Karl Marx - Manifeste du parti communiste
Un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme.
I
bourgeois et prolétaires
Hommes libres et esclaves, patriciens et plébéiens, barons et serfs, maîtres de jurandes et compagnons, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée ; une guerre qui finissait toujours, ou par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, ou par la destruction des deux classes en lutte.
La société se divise de plus en plus en deux vastes camps
ennemis, en deux grandes classes ennemies : la Bourgeoisie et le
Prolétariat.
La grande industrie moderne supplanta la manufacture.
La grande industrie a créé le marché mondial.
État opprimé par le despotisme féodal, association se gouvernent elle-même dans la commune ; ici république municipale, là tiers-état taxable de la monarchie ; puis, durant la période manufacturière, contrepoids de la noblesse dans la monarchie limitées ou absolues ; pierre angulaire des grande industrie et du marché mondial, s’est enfin emparée du pouvoir politique — à l’exclusion des autres classes, — dans l’État représentatif moderne. Le gouvernement moderne n’est qu’un comité administratif des affaires de la classe bourgeoise tout entière.
Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens multicolores qui unissaient l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié, pour ne laisser subsister d’autre lien entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, que le dur argent comptant. Elle a noyé l’extase religieuse, l’enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité petit bourgeois, dans les eaux glacées du calcul égoïste.
La Bourgeoisie n’existe qu’à la condition de révolutionner
sans cesse les instruments de travail, ce qui veut dire le mode de production,
ce qui veut dire tous les rapports sociaux.
Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne
un caractère cosmopolite à la production de tous les pays.
Les vieilles industries nationales sont détruites, ou sur le
point de l’être. Elles sont supplantées par de nouvelles industries dont
l’introduction devient une question vitale pour toutes les nations civilisées,
industries qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières
premières venues des régions les plus éloignées, et dont les produits se
consomment non seulement dans le pays même, mais dans tous les coins du globe.
À la place des anciens besoins, satisfaits par les produits
nationaux, naissent des nouveaux besoins, réclamant pour leur satisfaction les
produits des contrées les plus lointaines et des climats les plus divers. À la
place de l’ancien isolement des nations se suffisant à elles-mêmes, se
développe un trafic universel, une interdépendance des nations. Et ce qui est
vrai pour la production matérielle s’applique à la production intellectuelle.
Sous peine de mort elle force toutes les nations à adopter
le mode de production bourgeois. En un mot, elle modèle le monde à son image.
La Bourgeoisie a soumis la campagne à la ville.
De même qu’elle a subordonné la campagne à la ville, les
nations barbares ou demi-civilisées aux nations civilisées, elle a subordonné
les pays agricoles aux pays industriels, l’Orient à l’Occident.
La Bourgeoisie supprime de plus en plus l’éparpillement des
moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré les
populations, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans
les mains de quelques individus. La conséquence fatale de ces changements a été
la centralisation politique. Des provinces indépendantes, reliées entre elles
par des liens fédéraux, mais ayant des intérêts, des lois, des gouvernements,
des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, sous un
seul gouvernement, une seule loi, un seul tarif douanier, et un seul intérêt
national de classe.
La Bourgeoisie, depuis son avènement, à peine séculaire, a
créé des forces productives plus variées et plus colossales que toutes les
générations passés prises ensemble. La subjugation des forces de la nature
À la place s’éleva la libre concurrence, avec une
constitution sociale et politique correspondante, avec la domination économique
et politique de la classe bourgeoise.
Comment la Bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D’une part, par la destruction forcée d’une masse de forces productives ; d’autre part, par la conquête de nouveaux marchés, et l’exploitation plus parfaite des anciens. C’est-à-dire qu’elle prépare des crises plus générales et plus formidables et diminue les moyens de les prévenir.
Mais la Bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui
doivent lui donner la mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront
ces armes, — les ouvriers modernes, les Prolétaires.
L’introduction des machines et la division du travail,
dépouillant le travail de l’ouvrier de son caractère individuel, lui ont enlevé
tout attrait. Le travailleur devient un simple appendice de la machine ;
on n’exige de lui que l’opération la plus simple, la plus monotone, la plus
vite apprise. Par conséquent, le coût de production de l’ouvrier se réduit à
peu près aux moyens d’entretien dont il a besoin pour vivre et pour propager sa
race. Or, le prix du travail, comme celui de toute marchandise, est égal à son
coût de production. Donc, plus le travail devient répugnant, plus les salaires
baissent.
Plus ce despotisme proclame hautement le profit comme son
but unique, plus il devient mesquin, odieux, exaspérant.
La petite Bourgeoisie, les petits industriels, les
marchands, les petits rentiers, les artisans et les paysans propriétaires,
tombent dans le Prolétariat ; d’une part, parce que leurs petits capitaux
ne leur permettant pas d’employer les procédés de la grande industrie, d’autre
part, parce que leur habileté spéciale est dépréciée par les nouveaux modes de production.
De sorte que le Prolétariat se recrute dans toutes les classes de la
population.
Or l’industrie, en se développant, non seulement grossit le
nombre des prolétaires mais les concentre en masses plus considérables ;
les prolétaires augmentent en force et prennent conscience de leur force
La croissante concurrence des bourgeois entre eux et des
crises commerciales qui en résultent, rendent les salaires de plus en plus
incertains ; le constant perfectionnement de la machine rend la position
de l’ouvrier de plus en plus précaire
La Bourgeoisie vit dans un état de guerre perpétuel ;
d’abord contre l’aristocratie, puis contre cette catégorie de la Bourgeoisie
dont les intérêts viennent en conflit avec les progrès de l’industrie,
toujours, enfin, contre la Bourgeoisie des pays étrangers. Dans toutes ces
luttes, elle se voit forcée de faire appel au Prolétariat, d’user de son
concours et de l’entraîner dans le mouvement politique, en sorte que la
Bourgeoisie fournit aux Prolétaires les éléments de sa propre éducation
politique et sociale, c’est-à-dire des armes contre elle-même.
Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé
sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. Mais pour
opprimer une classe, il faut au moins pouvoir lui garantir des conditions
d’existence qui lui permettent de vivre en servitude.
La Bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du Prolétariat sont également inévitables.
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