divertissement.
Que le cœur de
l'homme est creux et plein d'ordure.
149-430 A. P. R.
Tout
ce qui est incompréhensible ne laisse pas d'être. Le nombre infini, un espace
infini égal au fini.
XII.
COMMENCEMENT
152-213 Entre
nous et l'enfer ou le ciel il n'y a que la vie entre deux qui est la chose du
monde la plus fragile.
189-547 Dieu par
J.-C.
Nous
ne connaissons Dieu que par J.-C. Sans ce médiateur est ôtée toute
communication avec Dieu. Par J.-C. nous connaissons Dieu.
197-163 bis (Rien ne montre mieux la
vanité des hommes que de considérer quelle cause et quels effets de l'amour,
car tout l'univers en est changé. Le nez de Cléopâtre.)
198-693 H. 5. En voyant l'aveuglement et
la misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet et l'homme sans lumière
abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l'univers sans savoir
qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant,
incapable de toute connaissance, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait
porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s'éveillerait sans
connaître et sans moyen d'en sortir.
Car
enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un
tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de
comprendre les extrêmes; la fin des choses et leurs principes sont pour lui
invinciblement cachés dans un secret impénétrable.
Également -
incapable de voir le néant d'où il est tiré et l'infini où il est englouti.
Connaissons
donc notre portée. Nous sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous
avons d'être nous dérobe la connaissance des premiers principes qui naissent du
néant, et le peu que nous avons d'être nous cache la vue de l'infini.
Si l'homme
s'étudiait il verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se
pourrait-il qu'une partie connût le tout?
200-347
H. 3. - L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un
roseau pensant. I l ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser; une
vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers
l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il
sait qu'il meurt et l'avantage que l'univers a sur lui. L'univers n'en sait
rien.
XVI. FAUSSETÉ
DES AUTRES RELIGIONS
210-451 Tous les hommes
se haïssent naturellement l'un l'autre. On s'est servi comme on a pu de la
concupiscence pour la faire servir au bien public. Mais ce n'est que feindre et
une fausse image de la charité, car au fond ce n'est que haine.
XXIV. PROPHÉTIES
343-695
Prophéties. Le grand Pan est mort.
XXVI. MORALE
CHRÉTIENNE
351-537 Le
christianisme est étrange; il ordonne à l'homme de reconnaître qu'il est vil et
même abominable, et lui ordonne de vouloir être semblable à Dieu. Sans un tel
contrepoids cette élévation le rendrait horriblement vain, ou cet abaissement
le rendrait horriblement abject.
352-526
La misère persuade le désespoir. L'orgueil persuade la présomption.
L'incarnation
montre à l'homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu'il a
fallu
373-476 Il faut
n'aimer que Dieu et ne haïr que soi.
SECTION II. PAPIERS NON CLASSÉS
427-194
...
Tout
ce que je connais est que je dois bientôt mourir; mais ce que j'ignore le plus
est cette mort même que je ne saurais éviter.
« Comme
je ne sais d'où je viens, aussi je ne sais où je vais; et je sais seulement
qu'en sortant de ce monde je tombe pour jamais ou dans le néant, ou dans les
mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle de ces deux conditions je dois
être éternellement en partage. Voilà mon état. plein de faiblesse et
d'incertitude. Et, de tout cela, je conclus que je dois donc passer tous les
jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m'arriver. Peut-être que je
pourrais trouver quelque éclaircissement dans mes doutes; mais je n'en veux pas
prendre la peine, ni faire un pas pour le chercher; et après, en traitant avec
mépris ceux qui se travailleront de ce soin - (quelque certitude qu'ils en
eussent, c'est un sujet de désespoir, plutôt que de vanité) --je veux aller,
sans prévoyance et sans crainte, tenter un si grand événement, et me laisser
mollement conduire à la mort, dans l'incertitude de l'éternité de ma condition
future. »
Qui
souhaiterait d'avoir pour ami un homme qui discourt de cette manière? qui le choisirait
entre les autres pour lui communiquer ses affaires? qui aurait recours à lui
dans ses afflictions? et enfin à quel usage de la vie on le pourrait destiner?
Mais
pour ceux qui vivent sans le connaître et sans le chercher, ils se jugent
eux-mêmes si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont pas dignes du soin des
autres et qu'il faut avoir toute la charité de la religion qu'ils méprisent
pour ne les pas mépriser jusqu'à les abandonner dans leur folie.
428-195
Avant que d'entrer dans les preuves de la religion chrétienne, je trouve
nécessaire de représenter l'injustice des hommes qui vivent dans l'indifférence
de chercher la vérité d'une chose qui leur est si importante, et qui les touche
de si près.
Car
il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant, que l'état de
la mort est éternel, de quelque nature qu'il puisse être, et qu'ainsi toutes
nos actions et nos pensées doivent prendre des routes si différentes selon
l'état de cette éternité, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens
et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre dernier
objet.
Ce repos dans
cette ignorance est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir
l'extravagance et la stupidité
à ceux
qui y passent leur vie, en la leur représentant à eux-mêmes, pour les confondre
par la vue de leur folie. Car voici comme raisonnent les hommes quand ils
choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont et sans rechercher
d'éclaircissement. « Je ne sais », disent-ils.
429-229
Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et je ne
vois partout qu'obscurité.
434-199
Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la
mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui
restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se
regardant les uns et les autres avec douleur et sans espérance, attendent à
leur tour. C'est l'image de la condition des hommes.
SÉRIE V
443-863
Tous errent d'autant plus dangereusement qu'ils suivent chacun une vérité; leur
faute n'est pas de suivre une fausseté, mais de ne pas suivre une autre vérité.
446-586
S'il n'y avait point d'obscurité, l'homme ne sentirait point sa corruption;
s'il n'y avait point de lumière, l'homme n'espérerait point de remède. Ainsi,
il est non seulement juste, mais utile pour nous que Dieu soit caché en partie,
et découvert en partie, puisqu'il est également dangereux à l'homme de
connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans
connaître Dieu.
449-556
...
Ceux
qui s'égarent ne s'égarent que manque de voir une de ces deux choses. On peut
donc bien connaître Dieu sans sa misère, et sa misère sans Dieu; mais on ne
peut connaître Jésus-Christ sans connaître tout ensemble et Dieu et sa misère.
502-571 Raisons
pourquoi figures.
Car
il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes : la cupidité et la
charité.
SÉRIE XXI
511-2
Il
y a donc deux sortes d'esprit, l'une de pénétrer vivement et profondément les
conséquences des principes, et c'est là l'esprit de justesse. L'autre de
comprendre un grand, nombre de principes sans les confondre et c'est là
l'esprit de géométrie. L'un est force et droiture d'esprit. L'autre est
amplitude d'esprit. Or l'un peut bien être sans l'autre, l'esprit pouvant être
fort et étroit, et pouvant être aussi ample et faible.
SÉRIE XXIII
529-105
Qu'il est difficile de proposer une chose au jugement d'un autre sans corrompre
son jugement par la manière de la lui proposer. Si on dit : je le trouve beau,
je le trouve obscur ou autre chose semblable, on entraîne l'imagination à ce
jugement ou on l'irrite au contraire. Il vaut mieux ne rien dire et alors il
juge selon ce qu'il est, c'est-à-dire selon ce qu'il est alors, et selon que
les autres circonstances dont on n'est pas auteur y auront mis. Mais au moins
on n'y aura rien mis, si ce n'est que ce silence n'y fasse aussi son effet,
selon le tour et l'interprétation qu'il sera en humeur de lui donner, ou selon
qu'il le conjecturera des mouvements et air du visage, ou du ton de voix selon
qu'il sera physionomiste, tant il est difficile de ne point démonter un
jugement de son assiette naturelle, ou plutôt tant il en a peu de ferme et
stable.
551-84
L'imagination grossit les petits objets jusqu'à en remplir notre âme par une
estimation fantasque,, et par une insolence téméraire elle amoindrit grandes
jusqu'à sa mesure, comme en parlant Dieu.
552-107
Lustravit lampade terras. Le temps et humeur ont peu de liaison. J'ai mes
brouillards on beau temps au-dedans de moi; le bien et le de mes affaires même
y fait peu. Je m'efforce quelquefois de moi-même contre la fortune. La gloire
la dompter me la fait dompter gaiement, au lieu je fais quelquefois le dégoûté
dans la bonne une.
SÉRIE XXIV
597-455
Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l'ôtez point pour cela.
Vous êtes donc toujours haïssable.
606-155
Un vrai ami est une chose si avantageuse même pour les plus grands seigneurs,
afin qu'il dise du bien d'eux et qu'il les soutienne en leur absence. Même
qu'ils doivent tout faire pour en avoir, mais qu'ils choisissent bien, car
s'ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile quelque
bien qu'ils disent d'eux. Et même ils n'en diront pas de bien s'il se trouvent
les plus faibles, car ils n'ont pas d'autorité et ainsi ils en médiront par
compagnie.
620-146
L'homme est visiblement fait pour penser. C'est toute sa dignité et tout son
mérite; et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l'ordre de la pensée
est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin.
Or
à quoi pense le monde? jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à
chanter, à faire des vers, à courir la bague etc. et à se battre, à se faire
roi, sans penser à ce que c'est qu'être roi et qu'être homme.
622-131 Ennui.
Rien
n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions,
sans affaires, sans divertissement, sans application.
Il
sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son
impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de son âme, l'ennui, la
noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.
634-97 La chose
la plus importante à toute la vie est le choix du métier, le hasard en dispose.
La
coutume fait les maçons, soldats, couvreurs. C'est un excellent couvreur,
dit-on, et en parlant des soldats : ils sont bien fous, dit-on, et les autres
au contraire : il n'y a rien de grand que la guerre, le reste des hommes sont
des coquins. A force d'ouïr louer en l'enfance ces métiers et mépriser tous les
autres on choisit. Car naturellement on aime la vertu et on hait la folie; ces
mots mêmes décideront; on ne pèche qu'en l'application.
Tant
est grande la force de la coutume que de ceux que la nature n'a fait qu'hommes
on fait toutes les conditions des hommes.
Car
des pays sont tout de maçons, d'autres tout de soldats, etc. Sans doute que la
nature n'est pas si uniforme; c'est la coutume qui fait donc cela, car elle
contraint la nature, et quelquefois la nature la surmonte et retient l'homme
dans son instinct malgré toute coutume bonne ou mauvaise.
SÉRIE XXV
656-372
En écrivant ma pensée elle m'échappe quelquefois-, mais cela me fait souvenir
tir ma faiblesse que j'oublie à toute heure, ce qui m'instruit autant que ma
pensée oubliée, car je ne tiens qu'à connaître mon néant.
685-401 Gloire.
688-323
Qu'est-ce- que le moi?
Un
homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants; si je passe par là,
puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir? Non; car il ne pense pas à moi en
particulier; mais celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il?
Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera
qu'il ne l'aimera plus.
Et
si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on? moi? Non, car je
puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il
n'est ni dans le corps, ni dans l'âme? et comment aimer le corps ou l'âme,
sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles
sont périssables? car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne,
abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait
injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.
Qu'on
ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des
offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées.
SÉRIE XXVI
731-196 Ces gens
manquent de cœur.
734-817 Titre.
D'où vient qu'on
croit tant de menteurs qui disent qu'ils ont vu des miracles et qu'on ne croit
aucun de ceux qui disent qu'ils ont des secrets pour rendre
l'homme immortel ou pour rajeunir.
748-239
Obj. Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour
contrepoids la crainte de l'enfer. Resp. Qui a plus sujet de craindre l'enfer,
ou celui qui est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de la
damnation s'il y en a; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu'il y a
un enfer, et dans l'espérance d'être sauvé s'il est.
756-365 Pensée.
Toute la dignité
de l'homme est en la pensée, mais qu'est-ce que cette pensée? qu'elle est
sotte?
La
pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait
qu'elle eût d'étranges défauts pour être méprisable, mais elle en a de tels que
rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature, qu'elle est basse
par ses défauts.
764-11
Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne; mais
entre tous ceux que le monde a inventés, il n'y en a point qui soit plus à
craindre que la comédie. C'est une représentation si naturelle et si délicate
des passions, qu'elle les émeut et les fait naître dans notre cœur, et surtout
celle de l'amour; principalement lorsqu'on (le) représente fort chaste et fort
honnête. Car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, plus elles sont
capables d'en être touchées; sa violence plait à notre amour-propre, qui forme
aussitôt un désir de causer les mêmes effets, que l'on voit si bien représentés;
et l'on se fait en même temps une conscience fondée sur l'honnêteté des
sentiments qu'on y voit, qui ôtent la crainte des âmes pures, qui s'imaginent
que ce n'est pas blesser la pureté, d'aimer d'un amour qui leur semble si sage.
Ainsi
l'on s'en va de la comédie le cœur si rempli de toutes les beautés et de toutes
les douceurs de l'amour et l'âme et l'esprit si persuadés de son innocence,
qu'on est tout préparé à recevoir ses premières impressions, ou plutôt à
chercher l'occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu'un, pour
recevoir les mêmes plaisirs et les mêmes sacrifices que l'on a vus si bien
dépeints dans la comédie.
PAPIERS NON
CLASSÉS
Vient
d'ailleurs, et que nous recherchons le plaisir. Car on peut rechercher la
douleur et y succomber à dessein sans ce genre de bassesse. D'où vient donc
qu'il est glorieux à la raison de succomber sous l'effort de la douleur, et
qu'il lui est honteux de succomber sous l'effort du plaisir? c'est que ce n'est
pas la douleur qui nous tente et nous attire; c'est nous-mêmes qui
volontairement la choisissons et voulons la faire dominer sur nous, de sorte
que nous sommes maîtres de la chose, et en cela c'est l'homme qui succombe à
soi-même. Mais dans le plaisir c'est l'homme qui succombe au plaisir. Or il n'y
a que la maîtrise et l'empire qui fasse la gloire, et que la servitude qui
fasse honte.
806-147 Nous ne nous contentons pas de la vie que
nous avons en nous et en notre propre être. Nous voulons vivre dans l'idée des
autres d'une vie imaginaire et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous
travaillons forçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à
embellir et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable. Et si
nous avons ou la tranquillité ou la générosité, ou la
fidélité nous nous empressons de le faire savoir afin d'attacher ces vertus-là
à notre autre être et les détacherions plutôt de nous pour les joindre à
l'autre. Nous serions de bon coeur poltrons pour en acquérir la réputation
d'être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être de n'être pas
satisfait de l'un sans l'autre et d'échanger souvent l'un pour l'autre. Car qui
ne mourrait pour conserver son honneur celui-là serait infâme.
815-259 Le monde
ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu'il ne veut pas songer.
SÉRIE XXX
821-252 Car il ne faut pas se
méconnaître, nous sommes automate autant qu'esprit. Et de là vient que
l'instrument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration.
Combien y a(-t-)il peu de choses démontrées? Les preuves ne convainquent que
l'esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle
incline l'automate qui entraîne l'esprit sans qu'il y pense.
848-806 Les
miracles et la vérité sont nécessaires à cause qu'il faut convaincre l'homme
entier en corps et en âme.
858-840 L'Église a
trois sortes d'ennemis : les Juifs qui n'ont jamais été de son corps, les
hérétiques qui s'en sont retirés, et les mauvais chrétiens qui la déchirent
au-dedans. Ces trois sortes de différents adversaires la combattent d'ordinaire
diversement, mais ici ils la combattent d'une même sorte.
906-916
Probabilité.
Ils
ont quelques principes vrais, mais ils en abusent, or l'abus des vérités doit
être autant puni que I'introduction du mensonge.
SECTION IV. FRAGMENTS NON
ENREGISTRÉS PAR LA COPIE
I. LE RECUEIL
ORIGINAL
937-104
Quand notre passion nous porte à faire quelque chose nous oublions notre
devoir; comme on aime un livre on le lit lorsqu'on devrait faire autre chose.
Mais pour s'en souvenir il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait
et lors on s'excuse sur ce qu'on a autre chose à faire et on se souvient de son
devoir par ce moyen.
941-264
On ne s'ennuie point de manger, et dormir, tous les jours, car la faim renaît
et le sommeil, sans cela on s'en ennuierait.
Ainsi sans la
faim des choses spirituelles on s'en ennuie; faim de la justice, béatitude 8e.
958-75 Part 1.
1. 2. C. I. S.
(Conjecture,
il ne sera pas difficile de faire descendre encore d'un degré et de la faire
paraître ridicule.)
Qu'y
a(-t-) 1 de plus absurde que de dire que des corps inanimés ont des passions,
des craintes, des horreurs, que des corps insensibles sans vie, et même
incapables de vie, aient des passions qui présupposent une âme au moins
sensitive pour les recevoir. De plus que l'objet de cette horreur, fût le vide?
Qu'y a(-t-)il dans le vide qui leur puisse faire peur? Qu'y a t'il de plus bas
et de plus ridicule?
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