Fernando Pessoa - Le pèlerin
La curiosité innocente des contemplatifs me retenait là de
longues heures, absorbé, immobile, à regarder la vie passer sans réfléchir à la
vie, m’amusant, à la manière des simples, de l’aspect des choses plus que de
leur signification.
Comme il arrive à tous ceux qui pensent, je ne manquais pas,
bien sûr de méditer sur la mystère de l’existence. Mais c’était à la clarté de
la lampe, pendant les veillées silencieuses, que cela me travaillait, quand les
vieilles somnolaient sur leurs ouvrages oubliés et que la grande tache sur la
vie se répandait dans l’âme.
Parce qu’à présent seule la solitude me plaisait, quand
auparavant elle me plaisait seulement par-dessus tout. Peu à peu, l’existence
des autres, la présence des gens autour de moi, d’inquiétantes devint
angoissante, et d’angoissante insupportable. Seul mon naturel peu impatient
m évitait de devoir contenir constamment mon impatience.
Ne fixe pas la route ; suis-la.
Je tombais amoureux d’elle dès que je la vis. Je perdis mon
âme pour elle dès que je lui parlai. Ses yeux, tel un feu sur mon trouble,
plongèrent leur flamme jusqu’au plus profond de l’inéveillé de mon être. Le
contact de sa main me fit tout oublier. Ma propre conscience, quand j’étais à
ses cotés, était une chaleur qui brulait dans mon corps et me faisait sentir
mes veines avec un frémissement de plaisir.
Des liens invisibles nous attachaient l’un à l’autre. Chacun
de nous les sentait et voulait les sentir toujours.
Délicieuse prison que celle où la volonté est prise dans un sommeil confortable, et où
l’intelligence ne veut d’autre emploi que celui de découvrir chaque jour de
nouveaux enchantements dans l’être aimé, et de nouveaux mots à lui dire qui
répètent différemment la même ardeur, et la même ferveur, et le même
désir !
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