Maurice Blanchot - Thomas l'obscur
L’ivresse
de sortie de soi, de glisser dans le vide, de se disperser dans la pensée de
l’eau, lui faisait oublier tout malaise. (p.11)
Bientôt,
la nuit lui parut plus sombre, plus terrible que n’importe quelle nuit, comme
si elle était réellement sortie d’une blessure de la pensée qui ne se pensait
plus, de la pensée prise ironiquement comme objet par autre chose que la
pensée. (p.17)
Les
sentiments l’habitèrent, puis le dévorèrent. Il était pressé, dans chaque
partie de sa chair, par mille mains qui n’étaient que sa main. Autour de son
corps, il savait que sa pensée, confondue avec la nuit, veillait. (p.19)
A
chaque fois, Thomas était repoussé jusqu’au fond de son être par les mots mêmes
qui l’avaient hanté et qu’il poursuivait comme son cauchemar et comme
explication de son cauchemar.
Et
elle tomba dans les cercles majeurs, analogues à ceux de l’Enfer, passant,
éclair de raison pure, par le moment critique où il faut, un très court
instant, demeurer dans l’absurde et, ayant quitté ce qui peut encore se
représenter, ajouter indéfiniment l’absence et à l’absence et à l’absence de
l’absence et à l’absence de l’absence de l’absence et, aussi, avec cette
machine aspirante, faire désespérément le vide. (p. 69)
Dans
toutes les âmes que l’environnaient comme autant de clairières et qu’elle
pouvait approcher aussi intimement que sa propre âme, il y avait, seule clarté
qui permit de les percevoir une conscience silencieuse, fermée et désolée, et
c’est la solitude qui créait autour d’elle le doux champ des relations humaines
où, entre d’infinis rapports pleins d’harmonie et de tendresse, elle voyait
venir à sa rencontre son chagrin mortel.
Le monde pouvait-il être plus beau? A travers les champs s'étendait l'idéal
de la couleur. A travers le ciel transparent et vide s'étendait l'idéal de la
lumière. Les arbres sans fruits, les fleurs sans fleurs portaient au bout de
leurs tiges la fraîcheur et la jeunesse. A la place de la rose, il y avait sur
le rosier une fleur noire qui ne pouvait être flétrie. (p. 131)
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