Elisée Reclus - L'anarchisme
L'anarchie n'est point une théorie nouvelle. Le mot lui-même
pris dans son acception "absence de gouvernement", de "société
sans chefs", est d'origine ancienne et fut employé bien avant Proudhon
Depuis plus de trois mille ans, le poète hindou du Mahâ
Bhârata a formulé sur ce sujet l'expérience des siècles: "L'homme qui
roule dans un char ne sera jamais l'ami de l'homme qui marche à pied!
C'est bien la lutte contre tout pouvoir officiel qui nous
distingue essentiellement; chaque individualité nous paraît être le centre de
l'univers, et chacune a les mêmes droits à son développement intégral, sans
intervention d'un pouvoir qui la dirige, la morigène ou la châtie.
j'espère que bientôt vous répondrez avec moi: "Oui, la
morale anarchiste est celle qui correspond le mieux à la conception moderne de
la justice et de la bonté."
Partout, dans toutes les relations sociales, se montraient
les rapports de supériorité et de subordination; enfin, de nos jours encore, le
principe même de l'État et de tous les États partiels qui le constituent, est
la hiérarchie, ou l'archie "sainte", l'autorité "sacrée", -
c'est le vrai sens du mot. Et cette domination sacro-sainte comporte toute une
succession de classes superposées dont les plus hautes ont toutes le droit de
commander, et les inférieures toutes le devoir d'obéir. La morale officielle
consiste à s'incliner devant le supérieur, à se redresser fièrement devant le
subordonné. Chaque homme doit avoir deux visages, comme Janus, deux sourires,
l'un flatteur, empressé, parfois servile, l'autre superbe et d'une noble
condescendance.
Il faut chercher âprement la vérité, trouver le devoir
personnel, apprendre à se connaître soi-même, faire continuellement sa propre
éducation, se conduire en respectant les droits et les intérêts des camarades.
Alors seulement on devient un être réellement moral, on naît au sentiment de sa
responsabilité. La morale n'est pas un ordre auquel on se soumet, une parole
que l'on répète, une chose purement extérieure à l'individu; elle devient une
partie de l'être, un produit même de la vie.
La liberté de penser à fait de tous les hommes des
anarchistes sans le savoir. Qui ne se réserve maintenant un petit coin de
cerveau pour réfléchir? Or, c'est là précisément le crime des crimes, le péché
par excellence, symbolisé par le fruit de l'arbre qui révéla aux hommes la
connaissance du bien et du mal. De là la haine de la science que professa
toujours l'Église. De là cette fureur que Napoléon, un Tamerlan moderne, eut
toujours pour les "idéologues".
La misère unit les malheureux en une ligue fraternelle:
ensemble ils ont faim, ensemble ils se rassasient.
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